Plus d’une femme sur dix souffre d’endométriose. C’est la deuxième maladie gynécologique la plus répandue après les fibromes. Pourtant sa détection tarde, encore. D’autant plus chez les adolescentes.
Avec de longues années d’errance diagnostique — 7 en moyenne, parfois plus —, l’endométriose reste encore largement sous les radars. L’âge moyen au diagnostic est aujourd’hui de 28 ans. Avancer sa détection afin d’améliorer sa prise en charge, et par conséquent la vie de celles qui en souffrent, est un véritable défi de société.
Pourtant, dès l’adolescence, certains symptômes peuvent alerter : douleurs pelviennes chroniques (localisées au niveau du bassin), fortes souffrances lors des périodes menstruelles (dysménorrhées), règles abondantes, douleurs liées aux rapports sexuels (dyspareunies), infertilité, fatigue chronique, troubles digestifs… Malgré quelques indices, le retard du verdict médical de l’endométriose persiste. Comment changer la situation ?
Qu’est-ce que l’endométriose ?
Cette maladie gynécologique touche environ 10 % des femmes. Une étude canadienne de 2021 évalue même ce chiffre à la hausse : 18 % des femmes en âge de procréer en seraient atteintes. Toutefois, la prévalence exacte de la pathologie s’estime difficilement, notamment car le diagnostic est long et que certains cas sont asymptomatiques (10 %).
L’endométriose se caractérise par une délocalisation de cellules de l’endomètre, le tissu qui tapisse l’intérieur de l’utérus. Ces cellules endométriales migrent hors de la cavité utérine et se déposent alors ailleurs dans le corps : ovaires (50 % des cas), intestin (incluant le rectum, 20 à 25 % des cas), vagin (15 %) et vessie (10 %). Dans de plus rares cas, les cellules se déplacent jusqu’au diaphragme ou au thorax.
Les dépôts de cellules forment alors des lésions d’endométriose. Celles-ci réagissent, tout comme l’endomètre normal, aux hormones ovariennes : œstrogènes, progestérone. À chaque cycle menstruel, l’endomètre se modifie sous l’influence hormonal puis est évacué lors des règles. Tandis que les lésions délocalisées, elles, augmentent et saignent. Avec, souvent, des douleurs qui s’intensifient.
Le problème, c’est qu’il n’y a pas une, mais « des » endométrioses. Trois formes existent : superficielle, ovarienne et profonde — elles dépendent de la taille et de la localisation des lésions. L’intensité des douleurs ne dépend pas de la forme d’endométriose, mais de la proximité des lésions avec des nerfs. Comme beaucoup de maladies, plus tôt elle est détectée mieux elle pourra être traitée (voir ci-contre).
Comment détecter la maladie ?
Diagnostiquer l’endométriose passe d’abord par l’interrogatoire de la patiente : questions sur le type de douleur, son intensité, sa fréquence, sa durée, ce qui la soulage, etc. Si à la suite de l’entretien, la suspicion de la pathologie persiste, des examens cliniques sont prescrits.
L’échographie pelvienne est actuellement l’examen de première intention, recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS). Elle est surtout utile pour déceler la présence de kystes ovariens, car d’autres lésions peuvent malheureusement passer inaperçues aux yeux du radiologue.
Pour affiner la détection, la HAS recommande d’utiliser l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) en seconde intention. Elle permet de détecter des kystes, des nodules ou des lésions endométriales profondes.
Diagnostic chez les ados
Une récente étude, en partie réalisée à l’institut de la femme et de l’endométriose (IFEEN), a mis en lumière l’importance de l’IRM dans le diagnostic de l’endométriose chez les adolescentes souffrant de dysménorrhées sévères. L’analyse montre que la pathologie est plus fréquente chez les adolescentes à mesure qu’elles prennent de l’âge. Un point de bascule notable s’opère à partir de 18 ans, où la prévalence augmente significativement.
Enfin, moins invasif, l’Endotest est expérimenté depuis le 11 février 2025. Il s’agit d’un simple test salivaire pour diagnostiquer l’endométriose. Ouverte à 100 centres de santé répartis dans tout l’Hexagone, l’expérimentation devrait profiter à 25 000 patientes. Objectif : évaluer l’efficacité ainsi que la possibilité du remboursement d’Endotest par l’Assurance maladie.
Actuellement, un autre projet de recherche mené par l’Institut Pasteur vise à identifier des marqueurs biologiques spécifiques de l’endométriose dans le sang menstruel. À terme, le but serait de détecter la maladie par simple analyse sanguine dans tous les laboratoires biomédicaux.
