Quelle est la place de la masturbation dans la vie sexuelle ? Et dans le couple ? Pourquoi est-elle taboue ? Doit-on en parler ? Beaucoup de questions que nous n’osons jamais poser et auxquelles vous trouverez, peut-être, des réponses ici.
Philippe Brenot est psychiatre, anthropologue et directeur des enseignements de sexologie à l’Université de Paris, auteur de l’Éloge de la masturbation, il retrace pour Vocation Santé l’histoire de ce que l’on appelle masturbation et nous en dit plus sur son rôle.
À quoi ça sert ?
Qu’entend-on par masturbation ?
Du latin manus, main et de stuprare, polluer, la masturbation est définie dans le Petit Larousse de la sexualité comme « une pratique sexuelle consistant à obtenir seul et pour soi-même un plaisir sexuel allant jusqu’à l’orgasme, par des contacts adaptés au niveau de la zone sexuelle ». Philippe Brenot précise que c’est « une stimulation sexuelle de soi-même dans le but d’obtenir une excitation et un orgasme, elle se fait à l’aide de la main, d’un objet, des cuisses… » Longtemps utilisé pour ne décrire que les pratiques masculines d’auto-stimulation, le mot masturbation n’a été étendu, dans le vocabulaire collectif, à la sexualité féminine qu’en 2003 lorsque Nathalie Rykiel mit des sextoys en vitrine des boutiques de sa mère, Sonia Rykiel, dévoilant ainsi au grand jour le tabou sur la masturbation féminine.
Que dit la science ?
« C’est Masters et Johnson qui, en 1966, réalisent de façon très secrète les premiers travaux scientifiques en sexologie, s’attirant alors les foudres de l’Ordre des médecins. » raconte Philippe Brenot. Le duo de chercheurs va montrer que la masturbation est l’élément central de la sexualité. En effet, pour eux, la sexualité humaine n’est pas innée et elle doit s’apprendre. « C’est en cela que la masturbation, l’apprentissage du plaisir, devient une des façons de s’initier à la sexualité avant le premier rapport. Car si dans la nature, les animaux se reproduisent au vu et au su de tous, chez l’humain, le sexe se pratique en aparté. Il n’y a donc pas de modèle (mis à part les représentations à caractères sexuel), et une des façons les plus rassurantes d’apprendre est : avec soi-même. C’est une sorte d’étape nécessaire à la construction de soi-même, car la masturbation permet d’apprivoiser les réactions personnelles. » explique Philippe Brenot.
Mais pourquoi est-ce si tabou ?
Depuis des siècles, l’éducation est dispensée par des religieux qui, dans leurs textes, ne disposaient d’aucun mode d’emploi pour traiter la question de l’auto- stimulation. Comment l’expliquer ? Qu’en dire ? Quelles conséquences ? Philippe Brenot précise qu’« il est difficile d’imaginer ce que l’on vivait à l’époque ». La masturbation a cependant vite rejoint le banc des interdits, faisant ainsi l’objet de pressions restrictives qui se perpétuent encore aujourd’hui. Pourtant, et Philippe Brenot le rappelle bien, la masturbation est tout à fait normale, elle n’est pas sale et n’apporte aucune maladie. Cette réticence à l’accepter est d’ailleurs encore d’actualité lorsque l’on parle de sexualité féminine. « Cela permet de taire la liberté. »
Au-delà de l’interdit, le tabou est entretenu par le fait que la masturbation est un acte relevant de « l’intime de l’intime ». En effet, « elle ne se fait jamais en public, c’est un comportement intime qui peut se partager à la rigueur avec un partenaire de vie ». Pour Philippe Brenot « ce n’est pas qu’un acte solitaire, il peut se partager. Car au final, même dans le plaisir solitaire, on inclut autrui dans son imaginaire. C’est un tabou qui gagnerait à être levé dans les couples. »
Une vie sexuelle épanouie
PB : La masturbation a le pouvoir d’augmenter le plaisir dans le couple. Beaucoup d’hommes et de femmes pensent qu’elle est incompatible avec la vie de couple, car elle se pratique sans son partenaire et est donc non valable. Pourtant cela n’amoindrira et n’invalidera en rien le désir pour l’autre, au contraire, il est tout à fait sain de la pratiquer en compagnie de son partenaire à qui l’on accorde confiance et intimité. Que cela soit simultanément ou en solitaire, c’est un pilier de la sexualité de chacun ! Il est normal que les deux partenaires aient également des moments de masturbation solitaires. Cela n’est pas du tout synonyme de manque ou de frustration.
