Les inégalités de santé entre les genres sont encore particulièrement marquées en France et ce sont les femmes qui en souffrent le plus. Retour sur les racines de ce phénomène mêlant préjugés et précarité économique.
Par Corentin Bell
« La médecine a historiquement été centrée sur le corps masculin, réduisant le corps féminin à ses fonctions reproductrices. Cela a influencé la représentation des maladies chez les femmes, avec des idées reçues qui persistent encore », pointe Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur à Paris et co-dirigeante du groupe « genre et recherche en santé » au sein du comité d’éthique de l’Inserm. Selon la chercheuse, ces préjugés sont au cœur des inégalités de santé entre les genres observées en France et dans le monde.
Maladies cardiovasculaires : la première cause de mortalité chez les femmes
« Nous avons longtemps pensé que l’infarctus touchait surtout les hommes stressés au travail, et que les femmes étaient protégées par leurs hormones jusqu’à la ménopause », rappelle Catherine Vidal, « c’est faux ! » assène-t-elle ensuite. En effet, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes selon l’Organisation mondiale de la santé et elles concernent aussi les femmes non ménopausées. Une étude française publiée dans The journal of the American heart association en septembre 2024 a montré que les maladies cardiovasculaires étaient en hausse chez les femmes de moins de 50 ans.
Pourtant, « De nombreuses études internationales montrent que les femmes sont sous-informées et vont appeler les urgences bien plus tard même lorsqu’elles souffrent d’oppression dans la poitrine. Les enquêtes épidémiologiques montrent que les femmes qui arrivent aux urgences pour une suspicion d’infarctus sont en moyenne moins vite prises en charge et diagnostiquées que les hommes », souligne Catherine Vidal.
Santé mentale : les femmes particulièrement touchées par la dépression
Selon le baromètre de santé publique 2021, publié en février 2023 par Santé publique France, les femmes sont deux fois plus touchées par les épisodes dépressifs que les hommes. Ainsi, 26 % des femmes âgées de 18 à 24 ans souffrent de troubles dépressifs, contre 15 % des hommes. Cela s’explique par des conditions de vie précaires qui ont été aggravées par la crise du Covid, mais aussi par les charges domestiques et les violences physiques et sexuelles auxquelles sont confrontées près de 321 000 femmes chaque année en France, selon le gouvernement.
Des inégalités de santé qui concernent aussi les hommes
Ces biais sexistes du corps médical ne concernent pas que les femmes. L’ostéoporose est, par exemple, considérée comme une maladie quasiment exclusivement féminine et affecte effectivement près d’un tiers d’entre elles autour de l’âge de 65 ans et à partir de 80 ans, 70 % des femmes souffrent d’ostéoporose, selon l’Assurance maladie. Cependant, « après 80 ans, la perte osseuse est équivalente entre hommes et femmes, mais les hommes ne sont quasiment pas traités, car l’ostéoporose est vue comme une maladie féminine », pointe Catherine Vidal.
Maladies professionnelles : les femmes principalement pénalisées
Les inégalités de santé se manifestent dans toutes les strates du quotidien, que ce soit à la maison ou au travail. Selon le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, les femmes constituent 70 % des travailleurs pauvres, 82 % des emplois à temps partiel et 62 % des emplois non qualifiés.
Elles se retrouvent donc souvent dans des métiers où leur santé est mise à mal. « Il a été mis en évidence que l’amiante a un effet significatif sur le développement du cancer de l’ovaire, ce qui n’était pas reconnu auparavant. De nombreuses femmes y ont été confrontées sur leur lieu de travail ou de vie. De plus, certaines professions, comme celles liées au nettoyage, impliquent la manipulation de produits toxiques et cancérogènes. Pourtant, les études sur les effets de ces expositions sur la santé restent insuffisantes, bien que ces métiers soient majoritairement occupés par des femmes », détaille Catherine Vidal.
Précarité : un facteur catalysant
La santé est aussi profondément liée à des problématiques économiques. La précarité des femmes entraîne souvent un renoncement aux soins, sauf temporairement lorsqu’elles ont une famille. « Paradoxalement, lorsqu’elles ont des enfants et des besoins liés à leur santé sexuelle et reproductive, elles consultent plus que les hommes. Mais une fois ces urgences passées, en situation de précarité, elles renoncent souvent aux soins. Cela diminue les opportunités de dépistage des pathologies à risque », explique la chercheuse.
Le manque de ressources financières n’implique pas seulement une réduction des visites chez les professionnels de santé, mais aussi une augmentation des facteurs de risque de développer des maladies : mauvaise hygiène de vie, habitat insalubre ou alimentation déséquilibrée. L’ensemble de ces éléments peuvent engendrer de l’obésité, du diabète, des maladies cardiovasculaires ou encore de la dépression.
En 2024, les maladies cardiovasculaires étaient en hausse chez les femmes de moins de 50 ans.
Sensibiliser pour mieux traiter
Pour réduire les inégalités de santé entre les genres, Catherine Vidal estime qu’il faut réaliser un travail de sensibilisation bien plus important à ce sujet, tout particulièrement auprès des professionnels de santé qui jouent un rôle clé pour résoudre ces problématiques. « La société dans son ensemble est imprégnée de stéréotypes sur les femmes et les hommes, y compris chez les soignants. Il est donc essentiel de sensibiliser les professionnels de santé, dès leur formation initiale et tout au long de leur carrière, afin de leur permettre de prendre du recul sur ces idées préconçues. Cela nécessite des efforts conséquents, notamment dans les formations continues. C’est un problème politique, il faut qu’il y ait une impulsion des gouvernements pour instituer des enseignements dignes de ce nom et aussi faire des campagnes d’information auprès du grand public à travers les médias. Sinon, seules les associations auront la charge de sensibiliser la population. En France, nous avons un milieu associatif remarquable, mais il ne peut pas tout faire », conclut-elle.





