L’entorse est souvent négligée, jugée « peu grave » par rapport à une fracture. Elle n’a pourtant rien de bénin. Afin de ne pas faire d’entorses aux bonnes pratiques, Vocation Santé a demandé l’avis à un spécialiste. Entretien avec le Dr Romain Rousseau, chirurgien du sport à la clinique Nollet Paris, à l’IMS Victoire et au département médical de l’INSEP.
Propos recueillis par Sacha Citerne
« Démarrer une activité sans préparation, après une longue période d’inactivité, est une des principales causes d’entorses. »
Vocation Santé : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une entorse et comment elle survient au niveau anatomique ?
Dr Romain Rousseau : L’entorse est une lésion ligamentaire qui peut aller d’une simple distension jusqu’à une rupture complète. Les ligaments sont des structures anatomiques reliant deux os et stabilisant une articulation. Ils empêchent cette dernière de se déplacer anormalement. Lors d’une entorse, les fibres du ligament sont endommagées. La gravité dépend de la quantité de fibres touchées : une entorse bénigne implique une distension sans rupture, tandis qu’une entorse grave correspond à une rupture complète. Un grade intermédiaire survient lorsqu’une partie des fibres est rompue. Dans les cas les plus graves, une luxation peut se produire : il y a alors une perte de contact articulaire due à la rupture complète des ligaments.
Quels signes permettent de reconnaître une entorse et de la différencier d’une luxation ou d’une fracture ?
Une entorse se manifeste par une douleur aiguë, un gonflement rapide et parfois une sensation de « craquement » ou de déboîtement articulaire. Un épanchement peut apparaître dans les heures qui suivent. Il est quasiment impossible pour un patient de différencier les stades de gravité d’une entorse. La luxation, quant à elle, est plus grave et implique la rupture de plusieurs ligaments et une perte de contact entre les os, rendant l’articulation instable. À l’inverse, une fracture concerne une lésion de l’os lui-même. Ces distinctions sont subtiles, mais importantes, et dans tous les cas, un avis médical est nécessaire.
70 % : de la population subit une entorse latérale de cheville dans sa vie, ce qui en fait la pathologie traumatique la plus fréquente.
Source : Haute Autorité de Santé (HAS).
Quelles sont les causes les plus fréquentes des entorses ?
Les entorses surviennent principalement lors d’activités sportives. Les sports impliquant des rotations ou des pivots, comme le football, le ski ou le tennis, exposent particulièrement les chevilles et les genoux. Les accidents domestiques constituent la deuxième cause d’entorse : rater un trottoir ou se tordre la cheville dans un escalier, par exemple.
Y a-t-il des prédispositions aux entorses ?
Oui. Certaines personnes présentent une hyperlaxité congénitale : leurs ligaments sont trop élastiques, ce qui les rend plus vulnérables. Cette fragilité est liée à une qualité moindre du collagène au niveau des tissus ligamentaires. Certains facteurs, comme un déficit musculaire, peuvent également jouer un rôle. Un manque de tonicité musculaire affecte la proprioception, c’est-à-dire la capacité des muscles à maintenir une articulation stable lors d’un mouvement brusque. C’est pourquoi il est crucial de se préparer physiquement avant de pratiquer des sports à risque. Démarrer une activité sans préparation, après une longue période d’inactivité, est une des principales causes d’entorses. Enfin, des antécédents d’entorses mal soignées augmentent significativement le risque d’entorses répétées.
Même pour les sportifs réguliers, l’échauffement est-il toujours essentiel ?
Oui. L’échauffement est une étape clé, même pour les pratiquants réguliers. Il inclut des exercices d’équilibre et de renforcement musculaire dynamique qui aident les muscles à réagir efficacement en cas de mouvement anormal de l’articulation. La fatigue est un autre facteur aggravant. Lorsqu’on est fatigué, qu’il s’agisse d’une fatigue générale, d’une déshydratation ou d’un effort prolongé, les muscles compensent moins bien, augmentant ainsi le risque d’entorse.
En cas d’entorse, quels sont les gestes immédiats à adopter ? Le protocole RICE : Repos, Ice (glace), Compression et Élévation, est-il toujours pertinent ?
