Peut-on vivre longtemps et dans de bonnes conditions lorsque l’on souffre d’un diabète de type 1 ? C’est à cette question que cherchait à répondre l’étude française JUBILE publiée récemment. Le Pr Jean-Jacques Altman, diabétologue à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris, nous en explique les principes et les principales conclusions.
Alors que l’incidence du diabète de type 1 (DT1) et que l’espérance de vie des patients augmentent, la question de la qualité de vie n’est pas anodine. En ce sens, les données recueillies auprès de plus de 800 patients atteints de DT1 depuis au moins 40 ans ont permis d’y voir plus clair et d’apporter enfin une réponse optimiste au million de personnes atteintes dans le monde.
Pourquoi réaliser une telle étude ?
Pr Jean-Jacques Altman : L’idée de cette étude a germé il y a une vingtaine d’années. À l’époque, nous avons constaté que certains de nos patients présentaient des complications qui ne surviennent qu’après de longues décennies vécues avec la maladie. Il y avait donc des patients qui avaient 30-40 ans de diabète alors qu’au début de ma carrière, 20 ans plus tôt, l’espérance de vie d’un DT1 était très réduite. Avec une collègue, nous avons réalisé une petite étude, sur une quarantaine de nos patients qui avaient 40 années de diabète, sur la base d’un court questionnaire, disons “sentimental”, avec des items portant sur la qualité de vie : « Est-ce que vous avez des enfants ? Est-ce que vous travaillez ? Est-ce que vous voyagez ?… ». En dépouillant les résultats, nous avons eu la bonne surprise de constater que, finalement, malgré le handicap, puisqu’ils étaient tout de même assez malades, ils avaient des qualités de vie tout à fait convenables. Cela m’a donné l’idée de faire ces analyses au niveau national et de manière plus “scientifique”.
Comment avez-vous procédé pour recueillir les données ?
Nous avons établi notre questionnaire à remplir par les patients avec un peu plus de 60 questions pour une vingtaine de minutes. Les items portaient sur le lieu de vie, la situation maritale, le nombre d’enfants et de petits-enfants… Nous avions également intégré beaucoup d’items sur la scolarité, les études, la vie professionnelle, les arrêts de travail, la retraite et la vie distractive (voyages, repas, associations, sorties culturelles…). Un second questionnaire, médical cette fois, devait être complété par le médecin. Il prenait 5 minutes, avec des questions classiques sur les grandes caractéristiques biologiques et le listing des éventuelles complications depuis le début de la maladie. Au total, nous avons envoyé environ 1 200 questionnaires notamment via les associations de patients et les sociétés médicales, pour 808 retours, ce qui représenterait la moitié des malades français avec au moins 40-50 ans de maladie. 35 hôpitaux ont participé, et les 22 (anciennes) régions de France métropolitaine étaient représentées.
Quels sont les principaux résultats cliniques ?
En moyenne, les patients avaient 49 ans de diabète. La première bonne surprise est qu’il est possible de vivre 50 ans avec un diabète de type 1 et peu de complications. À titre d’exemple, “seuls” 32 % des patients ont eu des complications macroangiopathiques (cerveau, coeur et jambes), 46 % des patients n’ont pas eu de rétinopathie ou non proliférative. La filtration glomérulaire n’était pas mauvaise en moyenne, et seuls 3 % des patients étaient en dialyse ou transplantés. Le bilan de complications était donc loin d’être catastrophique. L’équilibre glycémique était moyen, avec une hémoglobine glyquée à 7,4 %. Il a également été retrouvé que ces patients se surveillaient beaucoup (5 à 7 contrôles glycémiques par jour), pourtant, à l’époque, le Free- Style® Libre, qui simplifie l’autosurveillance, n’existait pas. Ils n’étaient donc pas en mauvaise santé organique.
Et en termes socioculturels ?
