C’est une réalité invisible. 30 % des Français renoncent à aller chez le dentiste par manque d’argent. Et l’accès aux soins dentaires reste de plus en plus inégalitaire dans notre pays.
Depuis les années 1980, la santé buccodentaire des Français s’est largement améliorée. Moins de caries, moins de dents manquantes… Les mesures en matière de prévention semblent avoir porté leurs fruits. Mais derrière ce constat positif se cache une réalité bien plus triste : les inégalités d’accès aux soins dentaires ne cessent de se creuser. « 9 enfants de cadres âgés de 6 ans sur 10 n’ont jamais eu de caries contre 7 enfants d’ouvriers sur 10 en 2006 » explique la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) dans un rapport de 2013.
Un Français sur trois renonce à des soins dentaires faute d’argent, selon des chiffres de l’IFOP. Le manque de moyen est le principal frein à la consultation, devant la très répandue peur du dentiste. Et beaucoup de Français considèrent également que ce n’est pas une priorité, contraire¬ment aux dépenses alimentaires, pour le logement ou encore le transport. À l’évidence, selon Médecins du Monde, les remboursements des soins dentaires « très partiels, voire inexistants » sont à mettre en cause. Les personnes les plus précaires n’ont pas les moyens d’avancer les frais ou d’assumer le reste à charge, qui peut parfois être conséquent.
Des remboursements très pauvres
Toutes les consultations dentaires sont remboursées à 70 % par l’Assurance maladie. Mais 70 % du tarif conventionné, ne prend pas en compte les dépassements d’honoraires. Ainsi, une consultation classique conventionnée en secteur 1 est facturée 23 €. 70 % sont remboursés, soit 16,10 €. Le reste à charge est alors de 6,90 €. Mais si le dentiste facture sa consultation plus cher, comme il en a tout à fait le droit, le remboursement sera toujours de 16,10 € et le reste à charge pour le patient augmentera.
En réalité, le coût des soins dentaires explose réellement sur les prothèses, comme les couronnes ou les bridges. Car en la matière, rien n’est pour l’instant régulé. Reprenons un exemple : le tarif d’une couronne dentaire est laissé au bon vouloir du praticien et l’Assurance maladie rembourse 75,25 €, partant d’un prix de base de la couronne à 107,50 €. Sauf que, dans les faits, les couronnes sont plutôt facturées entre 400 et 1 000 €, en fonction du matériau utilisé ! Le patient doit alors sortir de sa poche parfois 800 euros, dans certaines régions. Un chiffre résume particulièrement bien l’exorbitance des dépenses dentaires : chez les actifs réalisant des soins dentaires régulièrement, soit environ un patient sur cinq, ce reste à charge s’élève en moyenne à 1 920 € par an…
Plus d’urgences, moins de prévention
Si certaines mutuelles peuvent prendre en charge une partie des frais complémentaires, leurs offres varient énormément. Les mutuelles haut de gamme remboursent mieux, mais sont plus chères. Alors que les mutuelles d’entreprise classiques suivent, elles, un minimum prévu par la loi et fixé à seulement 125 % du tarif conventionnel de l’Assurance maladie… L’inégalité d’accès aux soins dentaires est donc sociale, économique, mais aussi territoriale. Dans certaines régions, comme à Paris, les couronnes coûtent presque deux fois plus cher, car la concurrence y est folle. À l’inverse, dans certaines régions plus isolées, comme les DOM-TOM, peu de dentistes sont installés. Le délai d’attente avant une consultation peut y être considérable et l’accès aux soins compliqué.
« Ces inégalités de recours se traduisent par un repérage plus tardif des caries. En maternelle, 4 % des enfants de cadres ont au moins une carie non soignée, contre 23 % des enfants d’ouvriers. Par ailleurs, les enfants scolarisés dans les DOM ont deux fois plus souvent des dents cariées non traitées qu’en métropole » insiste toujours le rapport de la DREES. Ce problème est d’autant plus sérieux qu’il touche les personnes précaires, les plus fragiles, soit celles qui sont justement les plus exposées aux facteurs de risques bucco-dentaires : problème de suivi médical en général, alimentation mal équilibrée, tabac, addictions… Lorsque ces patients se décident finalement à consul¬ter, c’est déjà dans l’urgence. Alors que la santé bucco-dentaire repose essentiellement sur de la prévention : hygiène, détartrage, prévention des infections, consolidation des dents, etc.
