…comme à en ingérer pour guérir de la syphilis ou d’une infection. Résultat : à haute dose, il vous rend totalement bleu.
C’est une maladie à deux doigts du « schtroumpfesque » : l’argyrisme. Progressivement, la peau des pauvres malades se colore en bleu foncé, gris ardoise, voire bleu ciel. Et parfois jusqu’à l’intérieur même des yeux. Ce changement de couleur étonnant est la conséquence d’une accumulation de particules d’argent, qui s’incrustent sous la peau. L’argyrisme, du grec argyros (argent), reste une affection rare provoquée par l’ingestion excessive d’argent, sous forme notamment de traitements artisanaux. Qu’ils soient bus, avalés ou respirés, les sels d’argent pris à petites doses pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, exposent au risque de devenir totalement bleu.
S’ils ne sont aujourd’hui plus prescrits par voie orale, les sels d’argent, comme l’argent colloïdal, ont pendant des siècles été parés de mille vertus. En 980 déjà, Avicenne rapporte son utilisation de l’argent comme purificateur du sang et traitement des palpitations cardiaques. D’ailleurs, le scientifique décrit dans la foulée le cas d’un patient devenu bleuté. Certainement le premier cas d’argyrisme. Cataplasme, breuvage, élixir… En mal de médecine, le Moyen-Âge voit émerger bon nombre de mélanges argentés pour tenter de soigner à peu près tout. L’argent est alors utilisé contre l’épilepsie, les infections ou encore la syphilis. On imagine aisément le nombre d’hommes bleus qui déambulaient dans les rues à l’époque.
Du bleu à vie
Le terme d’argyrisme n’est finalement évoqué que des siècles plus tard, en 1840, par un certain Fuchs. L’argyrisme devient même une attraction. Au début du XXe siècle, le capitaine Fred Walters, surnommé « l’homme bleu de Buffalo Bill », donne alors des spectacles dans toute l’Europe. Petit à petit, les sels d’argent se spécialisent en ersatz d’antibiotiques « naturels » et ressurgissent sur le Web, notamment sous forme d’argent colloïdal. Pour une vingtaine d’euros la bouteille, ces sites proches de la charlatanerie promettent de traiter allergies, infections, gastrite ou autres problèmes cutanés. Ces prétendus compléments alimentaires avaient déclenché en 2003 une flambée d’argyrisme aux États-Unis, avec 6 cas d’empoisonnement recensés.
Les sites Internet, qui balayent d’un revers de main les dangers de l’argent, vont même jusqu’à proposer des posologies discutables. L’agence de protection de l’environnement américaine estime que de 1 à 4 g d’argent administrés régulièrement pendant quelques mois suffisent à provoquer un argyrisme chez certaines personnes. Jouer à l’apprenti médecin peut avoir de graves conséquences, car la coloration bleue de la peau est irréversible, même si elle peut être atténuée par un traitement laser. Et les désagréments ne sont pas qu’esthétiques. L’accumulation d’ions argent dans les tissus peut aboutir à une stéatose hépatique, une photosensibilisation, des lésions cérébrales et même le coma.
Stan Jones : la star des hommes bleus
Au début des années 2000, un homme politique atteint d’argyrisme a défrayé la chronique. Stan Jones, candidat libéral au Sénat américain, est apparu à la télévision complètement bleu après avoir absorbé pendant plusieurs mois un produit à base d’argent concocté par ses soins. Et l’explication a de quoi surprendre. Adepte des théories du complot et effrayé par le bug de l’an 2000, Stan Jones était persuadé que tous les antibiotiques deviendraient du jour au lendemain indisponibles. Pour lui, l’argent colloïdal était donc l’alternative idéale.
Stan Jones finira par perdre les élections, mais ne regrettera jamais son traitement. Il affirmera d’ailleurs que sa préparation était le secret de sa bonne santé. Quand on lui demanda comment il expliquait aux enfants sa couleur de peau, il répondit : « Je leur dis que j’essaye mon costume d’Halloween et voilà ! »