L’aspirine a soufflé cette année ses 120 bougies. Mais en réalité ses propriétés sont connues depuis bien longtemps…
C’est certainement le médicament le plus connu au monde. L’aspirine, ou acide acétylsalicylique, fête cette année ses 120 ans. Pourtant, l’utilisation de son principe actif est bien plus ancienne et remonte à l’Antiquité ! Au IVe siècle avec J.-C., Hippocrate, père de la médecine, évoque les propriétés antalgiques de l’écorce de saule blanc. De cet arbre, sera extrait bien plus tard l’aldéhyde salicylique, prémice de l’aspirine. Hippocrate conseille ainsi dans ses écrits l’utilisation de cette écorce pour soulager les douleurs de l’enfantement, entendez « l’accouchement ».
Quelques siècles plus tard, c’est au tour de Dioscoride, père de la pharmacologie et de la botanique grecques, de conseiller cette écorce pour les douleurs d’oreille, « mêlée à du miel et de l’écorce de grenade ».
Le saule, un arbre inspirant
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le saule fait reparler de lui, en 1763, grâce aux travaux d’un pasteur anglais : Edward Stone. Le pasteur fait deux observations. Premièrement, selon lui, le goût de cette écorce, amère, se rapproche de celui de la quinine, utilisée alors pour traiter les fièvres, provoquées notamment par le paludisme. Même goût, mêmes vertus, imagine alors Stone.
Deuxième observation : le pasteur remarque que le saule est un arbre qui pousse près des lacs, les pieds dans l’eau. Partant de la vieille théorie des signatures fondée sur l’observation des plantes médicinales, il suppose que si Dieu a placé cet arbre-là c’est justement pour soigner les maladies causées par les pieds dans l’eau, à savoir la fièvre ! Edward Stone met alors au point une décoction d’écorce de saule, avec une indication antipyrétique, qui se révélera redoutablement efficace.
Une découverte fortuite
En 1829, Pierre-Joseph Leroux, pharmacien français, va extraire de l’écorce de saule son principe actif : la salicine. Il met de côté deux fioles, pour réaliser un essai clinique qui donne d’excellents résultats sur la fièvre. Leroux envoie alors ses conclusions à l’Académie des sciences, qui analyse elle aussi la salicine. Ses observations sont sans appel, l’Académie remarque « des fièvres coupées du jour au lendemain par trois doses de salicine ».
Ce n’est qu’en 1853, que Charles Gerhardt, pharmacien et chimiste strasbourgeois, obtiendra pour la première fois de l’aspirine, mais sans le savoir ! Cette année-là, le chimiste réalisait de nombreuses expériences qui se résumaient à déshydrater plusieurs acides ensemble, pour obtenir ce qu’on appelle des anhydrides mixtes. Dans la succession de ces expériences, il tenta la déshydratation d’acide salicylique et d’acide acétique, pour obtenir de l’acide acétylsalicylique : l’aspirine !
Guerre franco-allemande
Malgré une synthèse expérimentale française, la commercialisation de l’aspirine se révélera allemande. C’est le laboratoire Bayer qui va réussir à simplifier la synthèse de Gerhardt, pour l’industrialiser. En 1899, l’aspirine de Bayer naît ! D’abord commercialisée sous forme de poudre, l’aspirine en comprimé arrive sur le marché en 1915.
L’aspirine se développe dans un contexte particulier : celui de la Première Guerre mondiale. Après la défaite de l’Allemagne, la France considère, à tort, que l’aspirine n’est plus couverte par la licence de Bayer. Bayer cède les droits de l’aspirine et les industriels français s’en emparent, notamment Rhône- Poulenc, donnant naissance aux célèbres aspirines du Rhône. La commercialisation de l’aspirine s’ancre dans un contexte franco-allemand compliqué. Dans les années 1920, le slogan publicitaire des aspirines du Rhône vante d’ailleurs des comprimés « purs de tout mélange allemand ».
Pendant 70 ans, les médecins ont prescrit de l’aspirine sans connaître précisément son mécanisme d’action. Ce n’est qu’en 1971 que John Vane, pharmacologue anglais, met en lumière les propriétés pharmacologiques de l’aspirine, expliquant ainsi son action antalgique, anti-inflammatoire et anti-agrégant. Il obtiendra en 1982 le prix Nobel pour ses travaux et sera anobli par la Reine d’Angleterre. En 1997, Rhône-Poulenc cédera finalement la marque « Aspirine du Rhône » à Bayer. La boucle est bouclée.
Quelques chiffres
- N° 4 l’acide acétylsalicylique se trouve à la quatrième place des médicaments sans ordonnance les plus vendus en France.
- 1 500 tonnes d’aspirine sont consommées chaque année en France.
Par Léa Galanopoulo