Période particulière d’une vie, la grossesse s’accompagne de quelques restrictions afin de protéger l’enfant à naître. Les médicaments sont aussi concernés, et doivent, de manière générale, être évités.
Enceinte, les médicaments, c’est pas n’importe comment ! », rappelait encore l’Agence du médicament (ANSM) au printemps 2024. Pour la deuxième fois, l’instance renouvelait sa campagne d’information sur les médicaments et la grossesse, lancée en 2021.
Avec toujours le même objectif : « sensibiliser les femmes et leur entourage aux risques liés à la prise de médicament pendant la grossesse », précise-t-elle sur son site internet, mentionnant « une cible en constante évolution » pour justifier cette alerte récurrente.
Car la grossesse est une période particulière, au cours de laquelle la prise de médicament, hors traitement prescrit par un professionnel de santé, doit généralement être évitée. Pour faire un point sur l’état de connaissance des concernées, l’ANSM a mandaté l’institut Viavoice pour réaliser une enquête, en 2019 et 2020, auprès de plus de 3 500 femmes enceintes, jeunes mères ou avec un projet de grossesse.
Résultats : malgré une bonne perception des risques — près de 8 femmes sur 10 ont conscience que la prise de médicaments est déconseillée de manière générale pendant la grossesse —, l’enquête mettait en évidence un sentiment de manque d’information pour 70 % d’entre elles. Plus inquiétant, seulement 2 femmes enceintes sur 10 déclaraient avoir le sentiment de prendre un risque pour leur bébé en prenant un médicament de leur propre initiative.
Des risques variables selon la période
Quels sont les risques justement ? Ils varient selon le stade de la grossesse et le médicament. L’Assurance maladie identifie quatre effets en lien avec une exposition au cours de la grossesse.
Les effets malformatifs ou tératogènes : ils se traduisent par des malformations chez l’embryon lors de son développement, comme certaines anomalies cardiaques ou des défauts de formation, comme le bec de lièvre. Ces effets résultent principalement d’exposition au cours des 3 premiers mois de grossesse, lors de la période dite embryonnaire, moment où se forment les organes. Certains médicaments à effet tératogène sont donc à exclure au cours de cette période, et au-delà si possible, comme ceux à base d’acide valproïque dans le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires (Dépakine, Dépakote…), ou d’isotrétinoïne dans l’acné sévère (Curacné, Procuta…).
À noter que ce risque de malformation existe dans la population générale, même sans exposition médicamenteuse. Structure d’information de référence des professionnels de santé, le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT) rappelle sur son site que « dans la population générale, environ 2 % des enfants présentent une malformation congénitale majeure dont moins de 5 % sont liées à une cause médicamenteuse : même en dehors de toute prise médicamenteuse le “risque zéro » n’existe donc pas”.
Les effets toxiques pour le fœtus, ou fœtotoxiques : ils se traduisent par un retentissement sur la croissance ou la maturation des organes du bébé (faible poids à la naissance, atteinte rénale). Ce risque est plus important à partir du deuxième trimestre. Plusieurs traitements peuvent être dangereux à cette période et sont donc contre-indiqués. L’exemple le plus marquant est celui des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Une famille thérapeutique utilisée pour soulager la fièvre, les douleurs ou encore calmer certaines crises de migraine. Elle comprend plusieurs molécules bien connues, parfois accessibles sans ordonnance : ibuprofène (Advil, Nurofen), kétoprofène, aspirine, diclofénac (Voltarene)…
Jusqu’au 5e mois de grossesse, ces traitements peuvent être utilisés uniquement s’ils sont prescrits par un médecin, en cas de nécessité absolue et sur une courte durée. Ils sont par contre strictement contre-indiqués au-delà, car ils exposent le fœtus ou le nouveau-né à des risques graves d’atteintes rénales et cardiopulmonaires. Ces restrictions concernent également les formes locales de ces traitements, en pommade ou gel. En cas de douleur, le paracétamol (Doliprane, Dafalgan, Efferalgan) est l’antalgique à privilégier au cours de la grossesse.
