Un million de fumeurs quotidiens en moins en 2017 par rapport à 2016. C’est ce qu’a révélé Santé publique France fin mai 2018, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac. Vocation Santé s’interroge sur le rôle de la cigarette électronique dans ce recul du tabagisme.
Le marché de la vape
La cigarette électronique, encore appelée e-cigarette ou vapoteuse, est apparue à la fin des années 2000. Elle a rapidement fait de nombreux adeptes en France, pour le plus grand bonheur des magasins spécialisés qui se sont multipliés à vue d’œil sur le territoire. En effet, plus d’un million de Français vapotent régulièrement. Le principe de la cigarette électronique est de générer de la vapeur via une résistance qui chauffe un e-liquide. Ce e-liquide contient généralement un solvant, principalement du propylène glycol et du glycérol, et éventuellement un arôme et de la nicotine dont le dosage varie de 0 à 20 mg/ml.
Si les addictologues tendent pour la plupart à promouvoir ce dispositif d’aide au sevrage, les autorités de santé françaises restent quant à elles frileuses sur le sujet, arguant un manque de données fiables concernant son innocuité et son efficacité dans le sevrage tabagique. Ce n’est pas le cas de tous les pays. En Angleterre, par exemple, la cigarette électronique a meilleure presse, et le Public Health England se positionne ouvertement en sa faveur. Des campagnes publicitaires encouragent même les fumeurs à passer à la cigarette électronique, ce qui paraît inenvisageable en France où, au contraire, la tendance est plutôt au rétropédalage. Son interdiction dans certains lieux publics est notamment effective depuis le 1er octobre 2017.
Patchs, chewing-gums, et… Cigarette électronique ?
Avec 1 million de fumeurs quotidiens en moins en 2017 qu’en 2016, le programme national de réduction du tabagisme (PNRT) 2014-2019 initié par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine semble enfin porter ses fruits. D’après Viêt Nguyen-Thanh, responsable de l’unité addiction au sein de la Direction de la prévention et de la promotion de la santé, ces résultats encourageants ont pu être obtenus grâce à plusieurs mesures phares du programme : l’accès facilité aux substituts nicotiniques, l’élargissement des prescripteurs (kinésithérapeutes, dentistes, médecins du travail…), le paquet neutre, ainsi que les différents outils et campagnes de prévention tels que le Mois sans tabac ou encore la plateforme tabac-infoservice. fr. Ainsi, on ne peut que constater les efforts des autorités de santé en matière de lutte contre le tabagisme. Dernier exemple en date, le remboursement à 65 % par l’Assurance maladie de deux substituts nicotiniques : la gomme à mâcher Nicotine EG® depuis le 22 mars 2018, et le patch NicoretteSkin® depuis le 16 mai 2018. Jusqu’à présent, le forfait d’aide au sevrage était de 150 euros par an. Celui-ci sera tout de même maintenu à titre transitoire pour les autres substituts nicotiniques jusqu’à la fin de l’année 2018.
Cependant, de telles mesures ne justifient pas le silence pesant qui entoure la cigarette électronique. « Malheureusement, ce moyen de sortir de la dépendance au tabac n’est absolument pas soutenu par les autorités de santé », regrette le Dr Alain Morel, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif). Pourtant, au plus près des fumeurs dans les centres d’addictologie, il s’aperçoit que la cigarette électronique représente un excellent moyen de diminuer, voire d’arrêter la cigarette et ainsi de réduire les risques de cancer liés au tabagisme. Rappelons que la fumée de cigarette contient plus de 4 000 substances chimiques, parmi lesquelles des irritants, des produits toxiques tels que le goudron ou le monoxyde de carbone, et plus de 50 substances pouvant provoquer ou favoriser l’apparition de cancer.
En 2017, une étude menée par Santé publique France évaluant l’intérêt de la cigarette électronique dans l’arrêt du tabac a été publiée dans la revue Addiction. Environ 3 000 fumeurs âgés de 15 à 85 ans et répartis en deux groupes, fumeurs exclusifs ou vapo-fumeurs, ont été suivis sur une période de 6 mois, l’objectif étant de comparer les comportements d’arrêt du tabac entre ces deux groupes. À 6 mois, 25,9 % des vapo-fumeurs avaient réduit d’au moins 50 % le nombre de cigarettes fumées par jour, contre 11,2 % des fumeurs exclusifs. En revanche, à 6 mois, les vapo-fumeurs n’étaient pas plus nombreux à avoir arrêté le tabac que les fumeurs exclusifs. Ainsi, d’après cette étude, la cigarette électronique semble bel et bien jouer un rôle dans la réduction du tabagisme, sans toutefois entraîner un arrêt complet. Cependant, le suivi de 6 mois est peut-être trop court pour apprécier le taux réel d’arrêt du tabac.
Deux études évaluant en tout 662 personnes ont quant à elles montré que l’utilisation de cigarettes électroniques contenant de la nicotine augmentait les chances d’arrêter de fumer à long terme, par rapport à l’utilisation de cigarettes électroniques “placebo”, c’est-à-dire sans nicotine. Des résultats à prendre avec des pincettes, d’après le réseau mondial indépendant de chercheurs Cochrane, d’autant plus qu’il n’émane que de deux études.
Au-delà des preuves scientifiques, pour Benoît, 30 ans, ancien fumeur, c’est bien la nicotine présente dans le e-liquide de sa cigarette électronique qui l’a aidé à réduire puis arrêter sa consommation de cigarette (voir interview).