Nous n’avons pas observé de différences entre les patients urbains ou ruraux. Les personnes interrogées avaient un niveau socioculturel assez élevé, avec 38 % d’entre elles ayant fait des études supérieures, ce qui est très au-dessus de la moyenne nationale. Aucun “névrosisme” particulier n’a été mis en évidence, avec des résultats comparables à ceux d’une population non diabétique. Dans l’item « nombre d’enfants », il s’avère qu’ils en avaient un peu moins que la moyenne française à l’époque. À noter que dans tous les ouvrages de diabétologie des années 1960, la grossesse était formellement contre-indiquée en cas de diabète de type 1, car on recensait 50 % de morts maternelles et 30 % de morts fœtales. 50 ans plus tard, ces grossesses se passent quasiment aussi bien que pour le reste de la population et cela a dû s’améliorer depuis. Après tout, l’étude a été réalisée il y a presque 10 ans, il s’agit donc de patientes qui ont débuté leur diabète dans les années 1970, 10 années après le veto sur les grossesses chez les DT1.
Qu’en est-il de la qualité de vie plus précisément ?
Concernant les nombreux items relatifs à la qualité de vie, les patients sont globalement actifs. Nous avons constaté par exemple que le départ à la retraite était légèrement plus tardif que pour la moyenne française de l’époque. Ces patients avaient eu très peu d’arrêts de travail. La grande majorité avait le permis de conduire, voyageait régulièrement en France et dans le monde, même par avion. Il y a assez peu de plaintes, voire pratiquement aucune, concernant la qualité de vie. Au contraire, certains trouvaient que leur diabète les avait finalement stimulés et estimaient que leur qualité de vie n’était pas inférieure à celle des personnes non diabétiques.
Que peut-on en conclure ?
À l’annonce du diagnostic de DT1, les parents posent des questions très variables selon les familles : « pourquoi lui ? » ; « c’est quoi l’auto-immunité ? »… La seule question que tous les parents posent systématiquement est « que va-t-il devenir ? ». D’une certaine façon, l’étude JUBILE y répond : contrairement aux idées reçues (quand on est diabétique, on va forcément finir par être dialysé, amputé, aveugle, stérile, impuissant…), un diabétique peut avoir une belle qualité de vie. Et c’est de plus en plus vrai. Nous pouvons clairement conclure qu’il est possible d’être heureux, d’avoir une vie de famille, un beau parcours professionnel, une vie socioculturelle active, d’être normal psychologiquement, malgré une maladie qui est tout de même lourde.
« Certains trouvaient que leur diabète les avait finalement stimulés et estimaient que leur qualité de vie n’était pas inférieure à celle des personnes non diabétiques. »
Le diabète
Il existe différents types de diabète. Dans tous les cas, il s’agit d’une augmentation du taux de sucre dans le sang (glycémie). Les trois principaux sont :
- Diabète de type 1 : 5 à 10 % des cas. Il apparaît majoritairement dans l’enfance et est dû à la destruction des cellules du pancréas qui produisent l’insuline, une des hormones qui régulent la glycémie. Le corps n’en produit plus assez, voire plus du tout, et ne peut plus contrôler le taux de sucre sanguin. Un traitement médicamenteux est indispensable.
- Diabète de type 2 : 90 % des cas. Il apparaît généralement chez des personnes en surpoids après 40 ans et est dû à l’apparition d’une résistance du corps à l’action de l’insuline et/ou une diminution de sa production. Un meilleur équilibre alimentaire associé à de l’activité physique peuvent permettre de repousser le recours à un traitement.
- Diabète gestationnel : 3 à 20 % des femmes enceintes. Il n’apparaît que lors d’une grossesse. Il nécessite une surveillance rapprochée et une prise en charge adaptée en raison des risques pour le fœtus et la maman. Il est généralement réversible.
Le diabète peut être à l’origine de complications graves, notamment au niveau des reins, des yeux, du système cardiovasculaire, des pieds… Un suivi et une prise en charge sont indispensables.
Propos recueillis par Marianne Carrière





