En France, environ 3 % des enfants seraient intellectuellement précoces. Le repérage de ces enfants dits « à haut potentiel » se fait sur la base du test de QI (quotient intellectuel). Ce test est incontournable pour détecter un enfant à haut potentiel en le situant par rapport à la norme standard de la population. « Celle-ci se trouve entre 90 et 110 de QI, précise Fabrice Bak, psychologue. Le haut potentiel est défini en France à partir de 130. » Aujourd’hui, la réalisation du test de QI s’accompagne d’une batterie de tests cognitifs afin d’effectuer un bilan plus complet.
L’expert – Fabrice Bak
Psychologue cognitiviste, fondateur et directeur d’un cabinet de psychologie cognitive appliquée à Lyon, spécialisé dans les troubles des acquisitions scolaires chez l’enfant et l’adolescent. Auteur de La précocité dans tous ses états : à la recherche de son identité, Éditions L’Harmattan, 2013, 368 pages.
Un dépistage systématique est-il recommandé ?
Fabrice Bak n’est pas en faveur d’un dépistage massif du haut potentiel. Selon lui, le test de QI doit être réalisé à partir du moment où il y a un questionnement de la part des parents fondé sur des difficultés particulières que peut présenter leur enfant. « Avant de creuser la piste, on s’assure qu’il y a suffisamment de faisceaux indicateurs », indique le psychologue. De la même manière, lorsqu’un enfant est repéré à haut potentiel, le dépistage de la fratrie n’est pas forcément recommandé si aucun indice ne laisse suspecter une précocité.
À quel âge est généralement détecté le haut potentiel ?
Les enfants à haut potentiel ont un développement atypique dès la toute petite enfance. Ce sont des bébés très vifs et attentifs à leur environnement. Des travaux de recherche ont mis en évidence des zones du cerveau particulièrement actives chez ces enfants, par exemple la zone du langage. « Ce sont des enfants qui apprennent à parler très tôt, avec des phrases étonnamment bien structurées, un vocabulaire précis et l’utilisation de conjonctions de coordination », explique Fabrice Bak. Ainsi, un décalage peut être observé dès la maternelle, l’enfant se désintéressant des activités qui lui sont proposées et des autres élèves, et préférant solliciter la personne qui lui paraît la plus cohérente, en l’occurrence l’enseignant. Le haut potentiel a tendance à être détecté plus tardivement chez les filles que chez les garçons, car elles adoptent la stratégie du caméléon. « Elles perçoivent très bien ce qu’on attend d’elles et se suradaptent au système scolaire », précise Fabrice Bak.
Les enfants à haut potentiel sont-ils en avance sur tout ?
« Les enfants à haut potentiel ne sont pas forcément plus intelligents, ils pensent juste différemment, et ce n’est pas forcément un atout », estime Fabrice Bak. Ils peuvent avoir des difficultés en écriture, par exemple, leur pensée allant plus vite que leur main. Et comme ils attachent plus d’importance au sens du texte qu’à sa forme, les fautes d’orthographe sont souvent légion. Dans l’émission Les pieds sur terre de France Culture du 24 août 2018, intitulée « Dans la tête des enfants surdoués », François, 10 ans, à haut potentiel, résume bien la situation : « Sur certaines choses, je me sens terriblement en retard, et sur d’autres terriblement en avance, là où tout le monde a 10, j’ai 0, et là où tout le monde a 0, j’ai 10. » Loin d’être sûrs d’eux, ces enfants se sentent généralement à l’écart, incompris, et se remettent en permanence en cause. Alors que leurs camarades parlent du dernier jeu vidéo ou de la dernière coupe de cheveux à la mode, eux s’interrogent sur l’origine de la vie, l’univers ou encore le réchauffement climatique… On est bien loin de la naïveté propre à l’enfance.
Par quoi ces enfants sont-ils particulièrement intéressés ?
Les enfants à haut potentiel prennent conscience très tôt des dangers et menaces qui pèsent sur notre planète. Les comprendre est une manière de se rassurer. Ainsi, ces enfants sont focalisés sur la compréhension du monde dans lequel ils vivent et sont dans une quête perpétuelle de la vérité. « Impossible de leur faire croire au Père Noël ! », témoigne Fabrice Bak. Ce sont souvent des enfants qui posent un tas de questions, chaque question en entraînant une autre. « Ça peut être très fatigant pour les parents et l’entourage qui, souvent, se retrouvent démunis », précise le psychologue.
« Le haut potentiel peut être très fatigant pour les parents et l’entourage qui, souvent, se retrouvent démunis. »
En quoi notre système pédagogique n’est-il pas adapté à ces enfants ?
