Depuis une vingtaine d’années, un laboratoire français tend à démontrer les dangers des sels d’aluminium présents dans les vaccins. Que vaut cette hypothèse ? Décryptage.
Tout part d’un article du Parisien publié fin septembre et intitulé « Aluminium dans les vaccins : le rapport qui dérange ». Tout part et tout revient, puisque la controverse concernant l’aluminium dans les vaccins, est née il y a plus de 20 ans. Le quotidien affirme ainsi s’être procuré un rapport de l’ANSM, demandant plus de recherche sur cet adjuvant. Il ferait suite à des nouveaux travaux publiés par l’équipe du Pr Gherardi sur la neurotoxicité de l’aluminium chez les souris. De quoi raviver les craintes. À défaut de rapport, il s’agit en réalité d’un compte-rendu de discussion scientifique indépendante, qui ensuite a vocation, en interne, à orienter le financement de la recherche par l’ANSM. Depuis les années 1980, l’équipe de recherche du Pr Gherardi étudie l’impact des sels d’aluminium présents dans les vaccins. Cet adjuvant a un intérêt médical fondamental : il permet à certains anticorps de se développer, et rend ainsi la vaccination efficace en stimulant le système immunitaire. Et l’aluminium permet donc de diminuer la dose de substance infectieuse dans le vaccin. Particulièrement lorsqu’il s’agit de vaccin inactivé, donc avec un agent pathogène mort, comme la poliomyélite, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche ou encore le pneumocoque et la grippe. Le vaccin contre la grippe ne contient cependant pas de sels d’aluminium.
Que dit l’étude ?
L’étude du Pr Romain Gherardi au CHU de Créteil tend à démontrer l’effet neurotoxique de l’hydroxyde d’aluminium présent dans les vaccins. Pour ce faire, des souris se sont vues injecter l’adjuvant à différentes doses (0, 200, 400 et 800 μg/kg). Résultat avancé 6 mois plus tard : les souris exposées à une faible dose d’aluminium (200 μg/kg) avaient développé des troubles du comportement, comme une baisse de niveau d’activité et de l’anxiété, ainsi qu’une accumulation du métal dans certaines régions cérébrales. Il en fallut peu pour conclure que l’aluminium était nocif, surtout à faible dose. Entendez « à dose présente dans les vaccins ».
Pourtant, selon l’Académie de pharmacie, « la quantité d’aluminium apportée par une dose de vaccin est négligeable au regard des apports alimentaires, cosmétiques, professionnels ». Aucune autorité de santé ne va dans le sens d’une dangerosité des sels d’aluminium dans les vaccins. En 2013, le Haut Conseil de la santé publique répétait qu’aucun lien de cause à effet n’avait été mis en lumière. Il mettait aussi en garde contre « les conséquences, en matière de réapparition de maladies infectieuses, résultant d’une remise en cause des vaccins contenant de l’aluminium en l’absence de justification scientifique ».
Des données à géométrie variable
Commençons par les bons points de cette dernière étude : les doses analysées correspondent peu ou prou à celles injectées à l’Homme. Seulement, alors qu’un vaccin correspond à 133 μg/kg d’aluminium pour la souris, pourquoi ne pas avoir publié les données de ce dosage ? Concernant l’analyse histologique, et alors que le cerveau d’une bonne vingtaine de souris aurait pu être étudié, seuls trois d’entre eux sont passés au microscope. Et si les chercheurs affirment qu’une migration cérébrale de l’aluminium est seulement observée à faible dose (200), l’étude ne donne aucune valeur pour les hautes doses (400 et 800). Pour comparer, il faudra donc les croire sur parole… En somme, sur une quarantaine de tests effectués sur les souris, seuls quatre sont significatifs et montrent une variation à 200 μg. Impossible donc d’éliminer le hasard. À coup de données tronquées, tout pousse à incriminer la faible dose.
En 2013, le Haut Conseil de la santé mettait aussi en garde contre « les conséquences en matière de réapparition de maladies infectieuses, résultant d’une remise en cause des vaccins contenant de l’aluminium en l’absence de justification scientifique »
Qui derrière ces peurs ?
Depuis le début des années 1990, l’aluminium est la cible favorite du Pr Gherardi et de son équipe de recherche Inserm du CHU Henri Mondor qui tentent sans relâche de démontrer son implication dans le développement de myofasciite à macrophage (MFM). Ces lésions musculaires induisent un tableau clinique fourre-tout incluant douleurs diffuses, fatigue chronique ou pertes de mémoire. Depuis 1995, 445 cas de MFM ont été recensés, pour 160 millions de doses de vaccin administrées. Étrangement, 95 % des cas de MFM référencés sur la planète émanent du labo de Créteil. Notons que ce dernier est financé à hauteur de 80 000 euros par E3M, association de malades souffrant de MFM, très proches des antivaccins. Gherardi est également vice-président du conseil scientifique du CMSRI, qui découle lui-même d’une association anti-vaccinale : la Dwoskin Foundation. Elle met notamment en avant le lien entre autisme et vaccination. De quoi douter de l’impartialité de ces études.
À qui profite le crime ?
Avec son étude, Créteil cherche en réalité à débloquer 500 000 euros de financement de l’ANSM pour poursuivre ses travaux. Prochaine étape pour l’équipe : découvrir des gènes qui rendraient plus susceptible de réagir à l’aluminium. Projet pour lequel elle a d’ores et déjà déposé un brevet. « Une activité privée lucrative », selon l’ANSM. Ainsi, de réels intérêts financiers se cacheraient donc derrière ces recherches. Ironique pour ceux qui dénoncent le lobby pharmaceutique des vaccins. Une fois de plus, cette étude ne remet pas en cause la balance bénéfices/risques des vaccins aluminique, pour lesquels nous disposons de plus d’un siècle de recul. Seulement, elle vient à nouveau renforcer les hésitations vaccinales françaises et la sensation qu’une partie des informations sont occultées au grand public : hier les excipients dans le Lévothyrox, aujourd’hui l’aluminium dans les vaccins, et demain ? Mercure, aluminium, obligation vaccinale… Depuis toujours, les antivaccinations innovent et renouvellent leurs cibles, avec un seul but : remettre en cause l’intérêt de la vaccination et cultiver l’empire du doute.
L’aluminium dans les vaccins : un adjuvant historique
Dès les années 1920, les microbiologistes et les pharmaciens cherchent à supplémenter les vaccins avec des adjuvants permettant de stimuler la réaction immunitaire et d’augmenter ainsi l’efficacité de l’injection. Si d’abord les scientifiques s’intéressent au tapioca, leur intérêt se tournera définitivement, en 1926, vers l’hydroxyde d’aluminium. La coqueluche et le tétanos seront les premiers vaccins intégrant ces sels d’aluminium. Dans les années 1980, cet adjuvant sera élargi à l’ensemble des vaccins, pour remplacer notamment le calcaire.
Par Léa Galanopoulo