Il n’est pas normal de souffrir ! Les luttes contre la maladie et pour l’égalité des sexes se rejoignent dans celle contre l’endométriose, maladie millénaire qui n’est étudiée avec sérieux que depuis quelques années, alors qu’elle touche plus de 10 % des femmes !
Enfin les langues se délient et les voix sont portées. Après avoir traversé 4 000 ans de souffrances, avoir été considérées comme hystériques ou possédées, les femmes touchées par l’endométriose commencent enfin à se faire entendre sur la place publique et dans le monde de la santé. « La douleur de la femme était considérée comme normale, comme constitutionnellement intégrée au corps féminin. C’est toujours présent dans l’inconscient, notamment de beaucoup de gynécologues, même si ce sont des femmes », rapporte le docteur Érick Petit, radiologue et fondateur de Résendo, réseau de professionnels de santé cherchant à améliorer la prise en charge de l’endométriose, et qui se bat pour faire avancer les connaissances sur la maladie et sensibiliser aussi bien le grand public que les soignants.
Les symptômes qui interpellent
Si chaque patiente est différente et si la maladie ne s’exprime pas de la même manière selon les personnes, certains signes doivent interpeller :
La douleur
Si les règles peuvent être légèrement douloureuses, il n’est pas normal de souffrir ! « À partir du moment où il y a un absentéisme scolaire ou professionnel, c’est signé, c’est l’endométriose ! », prévient le Dr Petit. Il existe aussi une échelle visuelle analogique pour décrire la douleur allant de 0 à 10 ; si la douleur atteint 7, c’est très souvent une endométriose. Les douleurs de règles « normales » se situent vers 2. La consommation importante de paracétamol et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, comme l’ibuprophène, doit aussi interpeller. Si les fortes douleurs sont les symptômes les plus marquants, qui permettent souvent de diagnostiquer la maladie, il faut souligner que certaines femmes atteintes ne ressentent pas de grandes douleurs.
L’hypofertilité
Beaucoup de femmes sont sensibilisées et rentrent dans le parcours de soins en raison de problèmes de fertilité. Si l’endométriose n’empêche pas d’avoir des enfants, elle peut compliquer les choses.
Les troubles digestifs
« Les gastro-entérologues doivent être attentifs, certaines femmes touchées par l’endométriose vont consulter pour des troubles digestifs. C’est un signe. S’il y a eu endoscopie et que le médecin ne trouve pas la cause, c’est souvent une endométriose », explique Érick Petit. Les troubles digestifs, en particulier pendant les règles, sont fréquents chez les personnes souffrant d’endométriose.
Les troubles urinaires
Autre symptôme fréquent, du fait de la proximité anatomique, les cystites à répétitions sans infection doivent faire penser à une endométriose.
La dyspareunie
Ce sont les douleurs ressenties pendant ou après des rapports sexuels. Parfois faibles, parfois insupportables. Toutes les femmes touchées n’en souffrent pas, mais c’est un symptôme qui peut interpeller.
Plus généralement, des troubles inflammatoires ou des douleurs extrapelviennes qui surviennent de manière chronique au moment des règles peuvent aussi être le signe d’une endométriose. Il faut rappeler qu’il n’y a pas de relation anatomoclinique, c’est-à-dire que les signes cliniques importants ne veulent pas dire que la maladie est avancée, et vice-versa.
« Les représentations de la femme dans la société ont fait qu’elles n’ont pas été écoutées, et c’est encore le cas. Il faut hurler pour se faire entendre ! » Frédérique Perrotte, sage-femme et coordinatrice du réseau Résendo
Que se passe-t-il dans mon corps ?
L’endomètre est la muqueuse utérine. Il s’agit d’un tissu particulier, car il change au cours du cycle menstruel : chaque mois, il s’épaissit pour accueillir un potentiel embryon, puis est en partie évacué et détruit lors des menstruations. Chez les femmes atteintes d’endométriose, les cellules de la muqueuse utérine vont migrer et former de l’endomètre là où il ne devrait pas y en avoir. « Ces cellules vont se mettre dans le muscle des parois proches, notamment la paroi utéro-sacrée. Ensuite elles peuvent migrer ailleurs : dans le rectum, la paroi urinaire, la vessie, cela peut même remonter dans les reins », explique le Dr Petit. Si les migrations cellulaires restent cantonnées à la zone pelvienne dans 90 % des cas, presque toutes les zones du corps peuvent être atteintes.
