À 57 ans, Tina Valier vient de publier « Coincée dans la machine infernale, journal d’une bipolaire ». Un ouvrage pour témoigner de son combat mené à bien contre cette maladie psychiatrique.
Par Antonin Counillon
Vocation Santé : Comment avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre ?
Tina Valier : J’ai toujours beaucoup écrit, notamment des poèmes et des textes, et j’ai voulu faire un témoignage de ce que j’ai vécu. J’ai constaté que les troubles bipolaires n’étaient pas beaucoup évoqués dans le grand public, à part dans quelques rares émissions, qui ne dépeignaient pas toujours la réalité et qui avaient une tendance à stigmatiser.
La bipolarité n’est généralement pas bien acceptée et il y a encore beaucoup de préjugés sur les troubles mentaux en France qui peuvent être associés à de la folie. La plupart des bipolaires cachent leur maladie, car cela peut leur porter préjudice. Il faut sortir du silence et ne pas avoir honte. C’est pour cela que j’ai voulu témoigner de mon histoire dans ce livre.
Comment fonctionne la bipolarité ?
Chaque bipolaire est différent, mais de manière générale, c’est comme si nous passions notre vie sur des montagnes russes. Pendant la phase maniaque, nous avons une énergie débordante, une joie de vivre incroyable et un petit égo surdimensionné. Nous sommes capables de faire une multitude de choses et avoir des projets fous et irréalisables. Cela peut nous mener à avoir des comportements excessifs, addictifs, et nous mettre en danger. Nous sommes hypersensibles, depuis des sensations absolument merveilleuses, jusqu’à une susceptibilité extrême ou une partie de nous-mêmes se transforme en petit diable incontrôlable.
Ensuite, il y a les phases de dépression, où nous n’avons plus aucune énergie et où nous sommes plongés dans une tristesse infinie. Il devient impossible de sortir, voir des amis, faire des courses, même d’aller prendre une douche ou faire à manger, avec une envie permanente de disparaître, voire de mourir. De nombreux bipolaires se suicident tellement la douleur psychique est intense. Entre les deux, il y a des phases calmes, ou d’équilibre, mais qui ne durent jamais très longtemps. Personnellement, je faisais une à deux crises de dépression par an, qui duraient quelques mois chacune. Ces phases cycliques sont neurologiques : des événements impactants peuvent les influencer, mais ils ne sont pas nécessaires pour les déclencher. Il y a évidemment beaucoup de répercussions sur l’entourage, nous sommes très difficiles à vivre.
Comment commencer à prendre cela en charge pour aller mieux ?
La première étape est de comprendre que nous sommes bipolaires, que c’est chimique et que cela durera pour toujours. Il faut sortir du déni et accepter de prendre un traitement à vie, comme les diabétiques. Cela peut être difficile, notamment parce que nous aimons les phases maniaques où nous ressentons un énorme bonheur au quotidien, que nous sommes très inspirés et créatifs. Il m’a fallu une bonne dizaine d’années pour accepter de prendre mon traitement de manière régulière.
Quels conseils pourriez-vous donner aux personnes bipolaires dans les moments les plus difficiles ?
Il y a de plus en plus de centres spécialisés, avec des psychologues, des psychiatres, des addictologues, ainsi que des activités encadrées par des thérapeutes comme de l’art-thérapie, de la relaxation et des méthodes de thérapie cognitive. Il y a des protocoles spécifiques pour les bipolaires qui sont centrés sur chaque individu. Cela permet de sortir de l’isolement, de revivre des choses positives et de reprendre confiance en soi.
Comment avez-vous réussi à vous stabiliser ?
Le plus important est de trouver le bon traitement, qui est différent pour chacun, ce qui peut se révéler difficile et conduire à de l’errance médicale et psychologique.
« Il faut sortir du déni et accepter de prendre un traitement à vie, comme les diabétiques. »
Aujourd’hui, les psychiatres ont fait d’énormes avancées et grâce à l’alliance thérapeutique, nous pouvons dialoguer, avoir accès à nos dossiers, prendre des décisions ensemble. J’ai ainsi pu, d’ajustement en ajustement, trouver la bonne combinaison de traitements, incluant notamment un régulateur d’humeur, un neuroleptique et un anxiolytique.
Depuis longtemps, je fais également une psychothérapie qui est une approche complémentaire très importante pour identifier et travailler sur les failles affectives de sa propre histoire. Cela fait environ 5 ans que je suis stabilisée, en gardant tout de même mon identité excentrique et artistique. Bien entendu, de par mon hypersensibilité, il y a des situations où je dois rester vigilante, mais aujourd’hui je suis enfin maître de ma vie.
Le livre écrit par Tina Valier, paru en 2023 aux éditions Vérone, est une histoire riche, poétique et touchante de son parcours de vie à travers la maladie.
Il est possible de se le procurer à la Fnac et en ligne sur Amazon.





