Longtemps bannis de toute recherche médicale, car prohibés, les psychédéliques font leur grand retour. Coup d’œil sur l’histoire de leur utilisation en médecine psychiatrique.
Par Sacha Citerne
Hallucinant ! Les psychédéliques, comme le LSD ou la psilocybine, issue des champignons hallucinogènes, pourraient bien être plus que des drogues récréatives. À condition de bien doser et d’être accompagné par des professionnels de santé. Ces substances psychoactives – modifiant l’état de conscience d’un individu – sont à l’étude pour soigner des patients souffrant de divers troubles psychiatriques (dépression sévère, addictions, anxiété liée à la fin de vie…). Depuis les années 2000, les essais cliniques se multiplient dans quelques pays du monde anglo-américain, ainsi qu’en Suisse et en Allemagne par exemple, avec une accélération cette dernière décennie.
En retard, la France s’y met aussi : avec le lancement d’une étude en mai dernier pour tester l’efficacité de la psilocybine contre l’addiction à l’alcool au CHU de Nîmes. Et une autre, contre la dépression résistante aux traitements classiques, qui a démarré à la rentrée au GHU Paris psychiatrie et neurosciences. Pourtant, les essais cliniques sur les psychédéliques ne datent pas d’hier.
Haut en couleur
En Occident, la recherche sur les psychédéliques commence dans les années 1940. Même si au début, elle est « assez limitée car le but n’est pas thérapeutique, mais plutôt expérimental », raconte Zoë Dubus, historienne des psychotropes à l’Université de Saskatchewan (Canada). Après-guerre, les psychiatres n’ont aucun médicament à disposition. Ils pensent que les psychédéliques « provoquent des effets se rapprochant de ceux des psychoses », retrace l’historienne.
Les médecins en administrent alors à des sujets sains, à leurs proches ou… à eux-mêmes ! Leurs expériences « cherchent à comprendre la ”folie”, mais aussi à développer de l’empathie à l’égard de leurs patients », poursuit l’historienne. Alors que les troubles psychiques souffrent, comme encore aujourd’hui, de préjugés et de méconnaissance, il n’y a pas vraiment de réglementations éthiques pour encadrer les expérimentations.
L’espoir des années 1950
Il faudra attendre l’arrivée d’un « antidote » : la chlorpromazine, en 1954, pour que les études cliniques s’accélèrent. Cette molécule antipsychotiques ou neuroleptiques permet de « contrôler l’expérience psychédélique ». Du moins, d’en calmer les effets lorsque ceux-ci sont trop intenses. Baptisé Largactil, c’est également le tout premier médicament antipsychotique mis sur le marché dans le monde.
Dans les années 1950, décennie de « très grand espoir de la psychiatrie », fait savoir Zoë Dubus, naît le champ de la psychopharmacologie. Le monde occidental grouille de recherches tentant d’étudier ces substances : États-Unis, France, Angleterre, Allemagne, Suisse, mais aussi, Argentine, Japon ou Iran. « Le LSD est un des médicaments les plus étudiés au monde », souligne Zoë Dubus.
Champ de recherche buissonnant
Un très grand nombre d’affections sont mises à l’épreuve du LSD. « Au début, la recherche tente de soigner la schizophrénie, rend compte l’historienne. La dépression, l’anxiété et les addictions à l’alcool et à l’héroïne sont les domaines qui déjà, donnent les meilleurs résultats ».
Mais des recherches se font aussi sur l’autisme, l’anorexie, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Au-delà de la psychiatrie, des découvertes émergent dans le traitement de la douleur.
« Par exemple, le LSD est comparé aux morphiniques utilisés à l’époque, et permet des périodes sans douleur qui sont dix fois supérieures », affirme la chercheuse.
Choc contre accompagnement
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les psychiatres, notamment français, utilisent des « thérapies de choc ». Ils imaginent « l’esprit comme un bâtiment qui, chez les malades, est fissuré, illustre Zoë Dubus. L’idée est de détruire et de reconstruire ce bâtiment avec l’aide du psychiatre, qui lui a les plans d’un psychisme qui fonctionne ». À l’instar des électrochocs, des lobotomies ou des comas artificiels, ces méthodes agressives fonctionnent peu, mais sont les seules disponibles à l’époque. Les psychédéliques sont donc étudiées selon cette même logique de choc. Or, avec ces derniers, les patients sont en pleine conscience et ressortent traumatisés, parfois pendant des jours, de leurs séances. De véritable bad trip !
À l’inverse, en Angleterre, se développe une méthode de « psychothérapie assistée par LSD ». Initiées par Ronald Sandison, psychiatre britannique, de faibles doses sont administrées à des patients souffrant par exemple de dépression ou d’alcoolisme sévère et augmentent progressivement au cours d’une trentaine de séances. C’est le « modèle psycholytique ». Au Canada, un modèle similaire apparaît, nommé « psychédélique ». Les doses sont plus fortes, mais les séances moins nombreuses – deux à trois. Avec ces méthodes anglo-américaines, le choc laisse sa place à l’accompagnement.
Fin du voyage et Renaissance
En 1958, la psilocybine est découverte. C’est le principe actif de champignons hallucinogènes. Les études pionnières se passent en France, sous la direction de Roger Heim, alors botaniste et directeur du Muséum national d’histoire naturelle, mais sont bientôt interrompues. Le climat politique, hostile à la « contre-culture » (rebelle, antimilitariste…), associe les molécules psychédéliques à divers maux : décadence, augmentation des suicides et des troubles sociaux dans la jeunesse, etc. Les médias présentent ces substances comme dangereuses et ne relaient pas les études médicales.
En 1971, l’Organisation des Nations unies (ONU) interdit les psychédéliques lors de la convention sur les substances psychotropes, stoppant la majorité des recherches.
Aujourd’hui, la science occidentale est en « renaissance psychédélique », comme l’énonce le psychiatre britannique Ben Sessa dans un article en 2012. Ces substances suscitent de nouveaux espoirs face à l’augmentation des impasses thérapeutiques. Depuis 1 an, en Australie, la MDMA (principe actif de l’ecstasy) et la psilocybine peuvent être prescrites par certains psychiatres pour traiter le trouble de stress post-traumatique et la dépression. À voir si les nouvelles études françaises verront renaître les promesses des études passées.
« Ma première pensée a été que ce serait très important pour la psychiatrie »
Le LSD fut découvert en 1938 par le chimiste suisse Albert Hofmann alors qu’il travaillait sur l’ergot de seigle, un champignon parasite du seigle. Ses effets psychoactifs ne sont alors pas connus. En 1943, alors qu’il fabrique à nouveau du LSD, il interrompt son travail et rentre chez lui à vélo. Quelques gouttes seraient tombées sur ses doigts avant qu’il ne les porte à sa bouche. Agité, le chimiste entre « dans un étrange état de conscience », comme il le dira lors d’entretiens parus dans le livre Le LSD et les années psychédéliques (Rivages, 2006). Il raconte que sa « première pensée a été que ce serait très important pour la psychiatrie », après avoir essayé volontairement une dose plus importante.