Une fois installées, ces cellules de l’endomètre vont causer différents problèmes. « Pendant les règles, les cellules endométriales qui ont migré vont créer des hématomes, l’organisme réagit en produisant une réaction inflammatoire en partie responsable des douleurs, qui va enkyster l’hématome, devenant source d’adhérence entre les organes, une autre cause de douleur. Le plus problématique, c’est que l’inflammation va recruter les nerfs pelviens qui vont augmenter en nombre et créer des douleurs dites neuropathiques », rapporte le spécialiste. L’endométriose est donc une maladie chronique liée aux règles, et qui va s’aggraver avec le temps si rien n’est fait, notamment sur le versant neurologique de la maladie. On comprend que le retard moyen de 7 à 9 ans sur le diagnostic soit un véritable problème !
Des causes multiples
« Nous ne connaissons pas la cause ultime, et il y en a sûrement plusieurs », estime le Dr Érick Petit. Parmi ces causes, la génétique : il a été remarqué que certaines familles étaient plus touchées que d’autres, même si tous les gènes en cause ne sont pas encore identifiés. « Quand votre mère ou votre sœur est atteinte, la probabilité que vous le soyez aussi est multipliée par 5 », affirme Érick Petit.
« Il y a une composante environnementale, que sont les perturbateurs endocriniens ! C’est probablement pour cela qu’en épidémiologie la prévalence (NDLR : le nombre de personnes touchées) augmente dans le temps », précise le Dr Petit. Aujourd’hui, les bisphénols, phtalates et autres perturbateurs endocriniens issus de l’industrie, notamment des plastiques, sont présents dans tous les corps, et leur proximité structurelle avec les molécules du vivant comme les hormones, en fait des suspects potentiels. « Pour l’instant, tout le monde subodore, mais nous ne pouvons pas faire de lien direct. Parmi les experts, nous sommes tous convaincus, mais il faut des preuves et les lobbies sont beaucoup plus puissants que les pauvres chercheurs », regrette Érick Petit. « Nous espérons que dans 50 ou 100 ans cela ira mieux. »
Il existe aussi des facteurs immunologiques à l’endométriose. « C’est une maladie associée à de nombreuses maladies auto-immunes. Il n’est pas rare de souffrir de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, telles que la maladie de Crohn et des maladies rhumatologiques inflammatoires associées, ou encore la maladie de Hashimoto (NDLR : maladie auto-immune de la thyroïde). Les mécanismes immunologiques sont en cause et un déficit de l’immunité peut prédisposer à l’endométriose », explique le spécialiste.
Une prise en charge globale
Traitement hormonal
Une fois que le diagnostic est posé, il faut établir une prise en charge qui dépend de chaque patiente. « Le traitement de première intention est le traitement hormonal : pilule progestative ou oestroprogestative en fonction des contre-indications de la patiente. C’est le seul moyen d’arrêter la progression de la maladie et les douleurs, » rapporte Frédérique Perrotte, sagefemme et coordinatrice du réseau Résendo. Il faut que la prise de la pilule soit continue, sans pause et sans placebo, ce qui permet d’être en aménorrhée, c’est-àdire de ne plus avoir ses règles.
Traitement de la douleur
Ensuite vient le traitement de la douleur, par antalgique, et qui peut aussi se faire à l’aide d’antidépresseurs ou d’antiépileptiques dans le cas des douleurs neuropathiques. C’est au médecin et à la patiente de trouver les solutions les plus adaptées. De nouvelles molécules, comme le CBD, sont aussi à l’étude.
Chirurgie
Elle peut aussi être envisagée. « Il ne faut pas opérer à tout va », met en garde Frédérique Perrotte. L’idée est d’enlever les nodules et les adhérences là où il y en a, les endométriomes ne sont pas forcément enlevés. Il faut juger au cas par cas. Cela dépend ensuite de la localisation des lésions, ce qui peut demander une équipe pluridisciplinaire. »
Médecines complémentaires
À cela s’ajoutent de nombreuses méthodes complémentaires pour aider les patientes. La kinésithérapie et l’ostéopathie peuvent être d’un grand secours, tout comme la pratique du sport, comme le yoga ou le tai-chi. L’alimentation peut aussi être un facteur clef, il s’agit principalement de diminuer la consommation de nourritures proinflammatoires, comme l’alcool, les produits laitiers, le gluten, etc. Il faut trouver un bon équilibre. « Le but est de rendre les patientes autonomes pour qu’elles apprennent à gérer leur maladie. Chacune est différente, et certaines médecines, ou régimes, vont avoir un effet miraculeux sur l’une et aucun sur l’autre », conclut Frédérique Perrotte.
Sites à connaître
www.resendo.fr www.endofrance.org
www.endomind.org
Par Pierre-Hélie Disderot