Les premiers gestes sont déterminants. La compression, avec un bandage ou des bas de contention, limite l’œdème et l’hématome. L’application de glace, le repos et l’immobilisation sont également importants. Cette dernière peut être relative : utiliser des cannes pour limiter la marche, par exemple.
L’élévation, pour les membres inférieurs, est aussi cruciale pour éviter un gonflement excessif. Le protocole RICE reste donc une référence. Cependant, la prescription d’anti-inflammatoires au stade aigu fait encore débat aujourd’hui. Cela passera de toute façon par une prescription médicale.
Comment savoir si une entorse est grave et nécessite une consultation ?
En réalité, toute entorse mérite un avis médical. Ce type de blessure est souvent banalisé, mais il est difficile pour un patient d’évaluer la gravité. Une entorse grave, non traitée, peut entraîner des séquelles importantes, comme une instabilité chronique.
Un diagnostic médical est essentiel. Une radiographie permet d’exclure une fracture. Bien que cela ne suffise pas toujours à évaluer les lésions ligamentaires, elle reste une étape importante pour orienter la prise en charge. Des examens comme l’échographie ou l’IRM sont nécessaires selon les cas [voir plus bas].
Quels traitements sont envisagés en cas de lésion importante ? La chirurgie est-elle parfois nécessaire ?
Les traitements dépendent de la gravité de l’entorse. En cas de rupture complète, une immobilisation temporaire peut permettre une cicatrisation naturelle, notamment pour le ligament latéral interne du genou, qui guérit bien avec une attelle portée pendant six semaines.
Cependant, certains ligaments, comme le croisé antérieur, cicatrisent mal. Dans ces cas, on privilégie un traitement fonctionnel, incluant une rééducation rapide pour éviter la fonte musculaire et développer les muscles compensateurs.
Pour les sportifs ou en cas d’instabilité chronique, une intervention chirurgicale peut être nécessaire, par exemple pour reconstruire un ligament croisé ou stabiliser une cheville.
Quelles pratiques favorisent une meilleure récupération après une entorse ?
Pour optimiser la récupération, plusieurs techniques sont efficaces : la cryothérapie (application de glace) pour réduire l’inflammation, le drainage pour limiter l’œdème et la mobilisation passive de l’articulation dès que l’immobilisation n’est plus nécessaire. Une fois l’articulation stabilisée, des exercices isométriques, qui permettent de contracter les muscles sans bouger l’articulation, sont indispensables pour restaurer la force musculaire et éviter les séquelles.
Un dernier message pour nos lecteurs ?
Oui, n’oublions pas que l’entorse est un véritable diagnostic, et non simplement une douleur passagère. Tout traumatisme de l’appareil locomoteur doit être évalué par un professionnel. Le bon diagnostic permet d’éviter les complications et de retrouver une fonction articulaire optimale. •
« L’échographie est le meilleur examen pour les entorses ! »
« Trop souvent des patients passent aux urgences, font une radio, celle-ci est normale, et on leur dit que c’est une entorse. Mais cela ne veut rien dire ! », constate le Dr Romain Rousseau. Tout n’est pas entorse, et une simple radiographie permet seulement d’exclure une fracture. En effet, dans l’inconscient collectif l’entorse se trouve être « tout traumatisme à radio normale » comme le caractérise le chirurgien, sauf qu’il peut y avoir des erreurs sur la gravité du traumatisme en banalisant l’entorse. La radio peut être normale sans que d’importantes lésions ligamentaires ne soient diagnostiquées. « L’échographie est le meilleur examen pour les entorses ! rappelle le Dr Rousseau, notamment pour les petites articulations (poignet, cheville), grâce à ses manœuvres dynamiques ». Pour ce qui est des articulations plus profondes comme le genou ou l’épaule, l’IRM est à privilégier bien que celle-ci soit plus difficile d’accès au niveau du coût et souvent plus complexe à interpréter. Dans tous les cas, après une blessure traumatique, une consultation médicale adaptée est essentielle pour évaluer la situation, définir l’immobilisation, prévoir la rééducation, etc.
Conseil du Dr Romain Rousseau
En cas de traumatisme, consultez un médecin du sport ou un chirurgien orthopédique le plus vite possible – dans les 10 jours maximum – pour définir les soins adaptés.





