La vision de l‘enfant se construit progressivement. Si le nourrisson ne distingue pas les couleurs, les reliefs et les distances, il est capable de reconnaître sa mère à 6 semaines et redoute déjà les lumières fortes. À 9 mois, son champ de vision est quasiment le même que celui des adultes. Mais il n’atteindra une acuité visuelle de 10/10 qu’à l’âge de 5 ans.
- 1/6, c’est la proportion d’enfants de moins de 5 ans ayant des problèmes de vision, soit 130 000 enfants par classe d’âge.
Dépistage : le plus tôt sera le mieux !
Plusieurs contrôles ophtalmologiques sont programmés à la naissance, 9 mois, 18 mois, 3 ans et enfin à 6 ans avant l’entrée au CP. Leur objectif : dépister l’amblyopie, qui se caractérise par la vision floue ou trouble d’un oeil. Ils sont pourtant trop tardifs, explique le Dr Laurent Laloum, ophtalmologue à Paris. « L’idéal serait d’examiner tous les bébés à l’âge de 2 mois. Attendre 6 mois ou 1 an, c’est risquer l’amblyopie ou le strabique avec un cache sur l’oeil qu’on aurait pu éviter et, si les 2 yeux sont atteints, le risque d’être mal voyant. Mais cet objectif est irréaliste dans un contexte de pénurie d’ophtalmologistes et n’est pas rentré dans les moeurs. »
L’examen très précoce des yeux du nourrisson est indispensable devant la présence d’un ou plusieurs facteurs de risque, dont les antécédents familiaux ! « Faites examiner votre bébé rapidement après la naissance s’il y a de gros problèmes de lunettes dans la famille, si l’un des parents est myope avec une acuité visuelle de -10, ou très hypermétrope, s’il a un strabisme ou un nystagmus, ou une amblyopie » explique Laurent Laloum. Consultez aussi un ophtalmologue en cas de problème à la naissance (prématurité, souffrance cérébrale, réanimation), de petit poids de naissance ou s’il présente des troubles neuromoteurs.
Détecter troubles de la réfraction et strabisme
Contrairement aux idées reçues, il n’est pas normal qu’un bébé louche souvent à partir de 4 mois, ni même exceptionnellement après 6 mois ! Près de 4 % des enfants présenteraient un strabisme selon le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF). Ce trouble peut apparaître à quelques mois (strabisme congénital) ou entre 1 et 3 ans. Alors qu’un des yeux reste dominant, l’autre est paresseux et dévié. La maturation de la fonction visuelle est stoppée. Consultez en urgence pour éviter de laisser s’installer une vision faible de l’œil qui ne travaille pas. Un traitement forçant l’œil dévié à travailler doit être mis en place dès que possible. Il repose sur des lunettes et souvent sur une rééducation orthoptique, mais ne suffit pas toujours. Une opération s’avère parfois nécessaire lors de l’entrée au primaire.
Les anomalies de la réfraction ou amétropies, souvent héréditaires, peuvent concerner un œil ou les deux. Près de 15 % des enfants, dont les strabiques, en seraient atteints. Or, non détectées, elles sont souvent à l’origine d’un retard scolaire. L’hypermétropie entraîne la baisse de l’acuité visuelle liée à un œil trop court. L’enfant voit bien de loin, mais en accommodant avec un risque de maux de tête, fatigue visuelle et strabisme, à terme. Naturelle jusqu’à 4-5 ans, l’hypermétropie, si elle est faible, disparaît alors avec la croissance du globe oculaire. « Même un enfant testé à 10/10e d’acuité visuelle peut très mal voir en raison d’une hypermétropie. Il voit bien de près comme de loin, mais au prix d’un effort anormal qu’il ne peut maintenir toute la journée » met en garde Laurent Laloum.
La myopie est plus rare chez le jeune enfant. Elle provoque une baisse de l’acuité visuelle de loin liée à un œil trop long.
