Dans son ouvrage « Médecins malgré vous », disponible chez Grasset, le Dr Mikael Askil Guedj dessine avec humour le portrait des grandes maladies du XXIe siècle. Vocation Santé en sélectionne les bonnes feuilles, avec ici l’histoire de la découverte de la maladie de Lyme.
“1975, ville de Lyme, Connecticut. La maladie tire son nom d’une bourgade minuscule de 2 000 habitants dans le Connecticut, petit État pastoral de Nouvelle-Angleterre niché entre New York et Boston, sur la côte est des États-Unis, fait de prairies vertes et de maisons grises, semblant tout droit tiré d’une peinture d’Andrew Wyeth.
En 1975, les mères de famille de la ville de Lyme sont préoccupées. Leurs enfants ont mal aux genoux. Une équipe d’épidémiologistes de Yale, l’université voisine, est appelée pour enquêter et découvre un tableau étrange.
Comment expliquer que les oligoarthrites juvéniles (atteintes inflammatoires de deux ou trois articulations chez le jeune enfant) soient cent fois plus fréquentes dans cette petite ville que dans le reste des États-Unis ? Pourquoi les nouveaux cas sont-ils beaucoup plus nombreux en été, regroupés en foyers géographiques autour des forêts ? Et comment se fait-il qu’un quart des malades présente aussi sur la peau des rougeurs mystérieuses qui semblent se déplacer ?
La maladie, inconnue, est baptisée « maladie de Lyme ». Cependant, ses atteintes diverses étaient déjà décrites ici et là en Europe depuis le début du XXe siècle, vaguement reliées aux tiques sans bien en comprendre la cause. L’efficacité d’un traitement d’essai par pénicilline en 1949 fait bien suspecter une origine bactérienne mais sans en avoir la preuve !
L’année 1982 fut un bon cru pour la découverte de bactéries mystérieuses. Après l’Helicobacter pylori de l’ulcère à l’estomac, c’est seulement aussi en 1982 que la bactérie suspecte du Lyme sera finalement identifiée dans l’intestin de la tique du cerf : inoculée à un lapin, elle déclenche la rougeur migrante ! Pour finir de l’incriminer, elle sera identifiée dans le sang, la peau ou le liquide méningé des malades, et baptisée du nom de son découvreur, le chercheur américain Willy Burgdorfer.
« C’est seulement aussi en 1982 que la bactérie suspecte du Lyme sera finalement identifiée dans l’intestin de la tique du cerf »
Mordu !
La maladie de Lyme est causée par une bactérie, appelée Borrelia Burgdorferi, qui ressemble à un court filament de nylon. Cette bactérie (ainsi que ses cousines du genre Borrelia) est transmise par une morsure de tique infectée, dite « tique du chevreuil » ou « tique à pattes noires ».
La grande bouffe
Il faut quand même ajouter que le dernier repas de la femelle tique peut durer 10 à 12 jours, et que celle-ci peut prendre plusieurs centaines de fois son poids en sang. Et même être fécondée par un mâle pendant son festin tout en restant fixée à boire le sang d’un chevreuil. Autant dire que, comparés à ces tiques à pattes noires, les héros décadents du film de Marco Ferreri La Grande Bouffe ne font pas le poids, avec leur orgie de pacotille. Se gaver de nourriture, baiser et mourir simultanément ? Seuls les sénateurs de la Rome anti que auraient pu encore rivaliser. D’ailleurs, c’est au nord de l’Italie et bien avant leurs agapes, il y a plus de 4 500 ans (soit environ en 2 600 av. J.-C.), qu’a vécu le premier humain identifié atteint de la maladie de Lyme.
« C’est au nord de l’Italie, il y a plus de 4 500 ans (soit environ en 2 600 av. J.-C.), qu’a vécu le premier humain identifié atteint de la maladie de Lyme »
Ötzi, la morsure originelle
Tout en haut des Alpes orientales méridionales de l’Otzäl, bordant le massif montagneux des Dolomites à plus de 3 000 mètres d’altitude, dans la région du Trentin entre la frontière autrichienne et le village italien de Bolzano, les restes momifiés d’un corps congelé furent retrouvés en 1991, à la faveur de la fonte d’un glacier, par un couple de randonneurs allemands effrayés.
D’abord pris pour un alpiniste mort de froid, le corps fut identifié comme celui d’un chasseur-cueilleur de 45 ans ayant vécu à la période du Néolithique final, baptisé Ozti et remarquablement conservé par les glaciers.
Otzi était tatoué ; avait les dents du bonheur, une intolérance au lactose, les genoux et l’intestin en mauvais état, un sang du groupe O, il avait été poignardé, blessé à l’épaule par une flèche, avait eu l’œil crevé sur une lame, les os cassés par de lourdes chutes dans les montagnes (enfin, il succomba à tous les coups d’une mort violente) et, chose plus étonnante encore, il portait en lui le génome de la bactérie Borrelia Burgdorferi : c’est le premier cas de maladie de Lyme d’un spécimen ancien ou historique documenté à ce jour ! De là à relier, comme certains chercheurs, ses lésions d’arthrite (visibles sur les radiographies) à son Lyme, ou ses nombreux tatouages à des tentatives médicinales préhistoriques d’acupuncture au niveau des zones douloureuses (articulations et jonctions musculaires), il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas ici.
Mais il est aussi permis de remarquer, avec plus ou moins d’ironie, que si l’on a pu découvrir la bactérie Borrelia burgdorferi sur les restes gelés d’une momie préhistorique de 5 000 ans, nous ne te sommes pas toujours capables aujourd’hui de l’identifier sur des malades vivants.
Médecins malgré vous
Dans ce livre brillant et drôle, Mikael Askil Guedj, médecin et chirurgien, nous offre les clefs de notre corps et de notre santé, de la gale au Covid en passant par le psoriasis, Alzheimer ou la dépression. Un objet littéraire et scientifique captivant.
MIKAEL ASKIL GUEDJ
ÉDITIONS GRASSET
D’après l’extrait de « Médecins malgré vous » par Mikael Askil Guedj





