Témoignage de Laure Adda, sage-femme au CHU de Reims
Un sentiment de maltraitance insupportable
En mai et en octobre 2021, nous nous sommes mobilisés, avec pour revendication première « 1 femme = 1 sage-femme ». Elle fait écho à ce que nous avons pu entendre ces dernières années sur de potentielles violences obstétricales. Je pense que quand une femme fait appel à une sage-femme, il s’agit d’un moment clé de la vie de cette personne. Par manque de temps et de moyens, car nous ne sommes pas assez nombreuses et n’avons pas toujours la place nécessaire, nous n’arrivons pas à prendre correctement en charge nos patientes et nous pouvons finir par devenir maltraitantes, ou du moins avec ce sentiment d’être maltraitantes. Du côté patient, cela peut être pris pour de la violence obstétricale. Et cela est insupportable, d’un côté comme de l’autre.
« Par manque de temps et de moyens, notre pratique peut être prise pour de la violence obstétricale, et cela est insupportable ! »
Comment prendre en charge correctement nos patientes dans ces conditions ?
Nous demandons une augmentation des effectifs. Ces derniers sont basés sur le décret de périnatalité qui date de 1998. Depuis, il y a eu une véritable hausse de la densité du travail, du nombre de patientes. De plus, les différentes politiques de santé nous imposent des fermetures de lits. Il est alors impossible d’accorder le temps nécessaire pour la bonne prise en charge de nos patientes et de nos couples. En plus de réviser le décret de périnatalité, il faudrait aussi rendre le métier plus attrayant. Il faut lui rendre son caractère médical, qui passe essentiellement par une véritable autonomie dans les prises en charge. « Nous sommes souvent rangées dans les professions paramédicales, alors que notre métier est bien médical selon le Code de la santé publique et devant les tribunaux. On l’a bien vu avec le Ségur, où, en hospitalier, nous avons eu la même revalorisation que les infirmières, aides-soignantes, secrétaires et autres corps de métiers n’ayant pas les mêmes responsabilités sur leurs épaules.
« Nous sommes souvent rangées dans les professions paramédicales, alors que notre métier est bien médical selon le Code de la santé publique. »
Une reconnaissance du métier
Nous aimerions créer une sixième année d’études, afin de conclure la formation par une thèse d’exercice et non plus par un mémoire, qui reconnaîtrait le caractère médical de notre profession. Le gouvernement semble y être favorable et l’appliquera à la promotion 2022/2023. Nous aimerions également une revalorisation de notre salaire. Un maïeuticien qui sort de l’école après ses 5 années d’études commence à 1 700 euros nets. Le gouvernement a annoncé médiatiquement une revalorisation de 500 € à compter de février 2022 (alors que tous les professionnels hospitaliers ont été revalorisés il y a déjà plusieurs mois).
Ce que je tolère vraiment difficilement, c’est ce manque de temps, dû au manque de personnel et de moyens. Rares sont les gardes où je me dis que j’ai fait du bon boulot : j’ai pu accompagner ma patiente, créer un lien, lui expliquer la totalité de la prise en charge, suivre ses choix éclairés… Certaines gardes sont tellement chargées qu’on est en pilote automatique, on enchaîne comme à l’usine. Le problème est qu’on prend en charge des êtres humains et ce, dans une période particulière de leur vie.
« Rares sont les gardes où je me dis que j’ai fait du bon boulot. »
Propos recueillis par Léna Pedon





