Chaque année, entre 4 000 et 5 000 Français se laissent tenter par le jeûne thérapeutique (source : Inca). Cancer, asthme ou encore schizophrénie… la tendance s’ancre dans certaines pratiques marginales, en dehors le plus souvent d’un cadre médical sérieux. Que dit la science ?
Nausées, vomissements, fatigue… Jeûner avant une chimiothérapie permettrait- il de mieux supporter ses effets, voire de les potentialiser ? C’est du moins les arguments avancés par les partisans du jeûne thérapeutique. C’est le cas par exemple du Pr Henri Joyeux connu pour ses positions critiques envers les vaccins notamment, « jeûner 48 heures avant une chimiothérapie fait que vous la supporterez beaucoup mieux ». Selon lui, il n’est pas question « d’affamer le cancer » mais de ne pas donner de sucre ou de protéine « que le cancer aime beaucoup ». Des explications séduisantes qui restent floues. Alors, que disent les études ?
Une étude prometteuse…
Une étude, menée sur la souris cristallise les arguments des pros jeûne : celle du Pr Valter Longo, biogérontologue à Los Angeles. Il a étudié deux groupes de souris atteintes de tumeurs et exposées à des doses de chimiothérapie 3 à 5 fois supérieures à celles autorisées chez l’Homme. L’un des deux groupes subissait une restriction calorique, l’autre non. Résultat : seuls 35 % des souris qui ne jeûnaient pas ont survécu, alors que les jeûneuses allaient bien mieux. Son étude a été reproduite dans deux autres laboratoires, avec les mêmes résultats.
Des travaux prometteurs, sauf qu’ils ne reflètent pas le consensus scientifique sur le sujet. Par ailleurs, Valter Longo explique, lors d’une interview pour un documentaire diffusé sur Arte, qu’au-delà de limiter les effets indésirables, le jeûne pourrait, sans chimiothérapie, ralentir la progression des cellules cancéreuses. Un conseil dangereux.
… Mais une littérature scientifique plus mitigée
Pour évaluer l’intérêt ou non du jeûne en cas de cancer, le réseau NACRe (Réseau national alimentation cancer recherche), sous l’égide de l’Institut national du cancer (Inca), a analysé l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet depuis 1940. Soit 200 études chez l’animal, 20 chez l’Homme et deux études épidémiologiques. En compilant les résultats de toutes ces études, l’Inca ne conclut à aucun bénéfice du jeûne, avant ou après la chimio.
Quel résultat chez l’animal ?
L’ensemble des études chez l’animal, principalement les souris, est très hétérogène. « Sur 24 études expérimentales chez l’animal, douze observent une amélioration de l’efficacité du traitement anticancéreux, dix une absence d’effet et deux une réduction de l’efficacité de la chimiothérapie avec une diminution de la survie », indique l’Inca. Un point partout, la balle au centre. D’autant plus que les méthodologies, très diverses, ne permettent pas une extrapolation à l’Homme. Les résultats dépendent par exemple fortement du type de cellules cancéreuses injectées à la souris.
Quel résultat chez l’homme ?
Chez l’Homme, les données sont encore plus éparses. La plupart du temps, les essais cliniques sont faits sur moins de 20 patients, sans comparaison avec un groupe contrôle, qui ne jeunerait pas. Une science faible donc. D’autant plus que, si la limitation des effets indésirables est étudiée, aucune n’analyse la progression de la maladie, la survie ou le taux de récidives…
Concernant l’étude épidémiologique : « La seule étude épidémiologique disponible concerne l’effet de la restriction protéique et suggère un effet favorable, chez les individus de 45 à 65 ans, sur le risque de décès, mais un effet défavorable après 65 ans », explique l’Inca.
Une perte de chance ?
Les preuves en faveur du jeûne sont donc faibles, voire inexistantes. Et rien ne permet d’évaluer pour l’heure son innocuité. Ce qui est clair en revanche, c’est qu’il peut favoriser la perte de poids, la fonte musculaire et la sarcopénie, une perte importante de la masse musculaire chez les personnes âgées. Autant de critères qui constituent une perte de chance pour les patients atteints de cancer et augmentent la mortalité.
La dénutrition, bien qu’elle n’accompagne pas systématiquement le jeûne, surtout lorsqu’il est court, diminue la tolérance à la chimiothérapie et force l’équipe médicale à abaisser les posologies. Pour l’heure, seuls des conseils simples s’imposent pendant une chimiothérapie : éviter l’alcool, manger équilibré et diversifié, et maintenir autant que possible une activité physique régulière.
Attentions aux dérives sectaires
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a alerté sur les risques sectaires du jeûne thérapeutique. « Ces pratiques, lorsqu’elles comportent des règles alimentaires déséquilibrées, carencées, voire extrêmes, associées au discours sectaire, ont révélé leur redoutable efficacité dans les processus d’emprise mentale ayant conduit, dans certains cas, au suicide ou à une mort prématurée d’adeptes par refus de protocoles thérapeutiques. » En milieu rural, en particulier, de nombreux séjours sont proposés, alliant jeune, marche, sophrologie, voire chamanisme. « Quelle que soit leur dénomination (stages, retraites, séjours…), elles ont en commun d’être coûteuses et de favoriser l’isolement des stagiaires. »
Le business du jeûne
Le jeûne thérapeutique est devenu un véritable business pour certaines cliniques, à commencer par les précurseurs du jeûne : la clinique Buchinger, située en Allemagne. Cet établissement privé, qui vante la « médecine intégrative » et la « régénération des corps » a été l’un des premiers à proposer des séjours de jeûne. Vous pouvez y résider de 14 à 21 jours, sans manger, pour la bagatelle de 3 600 à 55 000 euros en fonction des prestations. En France, ces cliniques médicalisées sont minoritaires, mais les tarifs proposés restent exorbitants.
Par Léa Galanopoulo