La chaîne d’approvisionnement de certains médicaments dysfonctionne, plusieurs sont en rupture de stock. Une pénurie, notamment de médicaments de première nécessité comme l’amoxicilline, s’installe. Pour pallier ce manque, des officines s’organisent.
Cachée au cœur du quartier latin, entre les métros Odéon et Saint-Michel, se dresse la Pharmacie Delpech. Une officine spécialisée dans la sous-traitance de préparations magistrales à destination d’autres pharmacies. Elle est désormais le plus grand préparatoire d’Europe et réalise en moyenne 1 850 préparations magistrales par jour. Fabien Bruno, pharmacien titulaire, et Christel Leclercq, responsable formation, nous ont ouvert les portes de cette pharmacie hors du commun.
La préparation magistrale, « un médicament sur mesure »
Une préparation magistrale (ou officinale) est une préparation médicamenteuse préparée et délivrée par le pharmacien, et destinée à un patient précis sur base de la prescription d’un médecin. C’est une préparation « faite sur-mesure », explique Fabien Bruno, « quand un enfant a, par exemple, un problème de cœur, nous faisons le dosage adapté exactement au poids de l’enfant. C’est vraiment le médicament sur-mesure, correspondant au métier ancestral du pharmacien ».
Les pharmaciens en renfort
Sur le papier, chaque pharmacien est habilité à réaliser des préparations magistrales. Cependant, « environ un pharmacien sur deux continue d’en préparer un peu pour lui, précise Fabien Bruno. Les autres sous-traitent entièrement leur production ». En France, au total, 40 pharmacies sont autorisées par les ARS (Agence régionale de santé) à sous-traiter et vendre aux autres pharmaciens. Il existe également des autorisations particulières de l’ARS, pour les préparations pédiatriques par exemple.
La spécialité pharmaceutique
En opposition à la préparation magistrale, on entend par spécialité pharmaceutique « tout médicament préparé à l’avance, présenté sous un conditionnement particulier et caractérisé par une dénomination spéciale », d’après Légifrance. Ces spécialités sont produites par l’industrie pharmaceutique, en très grand nombre avec un dosage qui est toujours le même ; par exemple du paracétamol à 500 mg. Notre pharmacien ajoute : « On va pouvoir réellement adapter la posologie pour chaque patient, donc si on fait la comparaison avec les vêtements, l’industrie pharmaceutique c’est du prêt-à-porter et nous c’est du sur-mesure, mais évidemment avec des productions beaucoup plus faibles ».
Visite du préparatoire de la pharmacie Delpech
Bruno Delpech, le pharmacien titulaire, nous a permis d‘assister à un des processus de fabrication qui ont lieu dans ce préparatoire. Immersion avec Christel Leclercq, responsable formation, pour suivre une préparation d’amoxicilline, un antibiotique.
« Nous continuons à produire de l’amoxicilline alors que nous aurions dû arrêter au printemps »
Fabien Bruno, pharmacien titulaire de la pharmacie Delpech et président du groupe Delpech, revient sur les pénuries de médicaments croissantes dans l’hexagone.
Vocation Santé : Quelles sont les causes des pénuries de médicaments ?
Fabien Bruno : Les causes des pénuries de médicaments sont variables et ne sont pas liées qu’à un seul facteur. Globalement, il y a soit des problèmes sur la production, soit des problèmes d’offre et de demande, comme on peut trouver sur l’amoxicilline, ou encore, plus généralement, des problèmes de prix. Aujourd’hui, en pharmacie, une boîte d’amoxicilline est vendue 2,50 € en France et la même boîte va être vendue aux alentours de 20 € en Suisse. Donc, quand le laboratoire a des produits à vendre, il préfère évidemment les vendre à ceux qui achètent le plus cher.
Qu’en est-il de la situation actuelle en France ?
Aujourd’hui, en septembre 2023, nous sommes dans une situation assez compliquée. Nous continuons à produire de l’amoxicilline alors que nous aurions dû arrêter au printemps, et produisons toujours des quantités assez importantes d’amoxicilline, de corticoïdes… Actuellement, nous commençons aussi à réaliser de la flécaïnide, médicament des troubles du rythme cardiaque et la bétahistine. Ce sont, en ce moment, quatre ruptures très importantes qu’on essaie de gérer au préparatoire.
Cette pénurie vous freine-t-elle dans la préparation de médicaments ?
Oui ça commence à nous désorganiser… autant au début de l’année, nous avons réussi à produire sans trop de difficultés, autant aujourd’hui, nous commençons à avoir des difficultés parce qu’il faut être sur plusieurs fronts, il y a plusieurs molécules à produire en même temps et nos moyens en termes de locaux et de personnels ne sont pas extensibles à l’infini. Donc effectivement il faut commencer à faire des choix, ce qui reste difficile à gérer.
La préparation magistrale permet-elle de pallier la pénurie de médicaments ?
Oui, aujourd’hui on estime que les 40 sous-traitants français ont réalisé à peu près un tiers de la production d’amoxicilline pédiatrique en France. Évidemment ce n’est pas 100 % de la production mais ça permet quand même d’avoir une solution supplémentaire pour le pharmacien d’officine qui va avoir besoin de trouver de l’amoxicilline pour ses patients.
Quelles pourraient-être les solutions à mettre en place, à plus grande échelle, pour mettre fin à la pénurie ?
La situation idéale serait d’augmenter le prix des médicaments. Si, aujourd’hui, on payait une boîte d’amoxicilline 20 €, les laboratoires pharmaceutiques reviendraient forcément sur le marché français. Le problème c’est que vendre une boîte d’antibiotiques à 20 euros entraînerait un surcoût pour l’Assurance maladie qui ne serait certainement pas possible à tenir.
Une partie de la solution pourrait-elle être d’augmenter le nombre de préparatoires en France ?
En France, nous sommes 40 sous-traitants en France à produire des préparations magistrales, contre 400 en Espagne ! Si nous étions plus nombreux à produire pour sa pharmacie, ce serait des unités de production supplémentaires et ça permettrait aussi au pharmacien de revaloriser son préparatoire et de refaire des préparations officinales. Par exemple, en début d’année dernière, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a sorti des monographies pour l’aromathérapie et les huiles essentielles. Il faut donc essayer de redonner le goût au pharmacien de faire des préparations, car nous n’avons pas de difficulté à obtenir les matières premières, donc nous sommes capables de suppléer l’industrie pharmaceutique le temps qu’elle se remette en œuvre.
Par Arthur-Apollinaire Daum et Lise de Crevoisier





