Faiblement représentées dans la recherche médicale, les femmes accusent souvent un retard de diagnostic et de prise en charge. Face à ces angles morts, des experts auto-proclamés du bien-être n’hésitent pas à s’engouffrer dans la brèche de la santé féminine.
Une cérémonie pour se reconnecter avec l’utérus, un programme à 600 euros pour soigner les fibromes utérins avec une thérapeute… les offres autour du bien-être et de la santé des femmes fleurissent. Si certaines prêtent à sourire, d’autres sont plus inquiétantes.
Parmi la flopée de médicaments commercialisés chaque année, seulement 5 % des investissements en recherche et innovation sont dédiés aux pathologies féminines comme le syndrome prémenstruel, la ménopause, l’endométriose, les complications de grossesse ou encore les cancers du col de l’utérus, selon une étude menée par McKinsey.
À cet écart s’ajoute un historique d’études scientifiques qui s’est longtemps bâti sur un modèle masculin. Si bien qu’une loi américaine a, en 1993, dû imposer l’inclusion des femmes et des minorités ethniques dans les essais cliniques financés par le principal organe de recherche biomédical du gouvernement des États-Unis.
Devant ce contraste, certains business profitent du retard et du manque de compréhension des maladies féminines. La Pr Murielle Salle, experte en genre et humanités médicales et maîtresse de conférence à Lyon le concède : « Une patiente souffrant d’endométriose ou d’un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) et à laquelle on ne fait pas de proposition thérapeutique ira probablement chercher des solutions ailleurs. Et peut-être même en dehors de la médecine conventionnelle ».
1 % des financements cumulés en recherche et développement (hors oncologie) sont alloués aux pathologies féminines,
selon McKinsey.
La santé connectée, l’exemple des menstrutech
Que propose ce marché du bien-être pour les femmes ? Au menu : yoga
hormonal, cérémonies de féminin sacré, pantalons pour soulager l’endométriose, et applications de suivi du cycle menstruel. Baptisées menstrutech, ces dernières collectent des informations telles que les dates de règles, les douleurs, mais aussi l’aspect des sécrétions vaginales, le poids, l’activité sportive, l’humeur… Tant d’éléments à partir desquelles ces outils numériques tentent de prédire la période de règles et d’ovulation. Le problème ? Cette estimation du calendrier n’est pas vraiment fiable.
« Sur une centaine d’apps examinées, entre 9 et 19 % ont fait des prédictions correctes sur les périodes de fertilité », détaille un document publié par le comité d’éthique de l’Inserm en 2022, qui s’est penché sur le sujet. Il rapporte également que certaines applications tentent de prédiagnostiquer l’endométriose ou le SOPK à partir d’« anomalies » repérées dans le cycle menstruel — sans s’appuyer sur une validation clinique rigoureuse.
Contrairement aux revues scientifiques sérieuses, les applications en santé n’ont pas pour obligation de publier leurs résultats après avoir été relus par un comité de spécialistes. C’est le cas de la plupart des menstrutech. Présentées comme des outils de bien-être ou de suivi personnel, elles ne sont pas soumises aux réglementations qui encadrent les dispositifs médicaux numériques.
Ces applications, utilisées par plusieurs centaines de millions de femmes, appartiennent à la grande catégorie des technologies dédiées aux femmes, les FemTech. Le chiffre d’affaires des start-up françaises du secteur était de 42,8 millions d’euros en 2023, selon le baromètre FemTech France.
Sorcières, sorcières
D’autres courants prônent un retour vers une relation plus symbolique à soi et à la nature, comme le féminin sacré. Il est construit autour de rituels pour entretenir son énergie féminine telle la connexion à son pendule interne, la méditation ou la bénédiction de l’utérus. Des pratiques de soin non conventionnelles à ne pas prendre à la légère, car la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a alerté sur leurs potentielles dérives sectaires dans son dernier rapport.
Certaines de ces pratiques sont exercées par des praticiens non qualifiés qui prétendent apporter des réponses à des questions toujours en débat dans le domaine scientifique. Deux journalistes ont mené une enquête de terrain autour des dérives du marché de la santé des femmes en France, et retranscrite dans le livre Les négligées, publié aux éditions Harper Collins début 2025. Dans le cadre de leur investigation sur le féminin sacré, l’une des journalistes s’est vu proposer un « soin de libération émotionnelle » pour soigner l’endométriose, la pseudothérapeute lui affirmant que la pathologie résultait d’une émotion. Une allégation totalement contredite par la science.
Une science faite par et pour les hommes
La réduction des symptômes à des causes psychologiques s’observe aussi dans les discours médicaux. « Les stéréotypes étant ce qu’ils sont, quand une femme se présente chez un médecin en disant qu’elle se sent oppressée au niveau de la poitrine par exemple — ce qui peut être évocateur de maladies cardiovasculaires — les médecins ont tendance à psychologiser la problématique, explique l’historienne Murielle Salle, avant d’ajouter : ce qui génère un retard de diagnostic chez les femmes ». Un exemple qui vaut pour bon nombre de pathologies féminines.
La dernière enquête publiée en mars 2025 par Ipsos avec la Fédération hospitalière de France va dans ce sens : pour 42 % des femmes, les symptômes physiques ont au moins une fois été attribués à des causes psychologiques et hormonales sans investigation approfondie.
Autrefois construite autour du corps de l’homme, la médecine actuelle est marquée par des héritages historiques qui continuent d’avoir un effet sur la différence de diagnostic selon le genre. « Les femmes sont pensées comme fondamentalement, profondément, différentes des hommes. La science est androcentrée — c’est-à-dire qu’elle est faite par et pour les hommes. Cela ne veut pas dire que l’on ne pense pas les femmes, mais qu’on les pense en deuxième intention » conclut la professeure.
Repérer les applications médicales
Fin 2024, la Haute Autorité de santé a mis à jour le guide d’évaluation des applications en santé. Les exigences en termes de fiabilité et de validité des informations médicales ont été renforcées, auxquelles s’ajoutent deux nouveaux critères visant à accroitre la transparence : les sources et les preuves cliniques d’une part et les informations à fournir aux utilisateurs d’autre part. Pour plus de clarté, le référencement a également été adapté pour distinguer les applications bien-être des dispositifs médicaux.
« Sur une centaine d’applications examinées, entre 9 et 19 % ont fait des prédictions correctes sur les périodes de fertilités. »
Par Cléo Derwel





