Pendant des siècles, certaines momies sont revenues d’outre-tombe pour soigner contusion, mal d’estomac et hémorragie.
« Je déterre des pharaons et je les vends aux étrangers. Le pharaon se fait rare, au train où on va. » Dans le prologue de son Roman de la momie, Théophile Gautier relate la découverte par un escroc grec d’une tombe égyptienne jusqu’alors inviolée. Une scène pas si imaginaire que ça car, à partir du Moyen Âge, l’extrait de momie est utilisé comme un remède miracle contre les contusions, fractures, fortification du sang, douleurs dentaires ou abdominales… Cette tradition suivra la pharmacopée sur plusieurs siècles.
L’allégation de santé part d’un constat simple : si le corps des pharaons peut rester des siècles en si bon état, c’est que les onguents qui les momifient ont des propriétés extraordinaires. Il en fallut peu pour considérer l’huile d’asphalte qui les imbibe comme un secret médicinal millénaire. Le terme momie vient d’ailleurs du persan « mumia » qui signifie bitume. L’utilisation martiale était la principale. La poudre de momie servait à protéger le sang des blessés, à suspendre l’hémorragie et la contusion. François 1er lui-même ne partait jamais en conquête sans un morceau de momie, qu’il dégainait au moindre accident et mélangeait à de la rhubarbe ou du vin.
Fraude à la momie
Au XVIe siècle, l’utilisation active de la momie se popularise, sans offenser le moins du monde les patients. Tout est bon pour récupérer l’essence des momies. Les bandes sont d’abord simplement grattées. Puis, la demande se faisant plus forte, la momie est bouillie. Enfin, le temps et le bitume manquant, ces embaumés étaient directement broyés et réduits en poudre. Plus facile à l’importation… Cette poudre de cadavre est souvent mélangée à de l’asphalte, du bitume, de l’aloès ou du poix, fabriqué à partir de résine.
En quelques décennies, la France devient le premier consommateur mondial de poudre de momie. Un engouement qui fait le bonheur des apothicaires, prêts à tout pour mettre la main sur ce remède pharaonique. Une fois le stock de momies ancestrales épuisé en Égypte, il fallut donc trouver une variante. Un vrai trafic se met alors en place entre la France et l’Égypte, où des commerçants peu scrupuleux fabriquent eux-mêmes leurs fausses momies. La recette est facile : décrocher un cadavre pendu à un gibet ou voler celui d’un esclave, l’imbiber de bitume et le faire sécher plusieurs mois sous le sable au soleil. Le résultat fait illusion, surtout réduit en poudre.
« Avec puanteur de bouche »
La traçabilité des momies laisse à désirer. Elles peuvent même se révéler dangereuses si ces morts sont atteints de peste, de vérole ou de lèpre. Mais, par peur de décevoir leurs patients, les médecins français continuent d’en prescrire, sans aucune preuve d’efficacité. En 1582, Ambroise Paré, exaspéré par cette mode, publie Le discours de la momie, un traité en 10 chapitres qui étrille cette tradition séculaire.
« Et si en ce remède y avait quelque efficacité, véritablement il y aurait quelque prétexte d’excuse. Mais le fait est tel de cette méchante drogue, que non seulement elle ne profite en rien aux malades, comme j’ai plusieurs fois vu par expérience à ceux auxquels on en avait fait prendre, qu’elle leur cause grande douleur à l’estomac, avec puanteur de bouche, grand vomissement, elle est plutôt cause d’émouvoir le sang, et le faire d’avantage sortir hors de ses vaisseaux, que de l’arrêter », écrit Ambroise Paré, ironisant sur le fait que la seule vertu de la poudre de momie serait d’attirer les poissons avec son odeur. Il conseille ainsi aux apothicaires d’en vendre uniquement aux pêcheurs.
Malgré les mises en garde d’Ambroise Paré, la poudre continue d’être écoulée par les apothicaires jusqu’au XVIIIe siècle. Alors qu’en 1777 Louis XVI sépare clairement la fonction d’apothicaire de celle d’épicier et la raccroche à la médecine, la nécessité de connaissances tangibles est exigée aux officinaux lors de la vente de leurs remèdes. Bon nombre de pharmaciens veillent ainsi à étiqueter les bocaux « Momie d’Égypte », par souci de traçabilité. Après des années de critique sur son efficacité et son goût, l’utilisation de la momie finit par s’essouffler au début du XIXe siècle. Rendant enfin à son tombeau cette coutume surprenante.
Source principale : « Utilisations des momies de l’Antiquité à l’aube du XXe siècle » – Anne Godfraind De Becker – Revue des Questions scientifiques, 2010.
Léa Galanopoulo