1 million d’euros : c’est le montant que doit Rémy Marti à la Sécurité sociale. Durant de nombreuses années, le kiné a fraudé pour nourrir son addiction aux jeux. Il raconte sa plongée dans cette pathologie pernicieuse.
Sous le soleil d’Espagne, la fièvre s’est embrasée. Rémy Marti, kiné en devenir d’une vingtaine d’années se découvre une passion qui va le consommer intensément : le pari sportif.
« Je vivais cela comme une découverte »
Avant de partir faire ses études en Espagne, Rémy Marti, originaire du Sud-Ouest, fait ses premiers pas dans l’univers des paris sportifs avec son meilleur ami. « En été 2012, il m’a fait découvrir les bureaux de tabac, avec la FDJ et Parions Sport », expose le kiné de formation. Il ajoute : « Je mettais de petites sommes : 2, 3 ou 5 euros. Je vivais cela comme une découverte ». Il prend goût à l’adrénaline procurée par la victoire des équipes sur lesquelles il a misé.
Deux ans plus tard, il rejoint les terres catalanes et intègre une école de kinésithérapie. Le vingtenaire joue de plus en plus souvent et les « 2, 3 ou 5 euros » sont devenus des « 50 à 100 euros par semaine ». Le loisir prend une place de plus en plus importante dans le quotidien de l’étudiant.
Pulsion addictive
De retour en France, Rémy Marti fonde une famille et rejoint un cabinet de kinésithérapeutes dans une petite ville du Gers. Il bénéficie d’un très bon salaire et n’a pas besoin des gains provenant des jeux d’argent pour s’épanouir. Pourtant ses ressources vont servir de carburant pour embraser d’autant plus son addiction. Ainsi, ce n’est pas l’aspect pécuniaire qui l’attire dans les paris, mais une pulsion incontrôlable qui l’enferme dans cette pratique.
Le jeune kiné accuse parfois des pertes importantes qui vont jusqu’à affecter sa vie familiale. « Je panique régulièrement. Quand l’on se retrouve à -18 000 euros sur son compte bancaire, il y a des raisons d’être en proie au stress », se souvient amèrement Rémy Marti.
Pour contrecarrer ces pertes, le kiné organise alors une fraude à la Sécurité sociale et facture des séances supplémentaires auprès de la CPAM, la caisse primaire d’assurance maladie, et va jusqu’à doubler son salaire. Une fraude illégale et gravissime.
« J’avoue, pour la première fois de ma vie, que je suis addict aux jeux d’argent »
« Je continue cette pratique frauduleuse de fin 2018 à avril 2020, lorsque mes collaborateurs découvrent le pot aux roses », regrette Rémy Marti. Le soignant se retrouve dos au mur et se confesse auprès du titulaire du cabinet. « À ce moment-là, j’avoue pour la première fois de ma vie que je suis addict aux jeux d’argent et je me fais mettre à la porte », se remémore le kiné.
Le soir, en rentrant chez lui, il s’effondre auprès de sa femme et avoue tout. Une annonce qui vient faire trembler sa vie de famille.
En septembre 2020, après avoir été prévenue, la CPAM demande au soignant de lui rembourser près de 100 000 euros avec 80 000 euros de pénalité. « Nous nous sommes mis d’accord sur un échéancier de 2 000 euros par mois avec le directeur de la CPAM », précise le soignant.
51,6 %
des 18-75 ans ont joué à un jeu d’argent et de hasard durant l’année écoulée.
Source : Enquête EROPP 2023
Une pathologie incontrôlable
Cet événement est une alerte qui pousse le kinésithérapeute à mettre de côté les jeux pendant plusieurs mois. Il retrouve un travail et sa vie reprend peu à peu. Cependant, l’addiction de Rémy Marti n’est pas éteinte et il profite de son nouveau travail pour réaliser de fausses facturations, trompant ses proches et son employeur.
Sa titulaire, contactée par l’un de ses anciens collègues, décide, pour se protéger, de licencier le soignant.
Suite à cet événement, Rémy Marti s’associe avec sa femme pour créer un nouveau cabinet. Le brasier addictif devient incontrôlable, le soignant n’a plus aucun discernement vis-à-vis de son addiction. « Je me souviens d’une fois où j’ai gagné 60 000 euros, j’étais euphorique devant mes enfants et ils me suivaient dans mon élan de joie », il ajoute « mais à ce moment-là, j’avais déjà perdu 700 000, 800 000 euros et j’allais perdre mes 60 000 euros peu de temps après », constate le kiné.
Rattrapé par la justice
L’année 2024 sonne le glas de ses activités illicites. La caisse primaire d’Assurance maladie a remarqué les nouvelles fraudes. Peu de temps après, le kiné est convoqué par la CPAM. Le soignant leur ment et dit travailler de 8 heures à 21 heures quotidiennement. Mais la Sécurité sociale n’est pas dupe et lui fait remettre une lettre de déconventionnement en urgence. Il ne pourra plus être payé et devra rembourser toutes ses fausses facturations. Une plainte est déposée en justice.
Un électrochoc
Il doit l’annoncer à sa famille, à sa femme. « Je sais que je vais la perdre. Je pense au suicide » s’émeut l’ex-kinésithérapeute. Elle vit cette annonce comme un coup de massue, mais décide de rester et menace de partir s’il reprend. Cette décision a l’effet d’un électrochoc pour Rémy Marti, qui s’engage à se faire soigner pour vaincre définitivement son addiction en mêlant suivi psychologique, psychiatrique et séjour en centre spécialisé en addictologie.
Dans l’attente du procès, l’ex-joueur n’est plus que l’ombre de lui-même et se prépare au pire au côté de son psychologue. Il doit travailler pour participer à la vie de sa famille et se fait embaucher dans une usine.
1 million d’euros de préjudice
« Le 8 juillet 2025, des gendarmes viennent chez moi et m’amènent en garde à vue. Le lendemain je me retrouve au tribunal », se rappelle Rémy Marti. Dans l’enceinte du tribunal, le joueur fait face aux conséquences de son addiction : 1 million d’euros de préjudice. La procureure demande 3 ans ferme et la saisie de leur maison en plus du remboursement demandé par la Sécurité sociale. Cependant, l’enquête a montré que la somme détournée n’était pas à l’origine d’un enrichissement personnel, Rémy Marti avait tout réinvesti dans les jeux. Le tribunal décide donc de le condamner à 3 ans de prison avec sursis, 5 années d’interdiction d’exercer et 2 ans d’inéligibilité.
« Bien sûr, je vais devoir rembourser le million d’euros durant toute ma vie, mais l’addiction est derrière moi et je veux repartir de zéro, retrouver une vie sociale avec ma famille », conclut-il.
Les jeux d’argent sont strictement interdits aux mineurs (+18). Les jeux d’argent et de hasard peuvent être dangereux : pertes d’argent, conflits familiaux, addiction…
Faites-vous aider sur joueurs-info-service.fr (09 74 75 13 13 – appel non surtaxé).
Par Corentin Bell – Photo : Rémy Marti
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