L’astigmatisme est une anomalie de courbure de la cornée responsable d’une vision floue. Comme pour l’hypermétropie et la myopie, l’ophtalmologiste décide de le corriger ou non en fonction d’anomalies associées (fatigabilité, strabisme), de sa symétrie (œil droit, œil gauche), de son importance et de l’âge de l’enfant.
Jusque 8 à 12 ans, le port de lunettes est souvent vital, car il permet qu’une image nette se forme sur la rétine, une condition indispensable à une maturation correcte des voies optiques et donc à une bonne vision. En revanche, il n’augmente pas les chances de pouvoir se passer de lunettes plus tard, ces dernières ne permettant pas de réduire ni la myopie, ni l’hypermétropie, ni l’astigmatisme.
Tous les parents peuvent effectuer le test de vision dit de l’occlusion alternée. Son principe est simple : cacher alternativement un œil du bébé, puis l’autre. Sa réaction doit être identique pour chacun. Si l’enfant voit bien d’un œil et mal de l’autre, il est plus gêné (ou se fâche) lorsque l’on cache celui qui va bien. Consultez si besoin en urgence. À pratiquer à partir de 2 mois tous les 2 mois jusqu’au moment où l’enfant sait parler (voir affiche ou visuel de ce test affiché en cabinet d’ophtalmologie).
Pensez à apporter un biberon rempli de lait ou d’un autre liquide que votre bébé adore. « Ce système est la contention la plus utile » précise Laurent Laloum. Munissez-vous également de photographies prises de face avec le flash d’un vrai appareil (et pas d’un portable). Les clichés, et plus particulièrement le reflet du flash, seront une aide précieuse pour que le professionnel puisse dépister une anomalie intermittente comme un strabisme.
3 questions au Pr Danièle Denis
Ophtalmologue au CHU Hôpital Nord de Marseille, membre du Collège des ophtalmologistes universitaires de France.
Les troubles visuels des enfants sont-ils aujourd’hui en augmentation ?
D.D. : Chez l’enfant de moins de 6 ans, les amétropies et troubles visuels sont stables, car liés à des anomalies développementales dont l’origine innée ou acquise a des causes ne se modifiant pas. Il semblerait exister cependant une “épidémie” de myopie à l’adolescence, même si les données concernent les Asiatiques, et que le lien présumé avec l’activité des enfants est incertain.
Y a-t-il des signes particuliers qui doivent alerter ?
D.D. : Il faut toujours consulter en urgence si l’aspect des yeux est différent, s’il y a une asymétrie et des reflets anormaux. Mieux vaut faire réaliser un examen pour détecter un strabisme ou nystagmus si un petit enfant se frotte fréquemment les globes oculaires et se désintéresse de son environnement. On recherchera ces mêmes troubles chez un jeune enfant se plaignant de fatigue oculaire, d’une vision trouble ou double, qui se rapproche des écrits pour lire et souffre de céphalées. Trop de diagnostics sont tardifs par méconnaissance des soignants et des parents.
Faut-il avoir peur des écrans et de la 3D et comment protéger les yeux de ses enfants ?
D.D. : Les enfants sollicitent en permanence leur vision de près sur tablette, écrans (ordinateur, smartphone) et livres, et donc l’accommodation. C’est le phénomène normal de mise au point de la rétine. La stimulation en vision de près peut poser problème lors d’une utilisation excessive et entraîner une fatigue visuelle. Il est recommandé de dépister une hypermétropie latente et de ne pas passer sa journée devant un écran, plus pour des raisons de développement intellectuel que de vision, même si la myopisation est un point à prendre en compte.
Les préconisations limitant les nouvelles technologies de vision 3D avant 6 ans (terme de la période sensible du développement visuel) paraissent un peu excessives. Mais, inversement, si un enfant ne voit pas la 3D lorsque ses parents l’emmènent au cinéma, il faudra alors requérir un examen ophtalmologique spécialisé.