Dans les années 1920, des produits du quotidien pas comme les autres se vendaient à travers le monde. Leur particularité ? Ils contenaient des éléments radioactifs. Retour sur une tendance dont l’humanité se serait bien passée.
Du laboratoire à la salle de bains
L’histoire de la radioactivité remonte à la fin du XIXe siècle, notamment avec les travaux de Pierre et Marie Curie. Pour mieux comprendre un étrange rayonnement émis par certains minéraux, Marie Skłodowska- Curie examine précautionneusement plusieurs tonnes de roches suspectes. Son acharnement paye, elle finit par identifier un nouvel élément chimique : le radium. Cet atome est radioactif, cela signifie que son noyau est instable et que, lorsqu’il se désintègre, il émet des particules de matière ainsi que de l’énergie. La compréhension de ses propriétés permettra à Pierre et Marie Curie de décrocher le fameux prix Nobel de Physique en 1903. Rapidement, la radioactivité est utilisée dans le monde médical avec la curiethérapie, une technique révolutionnaire qui permet de traiter une tumeur en l’exposant à un élément radioactif.
Pendant ce temps, les industriels regardent de près l’engouement porté à la radioactivité. Ces éléments qui semblent miraculeux pourraient bien avoir d’autres applications…
Les « bienfaits » de la radioactivité
Au début des années 1920, un pharmacien d’origine libanaise s’associe à Alfred Curie, qui n’avait pourtant aucun lien avec Pierre et Marie Curie, pour déposer une nouvelle marque de cosmétiques : Tho-Radia. Sous couvert du slogan « recommandés par le Dr Curie », les produits surfent sur la vague de la microcuriethérapie, une théorie sans réel fondement scientifique stipulant que la radioactivité stimulerait les cellules et leur rendrait de l’énergie. Leurs produits phares contiennent donc tous une dose infime de radium. On lui prête des propriétés antirides et une Miss France devient même l’égérie de la marque Tho-Radia.
Au-delà des crèmes pour le visage, la radioactivité s’invite dans de nombreux objets du quotidien, en France comme ailleurs. On retrouve du radium et d’autres atomes radioactifs dans des marques de sous-vêtements, de lait ou encore de suppositoires ! Par exemple, la laine traitée Oradium vante les bienfaits d’une « saine et douce chaleur radioactive » pour tricoter les habits des nourrissons.
Anguille sous roche …
Pourtant, de nombreuses morts suspectes dans le milieu médical et les résultats des scientifiques inquiètent les autorités sanitaires. Le radium serait-il, après tout, dangereux pour la santé ? En 1925, une commission où siégeait Marie Curie met en garde les industriels et recommande l’aération des usines travaillant avec des composés radioactifs. Aux États-Unis, le scandale des Radium Girls défraie la chronique. Rapidement, le verdict tombe, la radioactivité tue. En se désintégrant, les atomes radioactifs émettent un rayonnement qui endommage gravement l’ADN et favorise notamment le développement de tumeurs pouvant conduire à des cancers. C’est par exemple le cas pour Marie Curie frappée par une violente leucémie qui lui sera fatale, suite à son exposition fréquente à des radiations. Sa dépouille repose désormais au Panthéon, dans un cercueil contenant une couche de plomb, car elle émettrait encore un dangereux rayonnement.
De nouvelles lois restreignant l’utilisation des éléments radioactifs dans les produits du quotidien ainsi que la peur des populations mettent rapidement un terme aux marques utilisant du radium. C’est la fin de l’ère radioactive.
Aujourd’hui, la radioactivité est limitée à des fins très précises et encadrées. On utilise toutefois encore la curiethérapie pour traiter certaines formes de cancer comme celui du col de l’utérus ou bien de la prostate.
Le terrible destin des radium girls
En plus de ses vertus cosmétiques, les produits radioactifs étaient également utilisés pour faire briller les objets. En réalité, ce n’était pas le radium en lui-même qui provoquait un faible dégagement de lumière mais son action sur les atomes de zinc. Cette technique était prisée dans de nombreux domaines, et particulièrement pour la fabrication de montres qui permettraient de lire l’heure, même dans le noir !
Dans une usine américaine, les ouvrières qui peignaient le cadran et les aiguilles des montres avec de la peinture radioactive étaient encouragées à façonner leur pinceau avec les lèvres. Comme leurs supérieurs leur assuraient que ce produit était absolument sans danger, elles ont également commencé à se vernir les ongles avec ou bien appliquer cette peinture sur leurs dents afin de surprendre leur compagnon une fois la nuit tombée. Cela n’a malheureusement pas été sans conséquence.
Dans les mois qui suivirent, ces femmes ont commencé à souffrir de problèmes dentaires qui dégénéraient rapidement en une nécrose totale de la mâchoire. Le radium s’était, en réalité, incorporé dans leurs os à la place du calcium et les détruisait littéralement de l’intérieur. Si la hiérarchie a tenté d’étouffer l’affaire en concluant que les ouvrières souffraient de la syphilis, un long procès donna raisons aux malades : c’est bien la peinture qui les avait empoisonnées. Malheureusement, la plupart des travailleuses moururent de cette maladie professionnelle pas comme les autres mais la triste histoire des Radium Girls permit de mettre en lumière la dangerosité de la radioactivité.
Sources principales
- La beauté radioactive par Jean-Claude Le Joliff
- Tho-Radia : l’histoire d’une gamme au-delà de la cosmétique par Thierry Lefebvre et Cécile Raynal
- Glowing in the Dark – The Radium Girls, vidéo créée par Today I Found Out
Par Baptiste Gaborieau