Le système de santé français – classé dans les années 2000 parmi les meilleurs du monde – traverse une crise profonde. Claire Feinstein, réalisatrice de documentaires, Matthieu Calafiore, médecin généraliste et maître de conférence, et d’autres soignants de toutes spécialités pour porter leurs voix.
Quelles sont les raisons à l’origine de ce documentaire ?
Claire Feinstein : C’est une envie de rendre hommage aux soignants. Pendant la crise Covid, nous étions tous à nos fenêtres, nous les avons applaudis et, une fois le confinement terminé, nous avons repris nos vies. On continuait à voir dans les médias des images de soignants qui luttaient pour sauvegarder notre système de santé mais on ne les écoutait pas. Ils étaient montés au front, ils avaient risqué leur vie pour nous et on les abandonnait.
Quel message avez-vous cherché à faire passer ?
Claire Feinstein : On a l’impression que les soignants sont là, immuables. Même en grève, ils sont présents, un brassard sur le bras. Notre système de santé est un pilier de notre société, c’est une chance incroyable et il repose sur eux.
Il est temps pour nous, en tant que citoyens, d’exiger de nos politiques qu’ils se penchent sérieusement sur la question de ce système en danger. C’est un cri d’alarme.
Qu’avez-vous ressenti suite à tous ces témoignages ?
Matthieu Calafiore : Ce qui m’a le plus frappé, c’est le sentiment d’unité qui se dégage du documentaire. Je ne connaissais que deux intervenants sur la vingtaine interrogée et pourtant, tous faisaient face aux mêmes difficultés, tous tenaient le même discours que moi. Nous sommes tous de spécialités différentes et nous pensons tous la même chose. J’ai été ému d’entendre d’autres soignants poser des mots sur ce que je ressens au quotidien.
Claire Feinstein : J’en suis sortie avec le sourire, je me suis dit que ça faisait du bien d’avoir des gens comme ça dans notre société. Heureusement qu’il y a encore des soignants qui s’engagent, qui tiennent le coup. J’ai éprouvé une admiration folle mais aussi une profonde tristesse. On avait un si bel outil et on l’a abîmé. J’oscille selon les jours, j’ai envie de croire que nous allons réussir à sauver ce système mais parfois je me dis que nous sommes mal partis.
« On avait un si bel outil et on l’a abîmé »
Parmi tous ces témoignages, qu’est-ce qui vous a le plus ému ?
Claire Feinstein : Le témoignage d’Hibatullahi Trraf, la cheffe de la pédiatrie de Montluçon, m’a bouleversé. Je ne pensais pas qu’on pouvait, dans un centre hospitalier de cette taille, se retrouver dans une situation aussi dramatique. Elle était la seule pédiatre titulaire pour un bassin de population de plus de 140 000 habitants. Elle travaillait avec deux autres pédiatres à diplôme étranger, qui ne pouvaient donc pas exercer sans son aval. Quand nous l’avons rencontrée, elle était appelée pour toute décision par ses collègues, même lorsqu’elle n’était pas de garde. Elle était donc d’astreinte 24 heures sur 24. C’est inhumain. Sa santé était en jeu. J’ai vu un médecin en danger physiquement et ça m’a complètement bouleversée.
Matthieu Calafiore : C’est le fait qu’on cherche à rendre l’hôpital public rentable, notamment avec la tarification à l’activité (T2A) lancée en 2004. Je ne pense pas que l’hôpital doive être rentable, nous avons pour mission de soigner les gens, pas de gagner de l’argent. Par-dessus ça, on nous intime de faire toujours plus avec toujours moins, tout en nous disant que nous sommes des fainéants si nous ne voulons ou n’y arrivons pas. « Nous avons pour mission de soigner les gens, pas de gagner de l’argent »
Qu’est-ce qui vous met le plus en colère dans le délitement organisé de l’hôpital public ?
Matthieu Calafiore : C’est le fait qu’on cherche à rendre l’hôpital public rentable, notamment avec la tarification à l’activité (T2A) lancée en 2004. Je ne pense pas que l’hôpital doive être rentable, nous avons pour mission de soigner les gens, pas de gagner de l’argent. Par-dessus ça, on nous intime de faire toujours plus avec toujours moins tout en nous disant que nous sommes des fainéants si nous ne voulons ou n’y arrivons pas.
Qu’attendez-vous pour la suite ?
Matthieu Calafiore : J’aimerais que le ministre de la Santé visionne ce documentaire et peut-être que mes étudiants le visionnent aussi, que ça aide à faire avancer les choses. Si nous réagissons maintenant, si nous prenons les bonnes mesures nous pouvons arriver à sauver l’hôpital public et la médecine de ville. Je me force à rester optimiste, sinon nous allons voir notre système s’effondrer pour de bon.
Claire Feinstein : Nous allons continuer à faire entendre les paroles des soignants, à organiser des projections partout en France. Nous espérons pouvoir projeter le film à l’Assemblée nationale et que les députés de tous bords politiques s’emparent de ce sujet. Parce que c’est une question transpartisane. Nous allons aussi essayer d’interpeller le président de la République. Nous avons déjà projeté certains de nos documentaires à l’Élysée, espérons que ce sera le cas également pour celui-ci. C’est une goutte d’eau, mais il faut que l’on fasse entendre ces voix et la nécessité de mettre la question de la réorganisation du système de santé au cœur du débat public.
Comment préparez-vous vos étudiants à leurs futures conditions de travail ?
Matthieu Calafiore : Je les encourage à ne pas s’oublier, à s’occuper de leur équilibre. Nous faisons beaucoup d’heures à l’hôpital ou en cabinet de ville, on est loin des 35 heures. Je les encourage à s’autoriser à prendre des vacances sans culpabiliser, à s’autoriser de partir plus tôt chercher un enfant à la crèche ou l’école… Quand on part de l’hôpital ou de son cabinet, on n’y laisse pas ses préoccupations, on les emporte avec soi. Si l’on n’a pas une vie correctement équilibrée on peut facilement se laisser submerger et être entrainé vers le burn-out.
Par Arthur-Apollinaire Daum





