S’observer dans le miroir est une torture pour eux. Le regard des dysmorphophobiques amplifie leurs défauts, réels ou supposés, et leur pourrit la vie. Comment faire la paix avec son corps et sortir de cette obsession ? Retour sur ce trouble encore méconnu.
« Ce sont des personnes qui ne se sentent pas dignes d’être aimées à cause de leur apparence physique », alerte Caline Majdalani, psychologue clinicienne spécialisée dans la psychologie de l’image, en décrivant ses patients souffrant de dysmorphophobie. Ce trouble mental, qui concerne près de 3 % de la population, peut transformer chaque reflet en une torture. Une personne dysmorphophobique n’y verra qu’une version déformée de son image où ses imperfections physiques sont grandement amplifiées.
« Certains ne sortent plus de chez eux »
Les cernes deviennent des crevasses, les boutons des pustules, les cicatrices des plaies béantes, les bourrelets des sacs de graisse… Le regard des personnes souffrant de dysmorphophobie sur leur reflet n’est pas tendre et détruit leur quotidien. Ils sont persuadés que cet aspect de leur physique est ce qui les définit, car c’est la seule chose qu’ils voient lorsqu’ils s’observent. « Ce trouble est une obsession qui prend toute la place dans la vie psychologique, professionnelle et mentale », souligne Caline Majdalani, qui ajoute que « certains ne sortent plus de chez eux ou refusent d’être dans des relations amoureuses, mais aussi amicales ou professionnelles ».
Pour vivre avec cette obsession, les dysmorphophobiques développent diverses adaptations. Certains se tournent vers une stratégie de dissimulation pouvant se traduire par certains choix de vêtements cachant leur défaut ou l’utilisation de maquillage pour le masquer. Alors que d’autres se prendront en photo sous tous les angles pour avoir un sentiment de maîtrise sur leur défaut.
Une souffrance autant physique que mentale
« Ces mécanismes font du bien quelques instants, mais, sur la durée, aggravent l’état de l’individu », lance Caline Majdalani. Ils les poussent à toujours prendre en compte leur défaut dans chacun des aspects de leur vie ce qui augmente leur obsession, leur stress, accentue leur anxiété et entraîne un état de détresse.
Pour aller mieux, elles peuvent avoir recours à la chirurgie esthétique ou restreindre leur alimentation pour se débarrasser des aspérités de leur corps, quitte à mettre en danger leur santé. Pourtant, ces pratiques n’apportent que très rarement une satisfaction et peuvent même exacerber les symptômes.
« C’est une véritable souffrance qui peut pousser à la dépression, à l’utilisation de drogue voire même au passage à l’acte suicidaire » se désole la psychologue. Environ 80 % des personnes dysmorphophobiques ont des idées suicidaires et 30 % ont réalisé des tentatives de suicide, selon un article publié dans la revue Clinical Psychology Review en 2016.
« La dysmorphophobie n’est pas assez prise au sérieux »
Malgré les conséquences potentiellement dramatiques, ce trouble est très souvent ignoré du patient qui considère sa problématique comme physique et non psychologique. Qui plus est, « la dysmorphophobie n’est pas assez prise au sérieux, même par les professionnels. C’est l’un des troubles les moins étudiés en psychopathologie » déplore Caline Majdalani.
L’ensemble de ces facteurs entraîne souvent une errance thérapeutique particulièrement longue, qui dure 15 ans en moyenne.
Thérapie cognitivo-comportementale : un outil pour déconstruire le trouble
Poser un diagnostic représente déjà une avancée importante dans le parcours de soins du patient. Il permet de comprendre le fonctionnement de leur obsession et ses mécanismes sous-jacents. Les psychologues peuvent ensuite, à travers une thérapie cognitivo-comportementale, aider la personne dysmorphophobique à retravailler sa vision de son physique, mais aussi à reconstruire son estime personnelle. La thérapie permet au patient d’avoir à nouveau une vue d’ensemble de son identité.
Ces thérapies peuvent être complétées par des antidépresseurs. Ils améliorent la gestion des humeurs des patients.
Avec un bon accompagnement, les patients peuvent se voir sous un autre jour et sortir de leur obsession. « Même si l’apparence est importante dans notre société, celle-ci ne doit pas nous empêcher de vivre », conclut la psychologue.
Par Corentin Bell
Traiter la dysmorphophobie — L’obsession de l’apparence
Paru en octobre 2017 aux éditions Dunod, Traiter la dysmorphophobie — L’obsession de l’apparence revient en détail sur le fonctionnement de la dysmorphophobie et ses traitements. Une porte d’entrée pour les spécialistes peu familiers à ce trouble, mais aussi pour les personnes en souffrant qui pourront comprendre le fonctionnement de leur obsession.





