D’avoir trop trinqué ma vie s’est arrêtée, le livre de Baptiste Mulliez et Judith Lossmann qui laisse des traces. Par son récit semé de bouleversements, l’histoire de Baptiste mène à une introspection tout en dévoilant une société qui rend malade. Baptiste Mulliez a accepté de nous témoigner un fragment de son adolescence bridée par l’alcool, et révèle des comportements qui peuvent alerter.
Comment votre addiction à l’alcool s’est-elle mise en place ?
Je dirais que j’ai commencé à boire un peu comme tout le monde, c’était quelque chose de très festif au début, de très convivial. Il y a des bons souvenirs, de très bonnes soirées… et on associe toutes ces bonnes choses à l’alcool.
Ma première soirée, on s’est tous retrouvé dans la rue et on a commencé à boire… et j’ai passé un très bon moment ! Je n’ai plus jamais su envisager de passer une soirée sans alcool. Certains passages sont devenus incontournables, notamment le before et le binge drinking. Si je n’avais pas cette phase de défonce rapide, je commençais à stresser, je ne voyais pas l’intérêt d’aller à la soirée sans boire avant. Comment peut-on tomber addict à 15 ans ? On devient addict à des contextes. Pour moi un weekend sans alcool c’était un weekend raté.
Je pense qu’il y a des personnalités à risques. Je suis quelqu’un d’hypersensible et anxieux. Avant l’alcool, je ne me sentais pas forcément à ma place, pas très épanoui. L’alcool me permettait de me sentir libre, d’être drôle, de cacher mon manque de confiance en moi, d’approcher les filles, de danser, d’être quelqu’un. L’addiction vient souvent d’un grand désamour de soi. Quand je suis sobre je ne m’aime pas, je n’aime pas ce Baptiste introverti, je n’aime pas avoir peur du regard de l’autre. Alors que dans l’alcool ce Baptiste existe, il est extraverti, il a plein de potes, il est valorisé par la société. Donc je me suis créé un personnage : le Super-Baptiste. Mais plus je bois, plus les failles entre le véritable Baptiste et le Super-Baptiste grandissent. Et on tombe très progressivement, mois après mois, années après années, dans la dépendance. Il faut que je commence plus tôt, que je finisse plus tard, je ne peux plus faire ces choses-là sans alcool… C’est très progressif.
Que représentait l’alcool pour vous ?
L’alcool c’était mon dieu, ma recette miracle, ma béquille, mon amoureuse. C’était mon tout. Une pilule magique aux effets instantanés. Et je savais que ça me détruisait mais je buvais quand même. C’est plus simple que d’arrêter de boire. La douleur d’envisager d’être sans était beaucoup plus pénible. Pour affronter mes émotions indésirables, j’avais besoin d’alcool. Mais finalement l’alcool nourrit les angoisses et le mal-être. C’est un amour à sens unique. Je l’aimais tellement fort que j’étais prêt à accepter la souffrance pour être à ses côtés. Sobre, les contours de ma vie réapparaissent et c’était intolérable. J’utilisais l’alcool pour me mettre en blackout. Et la gueule de bois, je me disais que ça faisait partie du jeu cette souffrance-là… « c’est le signe que t’as bien fait la fête ! ». Mais 90 % de mes soirées je ne m’en souvenais pas, et en vrai je ne partageais rien. Pour moi l’alcool c’était un lien social qui a fini par m’isoler.
Quelles sont pour vous les manifestations cachées d’une mauvaise consommation d’alcool ?
La question est de savoir quelle est la place de l’alcool dans sa vie. Pourquoi je bois ? Pourquoi accepter ce verre ? J’organisais mon emploi du temps autour des consommations d’alcool. Je m’entourais de gros buveurs. La question en fait ce n’est pas est-ce que je suis alcoolique ? C’est est-ce que l’alcool amène des conséquences négatives dans ma vie ? Les effets négatifs ce sont la gueule de bois, la honte, les regrets, les problèmes de couples, les relations détruites, les irresponsabilités professionnelles, les situations dangereuses…
Il y a aussi l’orgueil, cette fierté d’avoir une bonne descente, de bien tenir l’alcool. Ça c’est la tolérance au produit, et c’est un des troubles manifeste de l’addiction, quand j’ai besoin de boire plus pour atteindre les mêmes effets. Quand on est à la recherche des effets, ça doit interpeller. La peur de rater aussi. Fallait que je sois le premier, que je parte le dernier, et je suis lessivé mais il y a la troisième soirée d’affilée qui arrive.
Lorsque les relations se rompent, c’est le pire. Plus je me sentais seul, plus l’alcool grignotait de la place. Se renfermer, mettre des masques. J’ai mis des masques pendant toute ma période d’alcoolisme. Et ce masque il devient de plus en plus lourd à arborer, il commence à se craqueler. La solitude détruit tout autant que l’addiction.
Un déclic ça n’arrive pas comme ça du jour au lendemain non plus. Il faut une succession de prises de conscience, d’essais et d’échecs. Mais il y a des graines semées, des amis, de la famille, des médecins… Il n’y a pas forcément d’effet immédiat mais ces graines germent. Même si j’ai envoyé valser un nombre incalculable de gens, si j’ai claqué des portes… aujourd’hui je sais avec grande humilité que toutes ces phrases m’ont servi.
« La question est de savoir quelle est la place de l’alcool dans sa vie. »
Découvrez le témoignage complet de Baptiste Mulliez dans son livre
« D’avoir trop trinqué ma vie s’est arrêtée »,
co-écrit avec Judith Lossmann.
Judith Lossmann éditions, 287 pages, 20 €.
Disponible à l’achat via son site internet : d-avoir-trop-trinque-ma-vie-s-est-arretee.com
Baptiste Mulliez est aujourd’hui patient-expert en addictologie pour transmettre son expérience et accompagner des personnes qui souffrent d’addiction.
Instagram : @mulliezbaptiste
Propos recueillis par Lise de Crevoisier