Dans l’enfance puis l’adolescence, c’est une expérimentation des réactions, un apprentissage de son corps. De plus, il est intéressant de voir que l’auto-stimulation sexuelle a un pouvoir anxiolytique, néanmoins il faut faire attention à ne pas tomber dans l’addiction ou dans des comportements compulsifs compensatoires.
Le crime d’Onan
Nommer l’auto-stimulation a été un réel dilemme, elle fut alors désignée par ce qui lui ressemblait le plus dans les écrits : le mythe d’Onan. En effet, dans la Bible est conté le crime qu’aurait commis Oman qui, ne voulant pas engendrer d’enfant avec la veuve de son frère aîné, pratiqua un coït interrompu. Cette semence “perdue”, car n’ayant fécondé aucun ovule, étant semblable à ce qui se passait durant la masturbation, on la désigna ainsi, faisant d’elle un crime.
La masturbation et les femmes
Bien qu’il n’y ait aucune obligation à se masturber pour une vie (sexuelle) épanouie, que ce soit pour les femmes ou pour les hommes, on remarque néanmoins que cette pratique est occultée chez les femmes. Peu représentée et peu expliquée, les sondages montrent en effet que chez les femmes, la masturbation est soit inexistante soit irrégulière. En grande partie lié à une éducation sexuelle quasi-inexistante à ce sujet, le tabou qui règne sur la masturbation féminine est entretenu par un mécanisme de pensées que l’on dit “hétérocentré”. Il est donc important de redire ici, que le plaisir féminin n’est pas forcément lié au sexe de l’homme !
Aujourd’hui, plus de la moitié des femmes déclarent atteindre l’orgasme par stimulation externe du clitoris.
L’interview de Maëlle Challan-Belval,
conseillère conjugale et présidente de Comitys
Depuis les travaux de Françoise Dolto, l’enfant est considéré comme une personne à part entière, avec une conscience propre. Durant leur développement, les enfants passent par une exploration de leur sensibilité, de leurs sensations et des parties de leur corps. Cela peut donc les mener à une auto-stimulation, sans recherche d’orgasme qui s’apparente plus à un rituel pour se rassurer, réalisé à des moments de “seuils” ou de “flottements”, ou bien pour explorer leurs organes sexuels. Il est très important de pouvoir en parler à son enfant, lorsque le sujet se pose, sans le réprimer dans ses comportements d’apprentissage. Le point essentiel est de préciser le caractère intime de l’acte, et de les encourager à le faire, si cela doit avoir lieu, dans le cadre privé et seul.
Pour parler à votre enfant, il n’est pas du tout déplacé de nommer les choses. Ainsi vous pouvez parler des caresses ou du fait de se toucher sur des zones que l’on appellera intimes : les fesses, le sexe, les tétons, etc., et expliquer sans réprimer que cela est tout à fait possible, mais dans des moments où l’on est seul. Ce sont des conversations que l’on va avoir par petit bout et parfois, à plusieurs reprises, dans des situations différentes.
L’auto-stimulation compulsive peut être un signe de mal-être ou d’anxiété de l’enfant. Lorsque même après des explications, et après l’âge de 7-9 ans, l’enfant ne peut pas se retenir et se touche régulièrement sans se rendre compte, il faut discuter avec lui et essayer de voir si quelque chose ne va pas.
Quelques idées de séries, de comptes et de podcasts
Séries : Masters of Sex et Sex education
Comptes : Le tchat Les Pipelettes, la chaîne Youtube Entre mecs, l’instagram de Jouissance club
Podcasts : Entre nos lèvres
Le saviez-vous ?
Le mot masturbation a été utilisé en français pour la première fois par Montaigne dans un essai qui contait l’histoire de Diogène, un ermite qui s’adonnait au plaisir solitaire en public.
- Moins d’1/3 des partenaires a connaissance de la vie masturbatoire de leur partenaire.
Par Juliette Dunglas





