« Manger bio réduit de 25 % les risques de cancer ». Voilà comment, fin octobre, les titres de presse reprenaient une étude française publiée la veille dans la revue JAMA Internal. Que disent réellement les chiffres ? Faut-il vraiment revoir toute notre alimentation et passer au bio ?
Comment l’étude a-t-elle été réalisée ?
L’étude, menée par des chercheurs de l’Inra, recense 68 946 participants, qui ont répondu à l’enquête en ligne Nutrinet. Un échantillon important, et donc sérieux, suivi sur une moyenne de 5 ans. Le questionnaire portait sur le mode d’alimentation : si les participants consommaient du bio « jamais », de temps en temps, la plupart du temps ou souvent. Et ce, pour 16 sous-groupes alimentaires, distinguant les fruits des légumes, des viandes, du vin, des compléments alimentaires ou encore des plats préparés.
Les participants sont ensuite classés en quatre groupes, en fonction de leur consommation de bio. En parallèle, les chercheurs ont simplifié ce score, pour ne prendre en compte que les aliments qu’ils considéraient comme les plus riches en pesticides, à savoir les fruits et légumes, les dérivés de soja, la farine ou les légumineuses par exemple.
Y a-t-il réellement une réduction de 25 % des cancers ?
Entre 2009 et 2016, 1 340 cancers se sont développés parmi les 68 946 participants. Si l’on compare le groupe le moins consommateur de bio (Q1) et les plus gros consommateurs de bio (Q4), ces derniers avaient 25 % de cancers en moins, tous cancers confondus. Les résultats avancés dans la presse sont donc corrects.
Pour les cancers du sein post-ménopause, ce risque était réduit de 34 %, et pour le lymphome non hodgkinien de 76 %. Des résultats impressionnants, qui, pour les autres types de cancer, comme celui de la prostate, n’étaient pas significatifs. Seulement, lorsque l’on regarde les chiffres de plus près, le nombre de cancers est minime. Il y a effectivement une baisse de 25 %, mais pour passer de 115 cancers chez les Q1 à 108 cancers chez les Q4. Ainsi, si l’on prend en compte le risque absolu, la réduction du nombre de cancers est de 0,6 %. En d’autres termes : en 7 ans, ceux qui ne mangeaient pas de bio étaient 2,1 % à développer un cancer, et ceux qui mangeaient bio très fréquemment étaient 1,5 %. De quoi relativiser…
Des données contrastées
Autre problème : les données ne sont parfois pas linéaires. Par exemple, lorsque l’on se penche sur le classement simplifié, en fonction des aliments les plus enclins aux pesticides, l’augmentation de cancers du sein devient bien moins significative. Par ailleurs, les Q4 développent plus de cancers de la peau que les Q1 (HR : 0,79 vs 0,53). Il en faudrait donc peu pour conclure que manger bio favorise le cancer de la peau….
Une précédente étude sur le sujet, étudiant plus de 600 000 femmes, n’avait pas montré de différence d’incidence des cancers entre consommateurs de bio et d’aliments conventionnels. L’Inra le rappelle d’ailleurs dans un communiqué de presse : « Les rares données épidémiologiques disponibles ne sont pas suffisantes à l’heure actuelle pour conclure à un effet protecteur de l’alimentation bio sur la santé. »
Quelques biais à prendre en compte
Un facteur confondant paraît évident : les personnes qui mangent bio ont également un mode de vie plus sain, avec une activité physique plus fréquente et une alimentation plus équilibrée. Bien sûr, les chercheurs y ont pensé et l’ont pris en compte pour réajuster les données en fonction du mode de vie, du sexe ou encore de la situation socio-économique.
C’est une bonne chose, car effectivement les groupes sont très hétérogènes : le groupe des faibles consommateurs de bio intégrait plus d’ouvriers, d’hommes, avec une faible activité physique et une consommation accrue de viande rouge ou de viande transformée. D’ailleurs, les chercheurs précisent étonnamment que leurs résultats ne sont pas significatifs pour tout le monde : ni pour les hommes, ni pour les jeunes adultes, ni pour les personnes ayant un régime hautement diététique, ni pour les fumeurs ou les personnes ayant fait peu d’études. C’est restreint.
Où sont les pesticides ?
Plusieurs problèmes se posent. L’étude ne donne aucune information sur un certain nombre de données, comme l’exposition professionnelle, l’origine et la durée des produits consommés ou encore les prédispositions génétiques. Par ailleurs, et c’est un point crucial, nul ne sait la dose de pesticides présente dans la nourriture ingérée par ces 70 000 personnes.
Pourtant, les auteurs ne cessent, au fil de l’article, de sous-entendre un lien entre pesticides et cancer. Si la piste est intéressante, rien ne permet d’en prouver ici la causalité. Et, contrairement aux idées reçues, les produits bios sont simplement exempts de pesticides de synthèse, mais pas de biopesticides (voir encadré).
Finalement, doit-on tous manger bio ?
L’étude est intéressante et surtout bien construite. Elle devrait ouvrir la voie à d’autres recherches, notamment sur le lymphome non hodgkinien. De précédentes études ont d’ailleurs questionné la nocivité des pesticides de synthèse chez les agriculteurs qui les manipulent au quotidien. Dans cette population, ils sont susceptibles de favoriser la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et le lymphome.
Cependant, si le bio a réellement un intérêt sanitaire, encore faut-il montrer comment et quels pesticides entrent en jeu. Quoi qu’il en soit, cela ne doit en aucun cas détourner les consommateurs d’une alimentation équilibrée, bio ou non, riche en fruits et légumes. Rappelons enfin que le tabac, l’alcool et la sédentarité restent les habitudes les plus faciles à changer pour éviter un cancer. Tout comme une alimentation pauvre en fibres et trop riche en graisses saturées. En réponse à cet article, des chercheurs en épidémiologie et nutrition de l’université de Harvard ont d’ailleurs expliqué dans la revue JAMA que : « Les préoccupations liées aux risques dus aux pesticides ne devraient pas décourager la consommation de fruits et légumes conventionnels, en particulier parce que les produits biologiques sont souvent chers et inaccessibles à de nombreuses populations. »
Quels pesticides sont utilisés en bio ?
La moitié des consommateurs pensent que alimentation biologique équivaut à zéro pesticide. Or, contrairement aux idées reçues, les agriculteurs bio peuvent utiliser des pesticides. Mais simplement des pesticides naturels, ou biopesticides, et non de synthèse. Certains de ces biopesticides, bien que naturels, peuvent eux aussi être dangereux. C’est le cas par exemple de l’huile de neem, extraite de l’arbre du même nom, responsable de la mort d’abeilles et de perturbations endocriniennes. D’autres produits utilisés en bio sont également loin d’être écologiques. C’est le cas du cuivre, un minéral naturel répandu sous la forme de sulfate de cuivre sur les champs bio. Il peut s’accumuler dans les sols, rester de nombreuses années, et détruire ainsi la vitalité de ce sol.
Quelques chiffres
- 8,3 % C’est la part d’agriculture biologique en France (source Agreste 2017)
- 7 français sur 10 consomment du bio au moins une fois par mois (Source : Baromètre agence Bio)
- Fruits, légumes et produits laitiers sont les aliments les plus consommés en bio, devant la viande ou les produits d’épicerie (Source : Baromètre agence Bio)
Par Léa Galanopoulo