➜ Depuis 2017, la loi impose aux laboratoires pharmaceutiques d’apposer des pictogrammes « femme enceinte » sur les boîtes des médicaments tératogènes ou fœtotoxiques.
Les effets néonataux : ils résultent d’une exposition en fin de grossesse ou pendant l’accouchement. Ces effets peuvent être dus à un médicament, mais aussi à sa privation. La consommation de somnifères ou d’anxiolytiques peut, par exemple, entraîner un syndrome de sevrage. Car comme l’explique le CRAT, « à la naissance le nouveau-né est seul pour éliminer le médicament présent dans son organisme, fonction que le foie et les reins maternels assuraient jusque-là ». Les médicaments pris à proximité de l’accouchement sont donc encore présents chez le bébé, dont les fonctions métaboliques d’élimination sont encore limitées. « Ces effets sont heureusement assez rares et le plus souvent transitoires », rassure le CRAT.
Les effets à distance : ils regroupent tous les effets non visibles à la naissance, mais détectés plus tard : troubles cognitifs, autisme, hyperactivité… Toute la grossesse, quel que soit le trimestre, est concernée par ce risque.
Quels sont les bons réflexes ?
• Préparer sa grossesse avec son médecin ou sa sage-femme
Une grossesse s’anticipe, y compris auprès des professionnels de santé qui vous suivent. Cet entretien préalable permet de faire un point sur l’état de santé de la femme, sur ses traitements et aussi sur ceux de son conjoint, et ainsi de décider des éventuelles adaptations. Un rendez-vous incontournable, d’autant plus en cas de traitement chronique.
• Ne pas recourir à l’automédication
Cette prérogative concerne les médicaments accessibles sans prescription ou issus d’une ancienne ordonnance, mais aussi ceux à base de plantes ainsi que les huiles essentielles, également proscrites durant la grossesse.
• Ne jamais arrêter seule un traitement prescrit
Un arrêt brutal ou une modification des doses peut mettre en danger la santé de la femme, voire celle du bébé.
• Informer de sa grossesse tous les professionnels de santé consultés
Pour qu’ils la prennent en compte dans la prise en charge.
Et en cas d’allaitement ?
Recommandé pour la santé du nourrisson, l’allaitement maternel s’accompagne aussi d’attentions particulières et de restrictions. En effet, le lait produit par la mère reflète son état de santé général et son alimentation. Certaines substances absorbées peuvent donc se retrouver dans le lait : aliments, alcool et… médicaments. Le bébé allaité peut donc être directement exposé lorsqu’il tète, avec des effets immédiats ou à plus long terme.
À noter que les médicaments utilisables lors de la grossesse ne sont pas toujours sans risques en cours d’allaitement, et qu’à l’inverse, des médicaments à risque pendant la grossesse ne posent pas de soucis lors de l’allaitement. Ainsi, au cours de cette période également, il est recommandé d’éviter l’automédication, de ne pas arrêter les traitements prescrits ni d’en modifier la dose, d’éviter de prendre un traitement juste avant la tétée et de préciser à chaque professionnel de santé consulté que l’allaitement est maternel.
Disponible en pharmacie : les entretiens femme enceinte
Une question sur votre grossesse ? Un doute ? Depuis novembre 2022, votre pharmacien peut réaliser des entretiens femme enceinte. D’une durée de 5 à 10 minutes, accessible directement au comptoir, cet entretien remboursé s’adresse à toutes les femmes enceintes, quel que soit le stade de leur grossesse. Son but : sensibiliser aux risques liés à certains médicaments — le pharmacien s’assure bien évidemment que la patiente ne prend aucun traitement susceptible d’être tératogène ou fœtotoxique — ainsi qu’aux vaccinations nécessaires, contre la grippe, le Covid-19 et la coqueluche.
D’autres thématiques en lien avec certaines habitudes de vie (alimentation, tabagisme, consommation d’alcool) peuvent aussi être abordées. Plusieurs guides établis par l’ANSM et l’Assurance maladie seront également remis à la patiente.
Par Julien Dabjat