En attendant que ces avancées se concrétisent, l’association EndoFrance propose sur son site des questionnaires permettant d’évaluer, en fonction des symptômes ressentis et de l’intensité des douleurs, la probabilité d’avoir une endométriose. Des rubriques adaptées pour les collégiennes (10-15 ans) et lycéennes (15-18 ans) sont disponibles.
Considérée seulement depuis 2022 comme un enjeu de santé publique majeur, la prise en compte de l’endométriose progresse enfin, un peu.
« Intervenir tôt pour endiguer la douleur »
Rencontre avec Valérie Desplanches, présidente et co-fondatrice de la Fondation pour la recherche sur l’endométriose (FRE).
Vocation Santé : Pourquoi cette pathologie a-t-elle longtemps été ignorée ?
Valérie Desplanches : Historiquement, la douleur des femmes n’était pas prise en compte, à commencer par une espèce d’éducation dans laquelle on disait qu’il était normal d’avoir mal pendant ces règles. Il y a, à la fois, un effet sociétal et historique qui y contribue. Si l’endométriose est connue médicalement depuis un moment — sa caractérisation date de 1860 — la sensibilisation des professionnels de santé est plus récente. Autrefois, il n’y avait pas cette conscience que la pathologie touche une à deux femmes sur dix. Et, par conséquent, qu’un bon nombre de médecins, gynécologues, gastro-entérologues étaient susceptibles de recevoir des patientes concernées. Ajoutons à cela le fait que la médecine et la science ont longtemps été l’apanage des hommes…
Quels sont les obstacles à sa prise en charge ?
Aujourd’hui, la prise en charge la plus efficace est l’aménorrhée, soit le blocage du cycle menstruel. Il y a évidemment les antidouleurs, mais c’est une pathologie qui y résiste beaucoup. Il existe aussi des thérapies complémentaires, qui sont complexes, car en réalité, il n’y en a pas une qui fonctionne pour tout le monde. Les réactions aux traitements sont différents d’une patiente à l’autre. L’endométriose reste encore extrêmement complexe, sa physiopathologie n’est pas totalement élucidée. Aujourd’hui, les professionnels de santé ne peuvent pas garantir aux patientes que le traitement médicamenteux ou complémentaire va fonctionner à 100 %, avec peu d’effets secondaires. C’est là où réside toute la difficulté de la prise en charge de la maladie.
Chaque femme doit tester et choisir ce qui lui convient le mieux.
En quoi est-ce nécessaire de la détecter le plus précocement possible ?
Intervenir tôt permet d’endiguer la douleur, c’est très important. Dans la plupart des cas, le développement des lésions endométriales se met en place dès les premières règles. C’est une maladie évolutive dans au moins un cas sur trois, il faut donc surveiller sa progression dès que possible et surtout éviter la mise en place d’une sensibilisation à la douleur.
On constate malheureusement que de nombreuses années s’écoulent avant que les femmes se voient prescrire leur premier examen d’imagerie, un délai diagnostique qui se révèle être d’autant plus long chez les adolescentes que chez les adultes, d’après certaines études. De plus, ne pas détecter une endométriose le plus précocement possible, c’est aussi faire perdre des chances à de jeunes femmes qui pourraient avoir envie d’avoir un jour des enfants.
Plan de recherche pour l’endométriose
En 2022, Emmanuel Macron annonce le lancement d’un grand plan de lutte contre l’endométriose et l’infertilité.
Plusieurs projets de recherche débutent tout juste en 2025. Ils s’inscrivent dans le cadre France 2030, plan d’investissement doté de 54 milliards d’euros sur 5 ans. Ainsi, le gouvernement a confié à l’Inserm le pilotage du programme « Santé des Femmes, Santé des Couples ».
Ce dernier, avec un budget alloué de 25 millions d’euros, vise à mieux comprendre l’endométriose en collectant des données précises sur la maladie et ses symptômes dans six grandes cohortes françaises – trois chez l’enfant et trois chez l’adulte –, avec un diagnostic validé. De plus, il cherche à estimer la prévalence et l’incidence, y compris des cas non diagnostiqués, et à analyser le rôle de facteurs environnementaux (polluants, pesticides…) et génétiques dans l’apparition et l’évolution de la maladie.
Mieux : des pistes de traitements seront testées cliniquement. Après tant de retard, il était temps !
Par Sacha Citerne & Cléo Derwel





