Une découverte accidentelle a permis à deux chercheurs australiens de comprendre le rôle de la bactérie Helicobacter pylori dans la survenue d’ulcères de l’estomac. Petite histoire d’un hasard fécond, qui aboutira sur un prix Nobel.
La sérendipité est un vilain gros mot… Elle désigne le fait de découvrir, totalement par hasard, quelque chose qui se révèle fructueux. À ce titre, l’histoire de la découverte de la pénicilline par Flemming en 1928, après avoir oublié une boîte de Pétri dans son laboratoire, est rentrée dans les annales. Moins connue, la découverte de la bactérie Helicobacter pylori, comme facteur majeur de survenue d’ulcères gastriques, reflète également les heureux hasards de la science.
Tout commence en 1982. Robin Warren et Barry Marshall, respectivement pathologiste et chercheur en gastroentérologie au Royal Perth Hospital, en Australie, analysent des échantillons d’estomac humain. Une opération de routine. Mais en y regardant de plus près, Warren observe des micro-organismes courbés, induisant une réponse immunitaire dans les tissus stomacaux. Cette bactérie fut nommée, plus tard, Helicobacter pylori. La moitié des patients, desquels étaient extraits ces échantillons, souffraient par ailleurs de gastrites ou d’ulcère de l’estomac.
L’estomac, vraiment stérile ?
Jusqu’alors, la cause établie de l’ulcère était le mode de vie, stress et alimentation épicée en tête. Les deux chercheurs émirent alors l’hypothèse d’une cause bactérienne. En 1983, Marshall écrit dans une revue scientifique : « Si ces bactéries sont vraiment associées à la gastrite, elles peuvent avoir un rôle à jouer dans d’autres maladies mal comprises, associées à la gastrite comme l’ulcère ou les cancers digestifs. »
Leur hypothèse est étayée et se révèlera juste. Pourtant, elle est difficile à accepter par la communauté scientifique. Et pour cause : l’estomac étant rempli d’acide chlorhydrique, difficile d’imaginer une bactérie survivre dans ce milieu hostile. L’estomac était jusqu’alors considéré comme stérile. D’ailleurs, dès 1906, la bactérie avait été observée par un médecin allemand chez un patient, mais peu de crédit fut accordé à cette découverte pour les mêmes raisons.
Un hasard pour un prix Nobel
Convaincu du rôle d’Helicobacter pylori, Marshall prit les choses en main. Il décida de devenir son propre cobaye, en ingérant un tube à essai rempli de la bactérie. En 14 jours, il contracta une gastrite qu’il traita par antibiotiques. La preuve empirique était donnée. En 1994, les Instituts de Santé américains entérinent finalement le rôle d’Helicobacter et recommandent les antibiotiques dans le traitement, en complément des antiacides, comme les inhibiteurs de la pompe à proton.
Il est aujourd’hui montré qu’Helicobacter pylori est impliquée dans 90 % des ulcères du duodénum et 80 % des ulcères de l’estomac. Nos deux scientifiques ne s’étaient donc pas trompés. En 2005, ils sont récompensés par le Prix Nobel de Médecine et de Physiologie pour leurs travaux sur Helicobacter.
Une bactérie qui lutte pour sa survie
Désormais, les mécanismes d’actions de la bactérie sur l’estomac ont été élucidés. Grâce à sa forme spiralée, la bactérie peut se loger dans les muqueuses de l’estomac. Elle va ensuite induire la sécrétion d’ammoniac, pour neutraliser l’acidité de l’estomac, ce qui permet à Helicobacter de survivre dans ce milieu acide qui l’aurait normalement tué. C’est cet ammoniac, produit pour sa survie, qui va endommager les parois de l’estomac et provoquer, à terme, un ulcère gastrique.
Helicobacter pylori est la seule espèce bactérienne connue capable de coloniser l’estomac humain. Certaines formes d’Helicobacter ont également été retrouvées chez une poignée de mammifères et d’oiseaux. L’infection survient presque exclusivement avant l’âge de 10 ans, par contamination féco-orale ou orale-orale. Parce qu’elles ne peuvent se faire que d’Homme à Homme, des chercheurs utilisent désormais les traces d’Helicobacter pour retracer les migrations des Homo sapiens en Afrique, il y a 60 000 ans.
Léa Galanopoulo