Ce sont des enfants qui fonctionnent par la mise en sens. Or, force est de constater que notre système pédagogique en est dépourvu. Aujourd’hui, on demande aux élèves d’apprendre et de restituer plutôt que de comprendre. Par ailleurs, « l’école a tendance à segmenter les informations, tandis que les enfants à haut potentiel ont besoin d’un apprentissage plus global », constate Fabrice Bak. Certains enfants sont dits « intuitifs », c’est-à-dire que la réponse à une question leur apparaît comme un flash sans même qu’ils aient conscience du cheminement intellectuel opéré pour l’obtenir. D’autres sont dits « déductifs », c’est-à-dire qu’ils envisagent toutes les solutions possibles et imaginables à un problème avant de s’arrêter sur la plus probable. « Dans les deux cas, ils vont être perdants au collège », déplore le psychologue. Les intuitifs, car ils ne pourront pas expliquer leur raisonnement et les déductifs, car ils perdront trop de temps lors des interrogations. On assiste à un vrai paradoxe : des enfants aux aptitudes intellectuelles élevées se retrouvent en difficulté scolaire. « Pour que les enfants puissent s’adapter au système scolaire, on propose, dans les prises en charge, de développer l’intuition chez les “déductifs” et la déduction chez les “intuitifs” », explique Fabrice Bak.
Qu’est-ce qui est proposé aujourd’hui pour accompagner ces enfants ?
Depuis le rapport Delaubier (2002), les enfants à haut potentiel sont reconnus comme ayant besoin d’un accompagnement spécifique, notamment un aménagement de leur scolarité. Dans certains cas, un saut de classe ou un enrichissement scolaire suffit à réconcilier l’élève avec l’école. Il existe également des dispositifs d’accueil dans le public, ou dans le privé sous contrat avec l’Éducation nationale. « Mais le mieux est d’éviter la ghettoïsation, estime Fabrice Bak. Certains établissements accueillent ces enfants dans des classes standard, mais avec des enseignants formés pour les prendre en charge. » Les classes à horaires aménagés, telles que les classes CHAM (classes à horaires aménagés musique) peuvent aussi être une solution.
Tous les enfants à haut potentiel souffrent-ils de leur situation ?
Certains enfants à haut potentiel suivent une scolarité parfaitement normale et ne seront même jamais dépistés. Dans d’autres cas, le haut potentiel peut s’accompagner d’une souffrance liée à des difficultés d’adaptation, surtout s’il n’est pas bien pris en charge. L’un des risques est que l’enfant développe un « faux self », c’est-à- dire une image de lui fabriquée, sociale, qui ne corresponde pas à ce qu’il est réellement. À l’adolescence, de vrais problèmes d’identité peuvent surgir. « Par exemple lorsque l’adolescent va vouloir s’engager dans une relation sentimentale, car on ne peut pas entrer dans un lien affectif sur un faux self », explique Fabrice Bak. Par ailleurs, ce sont des enfants très sensibles, qui ont souvent des difficultés à gérer leurs émotions, ce qui peut être une source de souffrance et d’angoisse.
Que deviennent ces enfants une fois adultes ?
Un enfant à haut potentiel deviendra un adulte à haut potentiel. En effet, le QI est assez stable dans le temps à condition, bien entendu, de ne pas souffrir d’atteinte neurophysiologique ni d’avoir subi de choc ou de traumatisme émotionnel majeur qui viendrait altérer l’efficience de la pensée. Les adultes à haut potentiel sont souvent qualifiés de « sentinelles », c’est-à-dire qu’ils sont dans l’anticipation permanente. Ils perçoivent les dysfonctionnements sociétaux et les ressentent plus intensément. « Plus la société va mal, plus ils vont mal », résume Fabrice Bak. Mais d’autres types de profils existent, certains adultes étant plus propices aux débordements émotionnels, d’autres dans la rationalisation poussée à l’extrême. « Dans l’idéal, l’adulte à haut potentiel a ces trois caractéristiques, mais on constate souvent qu’une position privilégiée s’est installée », conclut Fabrice Bak.
Le QI qu’est-ce donc ?
Le quotient intellectuel, ou QI, est le résultat d’un test effectué par un psychologue permettant d’évaluer les capacités logiques et intellectuelles d’un individu, enfant ou adulte. Il existe trois tests en fonction de l’âge :
- Entre 2 et 7 ans environ : WPPSI-R 4
- Entre 7 et 17 ans environ : WISC 5
- Après 17 ans : WAIS (Wechsler Adult Intelligence Scale)
Un QI supérieur à 130 permet de retenir le haut potentiel, la norme étant située entre 90 et 110.
- 200 000 C’est le nombre estimé d’enfants précoces scolarisés de 6 à 16 ans en France. Source : Organisation mondiale de la santé
Par Clémentine Vignon