Premier cancer chez les femmes, mais aussi le plus mortel, le cancer du sein se trouve au cœur de stimulantes recherches. Des avancées cliniques prometteuses ont été présentées lors d’un congrès américain. Décryptage.
Quelles sont les nouveautés thérapeutiques dans le cancer du sein ? En juin dernier, des experts internationaux en oncologie se sont réunis lors de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), à Chicago, pour présenter les derniers résultats de leurs essais cliniques.
Deux avancées majeures ont été dévoilées concernant certains cancers du sein : ceux sensibles aux hormones – les plus fréquents, avec 70 % des cas – et les HER2 positifs (15 % des cas).
Le plasma : anticiper la récidive
Détecter la rechute du cancer grâce à une prise de sang permet d’ajuster le traitement et de gagner un temps précieux. Cela a été mis en évidence par l’essai mondial Serena-6, présenté lors de l’ASCO, sur le cancer du sein hormono-dépendant ayant formé des métastases, ces cellules cancéreuses qui se répandent à d’autres parties du corps.
Les cancers du sein hormono-dépendants ont la particularité de se propager sous l’effet des hormones féminines. Si les traitements existants, les anti-aromatases, empêchent la production d’œstrogènes, certaines cellules métastatiques résistent. Avec le temps, et dans 40 % des cas, la conformation des récepteurs aux œstrogènes se modifie, mimant l’action des hormones comme si elles continuaient d’alimenter les cellules. Résultat : le cancer devient insensible au traitement.
Pour détecter précocement cette résistance et agir le plus tôt possible, les scientifiques se penchent depuis quelques années sur les biopsies liquides. Une technique qui consiste à repérer les fragments d’ADN libérés par les cellules cancéreuses grâce à une simple prise de sang. « Elle est largement utilisée dans d’autres types de cancers, par exemple pour adapter les stratégies thérapeutiques contre le cancer du poumon, mais pas encore pour le cancer du sein », explique Jean-Yves Pierga, oncologue médical à l’Institut Curie et à l’Université Paris-Cité.
« Contrôler le cancer métastatique plus longtemps »
En détectant la mutation alors que les métastases semblent encore sous contrôle sur les scanners, la surveillance biologique permet d’éclairer plus tôt la décision d’un changement de traitement hormonal. Parmi les 315 patientes incluses dans l’étude et ayant développé une résistance, la prise d’un nouveau traitement (le camizestrant) pour la moitié d’entre elles s’est montrée efficace sur le long terme. Le taux de survie sans progression du cancer était de 61 % à 1 an avec le camizestrant, contre 33,4 % avec le traitement standard (et respectivement de 30 % et 5 %, à 2 ans).
« La particularité de l’étude était de montrer qu’en agissant plus tôt, en changeant le traitement pour un autre qui présente de fortes chances de fonctionner alors même que la mutation est présente, nous pouvions empêcher la progression de la maladie plus longtemps », précise le Pr Pierga à propos de l’essai Serena-6.
Le contrôle métastatique pourrait-il être un pas de plus vers la guérison ? Une telle avancée « changerait complètement les paradigmes », souligne la Dr Barbara Pistilli, oncologue médicale et cheffe du comité pathologie mammaire à Gustave Roussy.
Des anticorps ciblant le cancer
Autres résultats encourageants présentés à l’ASCO : l’étude Destiny-Breast09, menée sur les cancers du sein HER2 positifs. Ce sous-type de cancer est caractérisé, à la surface des cellules malades, par un nombre important de protéines appelées « HER2 ». A contrario, elles sont quasi absentes des cellules saines.
Biologiquement très agressifs, ces cancers ont un fort risque de métastases, notamment cérébrales. Pourtant, aujourd’hui, ils sont « parmi les cancers les plus guérissables grâce aux traitements ciblés, quand ils sont diagnostiqués précocement », affirme la Dr Pistilli. Cela grâce aux anticorps conjugués (ADC, pour antibody-drug conjugates).
« L’anticorps arrive à se lier à la cible [ici HER2, NDLR], mais ce n’est pas un anticorps simple : il a une chimiothérapie attachée par un linker, explique-t-elle. Le linker permet de relarguer la chimiothérapie une fois dans la cellule tumorale ». Comme un cheval de Troie thérapeutique.