Quoi qu’il en soit, il devient urgent de mettre en place des études d’envergure robustes pour enfin acter de l’efficacité de la cigarette électronique en tant qu’outil d’aide au sevrage tabagique. Dans cet objectif, l’équipe du Dr Ivan Berlin, addictologue spécialisé en tabacologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), vient d’obtenir un important financement qui lui permettra, on l’espère, de trancher sur la question. Les résultats sont attendus avec impatience, de même que ceux d’études internationales portant sur le même sujet.
Faut-il avoir peur de la cigarette électronique ?
Très peu de données permettent actuellement d’affirmer avec certitude l’absence de dangerosité de la cigarette électronique. L’une des principales controverses concerne la présence ou non de formaldéhyde dans la vapeur produite par l’utilisation de cigarette électronique contenant de la nicotine, le formaldéhyde étant une substance classée cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Évaluer la composition des produits de la cigarette électronique, c’est la mission actuellement confiée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui devrait prochainement publier un rapport complet. « Les résultats sont pour l’instant assez préliminaires, confie Viêt Nguyen-Thanh, ce qui est frustrant pour tout le monde, pour les usagers bien entendu, mais également pour les médecins et les autorités de santé. » Le Dr Alain Morel dénonce quant à lui une diabolisation excessive de la cigarette électronique : « On se concentre sur des problèmes mineurs pour disqualifier cet outil, pourtant, aujourd’hui, personne ne peut contester que la cigarette électronique réduit considérablement les risques liés au tabac ».
Une porte d’entrée dans le tabagisme ?
L’un des principaux arguments avancés par les détracteurs de la cigarette électronique est qu’elle pourrait constituer une porte d’entrée dans le tabagisme, créant l’effet inverse à celui escompté. Une étude américaine parue en 2017 dans le Journal of the American Medical Association réalisée auprès de 17 000 adolescents montre en effet que le fait d’utiliser ou d’avoir déjà expérimenté la cigarette électronique est associé à une plus forte probabilité d’entrer ensuite dans le tabagisme. Mais de plus amples études, notamment françaises, sont nécessaires pour préciser ce phénomène, et à ce jour, la cigarette électronique semble plutôt être une solution de sortie du tabagisme qu’une porte d’entrée.
La cigarette électronique a-t-elle un futur ?
La cigarette électronique ne fait pas seulement tourner la tête à ses usagers. Tandis que les buralistes convoitent le marché, le leader dans la vente de tabac Phillip Morris a annoncé en début d’année, non sans emphase, sa volonté d’arrêter la production de cigarettes pour se consacrer au marché du tabac « chauffé et non plus brûlé ». Réelle volonté de mettre un terme à une industrie meurtrière ou grosse opération de “com” pour promouvoir son nouveau produit IQOS, une forme de cigarette électronique à la recette bien gardée ? Au regard des géants qu’elle attire, aucun doute que la cigarette électronique a un bel avenir devant elle. De là à devenir un objet “médicalisé” remboursé par l’Assurance maladie au même titre que les substituts nicotiniques ? Dans un premier temps, espérons que les prochaines études se montrent concluantes quant à son innocuité et à son efficacité dans le sevrage tabagique…
Interview de Benoît, 30 ans, ancien fumeur
Qu’est-ce qui t’a motivé à essayer la cigarette électronique ?
Benoît : Si j’ai commencé la cigarette électronique, il y a 1 an, c’est surtout pour raison médicale, sur avis de mon médecin traitant. Je n’avais jamais envisagé d’arrêter de fumer auparavant. Combien de cigarettes fumais-tu alors ? Benoît : Environ une quinzaine par jour.
As-tu rencontré des difficultés particulières ?
Benoît : Oui, lorsque j’ai essayé de réduire la dose de nicotine de 11 mg/ml à 6 mg/ml. L’envie de fumer est revenue, plus forte, et je me suis laissé aller à quelques écarts. Je suis donc resté au dosage initial. L’envie de fumer revient-elle parfois ? Benoît : J’admets que lorsque je bois un peu d’alcool, il m’arrive encore aujourd’hui de ne pas pouvoir résister à l’envie de fumer une cigarette. Mais selon moi, cette envie est avant tout psychologique, car je ne prends absolument aucun plaisir à fumer. Au contraire, le goût de la cigarette a tendance à très vite m’écœurer.
Envisages-tu d’arrêter la cigarette électronique ?
Benoît : Oui, mais pour l’instant ce n’est pas à l’ordre du jour.
Réduire le nombre de cigarettes fumées par jour, est-ce suffisant ?
La recommandation des autorités de santé en matière de tabac est le sevrage complet et non la réduction du nombre de cigarettes fumées par jour. En effet, les risques sur la santé restent importants même lorsque l’on ne fume que quelques cigarettes par jour. Par ailleurs, c’est la durée du tabagisme plus que le nombre de cigarettes fumées par jour qui augmente le risque de développer des maladies telles que le cancer du poumon. Le sevrage doit donc rester la priorité n° 1 !
Peut-on être addict à la cigarette électronique ?
La substance responsable de la dépendance est la nicotine. Dans le cas où le e-liquide en contient, il est donc possible de devenir dépendant à la cigarette électronique. « Mais finalement, la dépendance n’est pas grave en soi, dans la mesure où le produit consommé n’est pas toxique »,estime le Dr Alain Morel, psychiatre addictologue.
Clémentine Vignon