En abordant le quotidien des personnes vivant avec le VIH, Nicolas Aragona a réuni une communauté de près de 400 000 abonnés sur les réseaux sociaux avec sa chaîne Supersero. Retour sur ses combats.
Vocation Santé : Pourquoi avoir choisi de créer Supersero ?
Nicolas Aragona : Pour moi, c’était la seule solution pour faire quelque chose. Les associations que j’avais rencontrées tenaient un discours que je trouvais à côté de la plaque, car elles se focalisaient sur la prévention et avaient finalement complètement oublié et mis de côté les personnes vivant avec le VIH.
Les réseaux sociaux m’ont permis d’avoir une sorte d’agora pour aborder ces sujets souvent mis au placard. Que pouvais-je faire d’autre ? Descendre dans la rue et hurler ?
Cette initiative m’a permis de fonder une communauté qui partage des témoignages forts. Beaucoup de personnes se sont suicidées à cause de la sérophobie, la haine des séropositifs.
Certains de mes abonnés ont été assassinés à cause de ça. D’autres ont subi du chantage. J’ai été témoin de beaucoup d’histoires singulières et violentes.
L’une de mes abonnés, âgée de seulement 17 ans, s’est ouvert les veines après avoir été rejetée par ses parents quand ils ont appris qu’elle avait le VIH.
Que signifie être une personne vivant avec le VIH aujourd’hui par rapport à 1995, pic de l’épidémie ?
Nous avons tendance à penser que c’était pire avant, pourtant l’Onusida, le programme des Nations unies sur le sida, annonce encore environ 700 000 morts du sida par an, car ils n’ont pas accès à des antirétroviraux. Et ça risque d’ailleurs de s’empirer dans les années à venir ! Le gouvernement américain est en train de couper le plus gros financement de lutte contre le sida : le Pepfar.
Sans lui, l’Onusida estime qu’il y aura 6 millions de morts supplémentaires et 10 millions de nouvelles infections dans les 4 années à venir. Ce qui représente, malheureusement, un très grand bond en arrière.
Observez-vous une évolution des mentalités concernant l’infection sur les réseaux ?
Les choses bougent, mais elles se polarisent beaucoup. La libération de la parole autour du VIH est de plus en plus présente et s’accompagne d’une prise de conscience des violences systémiques.
Cependant, j’observe aussi une mise en avant importante de la violence, de l’homophobie, du racisme et de la sérophobie.
Qui plus est, nous devons composer avec les filtres présents sur des plateformes comme Instagram. Certains mots entraînent le retrait de nos vidéos par l’algorithme des plateformes.
Tous mes amis ayant, comme moi, dénoncé le retrait des aides des États-Unis, qui prenaient en charge les traitements de 20 à 30 millions de personnes séropositives dans le monde, ont vu les trois quarts de leurs vidéos sauter pour désinformation. C’est ahurissant !
Quelles sont les discriminations les plus communes pour les personnes vivant avec le VIH ?
Ce sont majoritairement des personnes qui révèlent notre séropositivité sans notre accord. D’autres nous considèrent comme des contaminateurs, des assassins, des personnes dangereuses. Les insultes, les menaces et le chantage sont aussi récurrents.
Je me rappelle qu’un garçon a voulu porter plainte contre moi pour tentative de meurtre parce qu’on avait pris un café ensemble.
Tous les aspects de notre vie sont marqués par la discrimination. Il arrive que l’on nous refuse un crédit immobilier à cause de notre séropositivité. Une personne porteuse du VIH sera souvent isolée et manquera d’opportunités professionnelles et personnelles.
Le milieu médical n’est pas épargné, une étude publiée dans la revue médicale The Lancet souligne le fait qu’il y a encore au moins un tiers des dentistes qui refusent de soigner des personnes séropositives. À l’hôpital, certains membres du personnel refusaient même de me toucher sans utiliser de gants…
Et si vous pouviez parler à une personne découvrant son infection, que lui diriez-vous ?
Il faut être fier d’être dépisté ! Il faut être fier de participer à arrêter l’épidémie parce qu’il faut comprendre que nous sommes les seuls capables d’y mettre fin. C’est nous qui nous faisons dépister. On ne doit rien à personne ! Notre statut sérologique, c’est notre intimité, donc on en parle si on veut, quand on veut et de la manière que l’on souhaite.
Un dépistage encore tardif pour les plus isolés
En 2023, près de 7,5 millions de tests ont été réalisés en France selon Santé publique France. L’arrivée des autotests VIH test, en 2022, a permis de rendre le dépistage plus accessible aux populations isolées du milieu médical. Ils représentent 15 % des dépistages totaux.
Cependant, la découverte du virus est souvent trop tardive avec 43 % des personnes dépistées qui le sont au moment où le VIH s’est installé. D’autant plus que le nombre de personnes souffrant de la maladie a augmenté en France, passant de 5 013 en 2021 à 5 473 en 2023 selon Santé publique France.
Cette hausse concerne tout particulièrement les hommes nés à l’étranger ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes et les femmes hétérosexuelles nées à l’étranger. Ces deux populations ont été contaminées majoritairement en France.
Santé publique France souligne l’intérêt de renforcer les politiques de prévention et de prise en charge des personnes les plus à risque de développer cette maladie. Un effort nécessaire pour atteindre l’objectif, fixé par l’Onusida, de vaincre le sida d’ici 2030.
Réunir et sensibiliser : la vocation de Supersero
Principalement présent sur TikTok et Instagram avec sa chaîne Supersero, Nicolas Aragona a réussi à rassembler une grande communauté autour de la lutte contre la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH. Sur les réseaux sociaux, Nicolas Aragona raconte des anecdotes sur son quotidien, réalise des vidéos de vulgarisation et dénonce les actions politiques dangereuses pour les séropositifs. Un contenu permettant d’offrir une plateforme d’échange et de compréhension pour les personnes souffrant de sérophobie ou avide d’en apprendre plus sur les changements provoqués par le VIH sur la vie quotidienne.
Sur TikTok : https://www.tiktok.com/@supersero_
Par Corentin Bell
Photo : Marina Viguier





