Phtalates, bisphénols, parabènes, composés perfluorés et retardateurs de flamme bromés, ces polluants industriels aux noms baroques, symboles de notre époque, sont partout. Dans les produits plastique, les emballages, les cosmétiques, l’eau, le sol, l’air et ainsi dans la chaîne alimentaire. Nous en avons tous un peu dans notre organisme, faut-il s’en inquiéter ?
Phtalates, bisphénols, parabènes, composés perfluorés et retardateurs de flamme… Ces composés sont tous différents, mais ont un point commun : ils ont une utilité industrielle et sont fabriqués de manière intentionnelle. Ils donnent de la flexibilité au plastique, isolent les contenants, protègent le matériel informatique, donnent de la texture aux cosmétiques, limitent les risques d’incendie et bien plus encore. Depuis plusieurs années, ils sont étudiés et leurs effets sur l’organisme humain sont peu à peu mis en lumière.
« Diminuez les contenants en plastique et passez au verre, même pour faire réchauffer vos plats. » – Martine Aggerbeck, toxicologue retraitée au CNRS
Tout le monde dans le même panier
« Nous sommes tous touchés puisque ces composés sont présents dans l’alimentation et les contenants alimentaires et parfois dans la nature. Certains sont persistants, peuvent rester plusieurs années dans le sol et sont potentiellement contaminants, même après avoir été interdits », nous explique Étienne Blanc, maître de conférences à l’Université de Paris et chercheur au T3S, laboratoire spécialisé dans la toxicologie environnementale. C’est aussi la conclusion d’une longue enquête menée par Santé publique France, publiée en septembre, sur l’imprégnation de la population française par différentes familles de composés industriels. S’il semble impossible d’y échapper, il y a des moyens de diminuer l’exposition à certains de ces produits.
Martine Aggerbeck, chercheur au CNRS et toxicologue désormais à la retraite, nous éclaire : « Les phtalates et bisphénols sont présents dans de nombreux plastiques alimentaires, n’importe quel produit transformé que vous consommez sera susceptible d’en contenir, en faible quantité. Diminuez les contenants en plastique et passez au verre, même pour faire réchauffer vos plats. Pour beaucoup de ces produits, la voie alimentaire est la principale source de contamination. » D’autant plus que ces molécules sont pour la plupart lipophiles, et ont donc tendance à migrer vers les graisses et les aliments gras. « Les composés perfluorés constituent le fond des poêles antiadhésives, et lorsqu’elles sont abîmées vous augmentez les risques de contamination », indique aussi Étienne Blanc. Les jeunes enfants sont particulièrement touchés, parce qu’ils mettent tout en bouche et passent beaucoup de temps au sol. Raison de plus pour privilégier le verre comme contenant pour les petits plats destinés aux enfants.
« Sur l’Homme, il n’y a pas d’expérience démontrant la causalité directe, car cela est très complexe. » – Étienne Blanc, maître de conférences à l’Université de Paris
La prudence est de mise
Nous sommes tous exposés, quelles conséquences sur notre organisme ? « Sur l’Homme, il n’y a pas d’expérience démontrant la causalité directe, car cela est très complexe », rapporte Étienne Blanc. En effet, nous ne pouvons réaliser que des expériences épidémiologiques, qui ne mettent en avant que des corrélations, ou observer les effets sur des animaux. Même s’ils sont parfois génétiquement modifiés pour être plus proches de l’Homme, ils n’ont pas exactement le même fonctionnement biologique. Autre problématique empêchant de bien comprendre la toxicité de ces molécules, la multiplicité des causes imputables à l’émergence de pathologies. « Nous sommes pollués par des cocktails de produits chimiques, il est donc d’autant plus difficile de savoir quel composé ou quel mélange est responsable des effets observés. Il faut rester très prudent, car il y a eu, au cours du dernier siècle, une augmentation de l’exposition à ces produits, et une augmentation d’un certain nombre de pathologies. Ce n’est pas la seule raison, nous vivons aussi plus vieux, nous bougeons moins, nous mangeons trop et nous sommes exposés à d’autres produits. » La précaution est de mise.
Quels effets sur l’organisme ?
Il existe tout de même de fortes suspicions. Les composés industriels dont nous parlons sont quasiment tous des perturbateurs endocriniens. C’est-à-dire que ces molécules peuvent ressembler, dans leur structure, à des molécules du vivant et perturbent le fonctionnement du corps et en particulier celui des hormones, en augmentant ou diminuant leurs effets. La première conséquence, et la plus étudiée, touche les hormones sexuelles. « Tous ces polluants sont plus ou moins liés à des modifications de la fertilité. Certains sont associés notamment à une puberté plus précoce, ainsi qu’à une diminution de la fertilité. Les bisphénols sont mis en cause dans le cancer du sein et les perfluorés dans le cancer de la prostate, indique Martine Aggerbeck avant de continuer. Il y a certaines molécules comme les phtalates qui ont très probablement un effet sur le développement neurologique, c’est pour cela qu’il faut être particulièrement vigilant chez l’enfant et la femme enceinte, éviter au maximum le contact avec ces produits suspectés. » D’autres conséquences sur la santé sont suspectées, mais encore très peu documentées. Ainsi, même s’il est nécessaire de faire plus d’études épidémiologiques, car leurs résultats sont parfois contradictoires, on soupçonne que l’exposition aux phtalates ou au bisphénol A puisse augmenter le risque du syndrome métabolique.
Par principe de précaution, l’Union européenne définit des seuils maximaux ingérables sans risque afin de minimiser l’impact sur la santé de l’exposition de la population. « Si nous arrivions à éliminer toutes ces molécules du quotidien, nous serions évidemment plus sereins », estime Étienne Blanc. Cependant, cela prendra du temps, car ces molécules sont indispensables à la fabrication de beaucoup d’objets. Même si les quantités relarguées sont inférieures aux limites fixées, il faudrait trouver d’autres matériaux aux propriétés similaires, sans répercussion sur l’organisme.
La dose ne fait pas forcément le poison
Des effets avérés, mais à quelle dose ? La dose journalière admissible est calculée par rapport à la dose inoffensive la plus élevée chez la souris, ce chiffre étant ensuite divisé par un facteur de sécurité (généralement cent). Cela semble précautionneux, mais la physiologie de la souris étant différente de celle de l’Homme, ce calcul n’est pas parfait. De plus, les perturbateurs endocriniens n’ont pas systématiquement un effet plus puissant plus la dose est élevée. À petite concentration, les cellules ne les détectent pas et donc ne les éliminent pas, alors qu’à dose moyenne, ils sont repérés et éliminés. Parfois, une faible dose peut donc avoir plus d’effet (ou un autre effet) qu’une dose plus élevée.
Par Pierre-Hélie Disderot





