À 32 ans, Léa Vigier a déjà parcouru les profondeurs de la jungle et conquis les pics des montagnes. Pourtant son plus grand défi n’a pas été d’affronter ces environnements extrêmes, mais de surmonter sa bipolarité, une maladie qui l’habite depuis près de 10 ans.
La voilà au sommet. Léa Vigier, aventurière de 32 ans, fait face au lever du soleil à 7 000 mètres d’altitude sur le toit du mont Lénine au Tadjikistan, après un périple de plusieurs semaines. C’est le plus beau jour de sa vie et le symbole de sa maîtrise d’une maladie qui façonne les ombres et lumières de son existence : la bipolarité.
Léa Vigier a 23 ans quand sa vie bascule. Partie avec un ami dans la jungle amazonienne pendant 3 semaines en autosuffisance, la jeune femme se retrouve emprisonnée pendant 3 jours dans sa tente sous des pluies diluviennes, en manque de sommeil et surtout d’eau et de nourriture. Une situation particulièrement oppressante qui modifie même sa perception de la réalité. L’aventurière commence à avoir des hallucinations. Elle entend des voix et même les pales d’un hélicoptère qui ne viendra jamais. « Nous avons vraiment cru que c’était fini pour nous et que nous allions mourir », se rappelle Léa Vigier.
Une vie bouleversée
Après la tempête, le calme. La jeune femme peut enfin sortir de la jungle qui a failli la tuer. L’aventurière et son compagnon de route reviennent en France. Mais l’expérience a laissé une trace indélébile dans l’esprit de Léa Vigier et l’a changée en profondeur. Ses émotions, sa perception du monde qui l’entoure et ses espérances sont chamboulées. Le bonheur devient extase, la tristesse devient tourment et son ego se gonfle et se perce sans cesse.
40 millions de personnes sont atteintes de troubles bipolaires dans le monde.
Source : Lancet Psychiatry, 2022
« J’avais l’impression d’être une moins que rien »
Le quotidien de Léa Vigier devient incontrôlable, elle commence à perdre pied. « Durant les phases basses, tous les risques que j’ai pu prendre dans les phases hautes me tombent dessus. J’avais l’impression d’être une moins-que-rien. Ma vie se drapait de noir et m’amenait à vouloir quitter ce monde », explique-t-elle. Pendant 7 ans, Léa Vigier se lance dans des expériences extrêmes lors de ses phases hautes jusqu’à en faire des burnouts à répétition durant ses bas. Le psychiatre qui la suit privilégie la piste de la dépression et lui prescrit des antidépresseurs. Mais ces médicaments accentuent les symptômes de l’aventurière.
« Vivre ses rêves malgré la maladie »
En janvier 2024, alors qu’elle n’avait plus goût à la vie, un psychiatre pose enfin un mot sur sa maladie. Léa Vigier est bipolaire. La jeune femme est enfin libérée de l’incertitude, mais doit réussir à digérer le diagnostic. « Mon monde s’est écroulé. Je me suis dit que j’étais folle, que j’allais finir dans un hôpital psychiatrique, que personne ne voudra d’une bipolaire dans sa vie », se souvient l’aventurière. Son médecin enfonce le clou en lui demandant de mener une vie très stable et routinière, brisant ses rêves d’aventures. Elle s’éteint. Malgré tout, Léa Vigier se tourne vers une seconde experte qui rallume la flamme en elle en lui proposant une alternative, celle de « vivre ses rêves malgré la maladie ».
« J’arrive à voir un diamant derrière cette épine »
Petit à petit, la jeune femme accepte sa bipolarité et commence à en parler fièrement, que ce soit autour d’elle ou sur les réseaux sociaux — sur LinkedIn, ses posts concernant ses aventures et sa maladie réunissent 23 000 personnes. Accompagnée par sa psychiatre, elle a pu adapter son mode de vie à sa maladie et retourner le stigmate. « Je dors beaucoup, je médite, j’ai aussi arrêté l’alcool et je fais du sport. Cela me permet d’être très ambitieuse et de faire de super projets. J’arrive à voir un diamant derrière cette épine », se réjouit-elle. En couplant une écoute quotidienne de ses besoins corporels et de son humeur avec un traitement adapté prescrit par sa psychiatre, notamment des séances de thérapies cognitivo-comportementales, l’aventurière commence à prendre en main sa maladie.
Un nouveau défi pour dompter la maladie
Elle peut enfin se lancer un nouveau défi : gravir l’un des plus hauts sommets du monde, le mont Lénine, tout en domptant sa bipolarité. Dans son documentaire « 7 000 m pour vaincre ma bipolarité », réalisé par Victor Igonenc, Léa Vigier retrace ainsi son ascension et les épreuves, tout aussi physiques que mentales, qu’elle doit affronter. Durant son épopée, sa maladie ne l’épargne pas. Elle la pousse à faire preuve d’excès de confiance et à dépasser les limites de son corps au point de souffrir de maux d’altitude intenses. Aussi, Léa Vigier se trouve en détresse quand elle apprend que la montagne a pris la vie de plusieurs alpinistes avant elle.
Atteindre le sommet sans sombrer dans les abysses
Pourtant, l’aventurière française continue d’avancer, accompagnée par ses guides et soutenue par ses proches qui la rassurent et lui remettent les pieds sur terre lors de conversations téléphoniques dans les camps d’étapes. Contrairement à son expérience traumatisante dans la jungle, l’aventurière est préparée et arrive tout autant à dompter l’environnement que ses pics émotionnels. Le 20 août 2024, la date d’anniversaire de son père décédé, l’aventurière surplombe le mont Lénine : elle a réussi à briser les chaînes forgées par sa maladie.
Cependant, sa plus grande victoire n’est pas d’avoir gravi ce sommet, mais « de redescendre la montagne sans tomber dans les profondeurs après avoir touché les étoiles » conclut-elle.
« J’suis bipolaire. Tu m’invites ? »
Durant l’été 2025, Léa Vigier s’est lancé un nouveau défi : faire le tour de la France pour sensibiliser sur la bipolarité. Munie d’une pancarte décorée de la phrase : « J’suis bipolaire. Tu m’invites ? », l’aventurière alterne entre auto-stop et séjour chez l’habitant pour permettre à ceux qui la croisent de découvrir ce qu’est vraiment la bipolarité et briser les préjugés.
Cette épopée avait aussi pour but de collecter près de 100 000 euros pour l’association Hopestage, qui propose des formations gratuites pour permettre aux bipolaires de devenir des « experts » de leur maladie et de pouvoir enfin la prendre en main.
Accédez au lien de la cagnotte Hopestage en cliquant sur ce lien.
Par Corentin Bell