Dans l’essai clinique Destiny-Breast09, l’ADC utilisé était le trastuzumab deruxtecan. Sur 770 patientes atteintes d’un cancer du sein HER2+ métastatique, les résultats sont spectaculaires : une survie médiane de plus de 3 ans, contre un peu plus de 2 ans pour celles ayant suivi le traitement standard. De plus, 15 % des patientes ont eu une réponse complète. « On observe une disparition de tous les signes de la tumeur. Les examens radiologiques montrent que la maladie a complètement disparu », rapporte Barbara Pistilli. Bien que les résultats soient prometteurs, l’autorisation du traitement en première ligne n’a pas encore été obtenue.
Vers une nouvelle médecine ?
Pour les cancers HER2+ précoces, non métastasés, une autre étude (Destiny-Breast05) avec ce même ADC est en cours, dont les résultats arriveront avant fin 2025. Les scientifiques pensent que « les ADC vont remplacer la chimiothérapie d’ici une dizaine d’années », rend compte avec espoir la Dr Pistilli.
Alliée à des soins gagnant en précision, comme l’immunothérapie ou la thérapie cellulaire, la cancérologie progresse activement. Si elles prennent du temps, ces recherches engendrent toutefois de nouvelles perspectives curatives, aussi bien pour les patientes que pour les scientifiques.
Mieux vaut prévenir que guérir !
Agir en amont de la maladie permet de réduire les complications et augmente le taux de survie. Focus sur la prévention et le dépistage des cancers du sein.
Plus de 61 000 nouveaux cas de cancer du sein ont été recensés en France, en 2023, selon l’Institut national du cancer (INCa). Environ une femme sur huit y sera confrontée au cours de sa vie. Le meilleur moyen d’éviter des complications reste de prendre en charge le problème tôt : mieux vaut prévenir que guérir.
Deux préventions
« La prévention primaire est de limiter son exposition aux facteurs de risque évitables, évoque le Pr Claude Linassier, directeur du pôle prévention, organisation et parcours de soins à l’Institut national du cancer. La prévention secondaire correspond au dépistage qui permet de repérer un éventuel cancer avant tout symptôme et d’intervenir le plus précocement possible ».
Si l’âge est le principal facteur de risque, d’autres causes comportementales pèsent lourd : l’alcool, le tabac ou encore le surpoids et l’obésité. Impossible de changer ses gènes ni d’arrêter le vieillissement ; en revanche, changer son mode de vie est possible. « Rien qu’en agissant sur ces facteurs, on pourrait éviter près de 15 000 nouveaux cas chaque année ! », rappelle le Pr Linassier. Néanmoins, les années passant, une surveillance régulière reste primordiale.
Dépistage organisé
La mammographie – à effectuer tous les 2 ans dès 50 ans pour les femmes sans facteurs de risque autres que l’âge – reste l’examen de référence. Pris en charge par l’Assurance maladie, cet examen bénéficie d’une double lecture, par deux radiologues différents, permettant de repérer environ 6 % de cancers non détectés la première fois.
Près de 99 % des femmes diagnostiquées dans le cadre du dépistage organisé sont en vie après 5 ans. A contrario, prises en charge tardivement, à un stade avancé, seules 25 % sont en vie après 5 ans. Mais en 2024, trop peu encore y ont eu recours.
« La participation n’a été que de 44 % », regrette le Pr Linassier. Aussi, un examen clinique des seins est recommandé chaque année par l’INCa, dès 25 ans, à réaliser chez son généraliste, son gynécologue ou sa sage-femme.
Sensibiliser, encore et encore
Le questionnaire en ligne « Mon test prévention cancers » aide à évaluer son exposition aux facteurs de risque. S’ajoute une nouvelle campagne ciblant les 18–25 ans, avec des vidéos reprenant les codes des réseaux sociaux, qui mettent en avant des gestes simples : arrêter de fumer, limiter l’alcool, bien manger, bouger plus, etc.
Actuellement, un projet de recherche européen, baptisé « MyPeBS » (My Personal Breast Screening), vise à évaluer la pertinence d’un dépistage personnalisé des cancers du sein par rapport à l’actuel dépistage organisé. L’étude a recruté 53 143 femmes âgées de 40 à 70 ans, dans six pays différents.
« L’objectif est notamment de savoir si, pour certaines populations, l’âge et la fréquence des examens de dépistage doivent être modifiés », conclut le Pr Linassier. Les résultats sont attendus pour 2027.
Pour en savoir plus, parlez-en à votre médecin généraliste, votre gynécologue ou votre sage femme ou cliquez sur ce lien.
Par Sacha Citerne & Cléo Derwel





