Longtemps associée à une mauvaise hygiène alimentaire, la goutte serait davantage imputable à la génétique qu’à la malbouffe.
Par Julien Dabjat
Vous êtes réveillé en plein milieu de la nuit par une sensation de brûlure très intense au niveau du gros orteil. Votre articulation est rouge, gonflée, chaude, et surtout, extrêmement douloureuse. Ce sont les symptômes de la crise de goutte. Un rhumatisme inflammatoire qui évolue par poussée, et qui résulte de l’accumulation de cristaux d’acide urique dans certaines articulations.
« L’acide urique est un déchet produit par la dégradation des protéines produites par le corps humain ou qui proviennent de l’alimentation, explique le Pr Tristan Pascart, chef de service en rhumatologie à l’Hôpital Saint-Philibert à Lille. Il a potentiellement un petit rôle positif, avec des vertus antioxydantes, et d’autres fonctions encore inconnues. Mais il va poser problème lorsqu’il se retrouve en excès ».
En effet, lorsque sa concentration sanguine est trop importante, cet acide se solidifie et se dépose au niveau des articulations. Ce qui peut, à terme, provoquer une inflammation.
La maladie des rois
Autrefois qualifiée de « maladie des rois », la goutte traine l’image d’une maladie associée à une alimentation riche. « Très longtemps, les patients étaient considérés, à tort, comme des bons vivants, qui mangent et boivent en trop grande quantité, raconte le Pr Pascart. Car les protéines animales, lorsqu’elles sont dégradées, vont générer de grandes quantités d’acide urique. C’est aussi le cas des fruits de mer, de l’alcool, ou encore des sodas sucrés via le fructose ». Sauf que, dans la pratique « nous nous sommes aperçus que c’est avant tout une histoire d’hérédité : lorsqu’il y a de la goutte dans votre famille, vous êtes plus à risque de la développer également », tient à souligner le rhumatologue.
Ce caractère héréditaire s’expliquerait par la transmission de mutations génétiques qui affectent les transporteurs charger d’éliminer l’acide urique dans les urines. Ce qui, à terme, entraînerait son accumulation dans l’organisme. « Donc, quoi qu’elles fassent, les personnes qui ont ces mutations auront trop d’acide urique à un moment », rajoute le Pr Pascart.
Le cas de la Polynésie française
Pour mieux comprendre les origines de la goutte, le Pr Pascart a dirigé une étude sur le cas particulier de la Polynésie française où la goutte est particulièrement présente. « Nous savions que les Polynésiens avaient un risque plus important de goutte qu’ailleurs dans le monde. Mais nous n’avions pas les chiffres exacts », confie-t-il. Les résultats de ce travail, publié en avril dernier dans la revue scientifique The Lancet, ont permis d’évaluer à un peu moins de 15 % la part de Polynésiens touchés par la goutte, contre environ 1 % en métropole ! « Ces résultats ne peuvent être expliqués autrement que par la génétique. Des analyses approfondies sont en cours, mais la tendance semble se confirmer », affirme le Pr Pascart.
D’autres mutations, qui prédisposeraient les patients à être plus sensibles à l’inflammation générée par les cristaux d’acide urique, renforcent cette idée. « C’est un peu la double peine, non seulement il y a des mutations qui font monter le taux d’acide urique, mais il y en a aussi qui rendent plus sensible à l’inflammation », explique le Pr Pascart. De quoi battre en brèche les idées reçues bien ancrées sur la goutte : « La maladie a encore l’image d’être auto-infligée par de mauvaises habitudes alimentaires, ce qui est faux. Il y a finalement une part assez minime de ces facteurs-là. C’est avant tout une histoire de mauvaise régulation du corps qui fait que tôt ou tard, les gens qui sont prédestinés feront une crise. »
L’alimentation toujours importante
Pour autant les mesures hygiéno-diététiques restent très importantes. Pour la santé en général, mais aussi dans la gestion des maladies chroniques souvent associées à la goutte : maladies cardiovasculaires, diabète, insuffisance rénale ou encore obésité. « Le lien avec ces comorbidités va un peu dans les deux sens. Elles vont augmenter le risque de goutte et une fois déclarée, la goutte va aussi les aggraver. Par exemple, une personne qui a la goutte a environ 6 fois plus de risques d’avoir un problème cardiovasculaire, comme un AVC ou un infarctus, que la population générale », explique le Pr Pascart.
Autant de maladies où les habitudes de vie jouent un rôle déterminant. « Donc le principe c’est de bien manger, de faire du sport, pour être en meilleure santé, ce qui va avoir un impact positif sur la goutte. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que les règles hygiéno-diététiques, à elles seules, permettent d’être hors d’atteinte. Pour la goutte, ce sont les traitements qui permettent de contrôler la maladie », conclut le Pr Pascart.
Quels traitements disponibles ?
Il existe deux grandes catégories de traitement médicamenteux pour la prise en charge de la goutte. Celui de crise, qui vise à calmer l’inflammation de l’articulation, et celui de fond, pour diminuer le taux d’acide urique et éviter les récidives. Ce dernier doit être pris à vie. Il existe également des mesures non médicamenteuses pour soulager la douleur comme l’application de froid sur l’articulation concernée, en veillant à protéger la peau d’une éventuelle brûlure, ou le port d’orthèse pour soulager l’articulation. Parlez-en à votre médecin ou à votre pharmacien.
Goutte et taux d’acide urique, un lien pas toujours évident
C’est l’un des éléments qui renforce l’idée d’une prédisposition génétique dans la goutte : un taux d’acide urique élevé n’est pas forcément synonyme de crise. L’Association française de lutte antirhumatismale estime qu’environ 10 % des patients qui ont trop d’acide urique développent une goutte.
Quelques données sur la goutte