« Ce sont dans les catégories les plus fragilisées que l’on retrouve un état de santé dentaire le plus déficient. »
Une dégradation de l’image de soi
« Ce sont ainsi dans les catégories les plus fragilisées que l’on retrouve un état de santé dentaire le plus déficient » explique Mé-decins du Monde dans un rapport de 2014, qui précise que l’état des personnes de plus de 40 ans est particulièrement dégradé. Et l’association compte en moyenne une quinzaine de dents absentes chez les personnes de plus de 60 ans lors de ces consultations dentaires. Seniors et enfants sont ainsi les plus touchés. Alors que la Haute autorité de Santé recommande une visite annuelle chez le dentiste à partir de la pousse des dents de lait, ce conseil n’est respecté que chez 40 % des plus de 15 ans et 70 % des moins de 15 ans. Toujours pour les mêmes raisons, économiques et sociales.
Conséquence du manque de soin : la dégradation de l’état de santé physique et psychique. À terme, la mauvaise santé bucodentaire est un facteur de risque pour les maladies cadiovasculaires et pulmonaires, l’accouchement précoce ou encore l’obésité. Par ailleurs, des dents en mauvaise santé dégradent l’image de soi et altèrent l’alimentation, ex¬posant à des carences importantes, notamment chez les personnes âgées. Et lorsque les soins deviennent indispensables, les patients se tournent vers des centres dentaires low cost ou à l’étranger. Or cette pratique n’est pas sans risque, comme le rappelle tristement l’affaire Dentexia. Ces centres dentaires bas de gamme, désormais liquidés, ont laissé des milliers de victimes éden¬tés ou endettés.
Comment réduire les inégalités ?
Face à cela, les politiques et l’Assurance maladie tentent de trouver des solutions. L’ancienne ministre de la Santé, Marisol Touraine, a ainsi mis sur la table des négociations avec les chirurgiens dentistes de nouvelles tarifications. La réforme, validée en mars, propose ainsi que les prix des couronnes et des bridges notamment soient plafonnés, pour ne pas dépasser le raisonnable. Par exemple, une couronne métallo-céramique ne devrait pas dépasser 550 € en 2018. Et, en contrepartie, les dentistes verront les tarifs de leur consultation revalorisés à la hausse. La réforme entrera en vigueur en 2018, au grand dam des dentistes qui dénoncent une mesure dé¬connectée des nouvelles technologies et des innovations.
Dans la foulée, Emmanuel Macron, alors encore candidat à la présidentielle, a annoncé vouloir mettre en place le remboursement à 100 % des prothèses dentaires d’ici 2022. Si elle est mise en place et votée, cette prise en charge devrait surtout s’appuyer sur les mutuelles privées, d’après ce qu’a annoncé le chef de l’État pendant sa campagne. L’histoire ne dit donc pas encore quel sera le surcoût de cotisation pour les patients.
En attendant des mesures politiques, les patients en mal de soins dentaires peuvent en¬core se tourner vers les aides sociales. C’est le cas de l’Aide Médicale d’État (AME) et de la Couverture médicale universelle complémentaire (CMU-c). En cas d’inéligibilité à ces deux aides, la caisse primaire d’Assurance maladie a mis en place une aide ponctuelle, qui « peut être versée à titre exceptionnel pour financer tout ou partie de dépassements d’honoraires de prothèses dentaires ou de traitements d’orthodontie. (…) La demande concerne un traitement précis occasionnant une dépense ayant pour conséquence une diminution des revenus qui entraîne des difficultés importantes pour les personnes » explique la CPAM. Par ailleurs, renseignez-vous égale¬ment sur les aides à l’acquisition d’une complémentaire santé, dont le forfait annuel s’étale de 200 à 550 € . Et au-delà des aides sociales, la question de l’accès aux soins dentaires passera à l’évidence par des campagnes de prévention plus ciblées.