La thérapie génique nourrit les fantasmes et les peurs depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, elle arrive à maturité. Que peut-elle d’ores et déjà nous offrir et que peut-elle nous promettre ?
Toutes nos cellules suivent un code, qui est à la base du vivant, le code génétique, ou ADN. Si Watson et Crick sont les fameux découvreurs de sa forme en double hélice, désormais si connue, la volonté des hommes de pouvoir manipuler leur propre nature est ancestrale. La thérapie génique, c’est la possibilité de modifier notre génome, et donc modifier le fonctionnement de notre organisme, pour le guérir. Une véritable révolution thérapeutique. En France, le Téléthon et le Généthon ont énormément fait progresser les connaissances dans ce domaine, afin de guérir en premier lieu des maladies elles-mêmes génétiques, c’est-à-dire inscrites dans le génome dès la naissance. Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru, mais beaucoup reste à parcourir. Nous retraçons cette épopée au côté de Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM-Téléthon.
La thérapie cellulaire
« Le premier traitement génétique fut le Strimvelis, qui cible les immunodéficiences génétiques sévères, la maladie des bébés bulles. Ce sont des cellules de la moelle osseuse qui sont prélevées chez les malades, corrigées par thérapie génique grâce à un virus, puis réadministrées par perfusion. Les cellules vont recoloniser la moelle osseuse et fabriquer les globules blancs, qui sont les cellules de l’immunité », se rappelle Serge Braun. Les premiers traitements à apparaître sont donc des modifications de cellule humaine en laboratoire. Cette technologie est toujours utilisée, car un traitement modifiant les globules rouges a encore récemment vu le jour, suivant le même principe.
L’outil principal de la modification génétique est le virus, qui est naturellement capable de placer son code génétique dans les cellules humaines, voire de l’intégrer à notre code génétique. Des virus spécifiques ont été conçus pour apporter des gènes choisis pour soigner. « Cela a ensuite donné naissance aux cellules CAR-T, qui sont des cellules du sang ou de la moelle osseuse, qui sont corrigées génétiquement en les armant contre le cancer avec des gènes appropriés qui permettent de stimuler le système immunitaire », explique Serge Braun. Ces cellules CAR-T sont aujourd’hui l’un des plus grands espoirs de progrès dans la lutte contre le cancer, et certaines commencent à être utilisées dans les hôpitaux.
L’injection de virus pour modifier le génome
« Nous savions délivrer des gènes à des cellules, mais un organisme, c’est autre chose ! Nous avons alors injecté localement un virus vecteur dans des organes malades. D’abord avec l’oeil, qui est un organe petit et immunoprivilégié, c’est-à-dire qu’il y a peu de risque de rejet. » L’objectif étant de soigner l’amaurose congénitale de Leber, une maladie génétique qui touche la rétine. Le traitement s’appelle Luxturna. « Cela a permis à des patients, qui d’habitude perdent la vue à 20 ans, de continuer à voir et même d’améliorer leur vision », assure le scientifique. Cette preuve de concept a pu faire passer la thérapie génique à un autre niveau, en modifiant directement les cellules du corps humain.
Pour pouvoir aborder la troisième étape, la voie générale par injection dans le sang, il a fallu créer un nouveau vecteur viral encore plus puissant. C’est dans cette optique que fut conçu, grâce aux recherches du Généthon, le virus AAV-9. Ces recherches ont ensuite été portées par une entreprise américaine avant d’atterrir dans les mains du laboratoire suisse Novartis qui a pu proposer le traitement Zolgensma. Celui-ci permet, en une seule injection, d’apporter aux enfants atteints d’amyotrophie spinale le gène qui leur manque pour pouvoir développer leurs muscles. Cette maladie n’avait autrefois aucun traitement, et Novartis est en train de développer d’autres traitements pour apporter des gènes manquant chez de jeunes malades.
« La thérapie génique a mis 30 ans à émerger et maintenant elle explose. » Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM-Téléthon
Une application dans de nombreux domaines
« La thérapie génique a mis 30 ans à émerger et maintenant elle explose, il va y avoir 40 produits d’ici à 2022, et ensuite un rythme de 20 produits par an. Nous pensons que cela va représenter une part majoritaire des nouveaux traitements », détaille Serge Braun. La plupart des thérapies géniques qui sont actuellement en phase d’essais cliniques, avant de pouvoir être commercialisées, sont ciblées contre les cancers. D’autres visent aussi à guérir des maladies du coeur, des maladies génétiques, infectieuses, voire le diabète. De très nombreux espoirs se cristallisent autour de ces traitements qui permettront de repousser les limites de la thérapeutique, mais il faudra aussi surmonter plusieurs défis afin de les rendre accessibles.
Les défis de demain
« Le défi majeur, c’est la production à grande échelle des vecteurs, capables de transférer le matériel génétique. Pour un vaccin classique, il faut un million de particules par dose, pour la thérapie génique injectée dans le sang, comme Zolgensma, les quantités de virus sont un milliard de fois plus importantes ! Quand vous voyez qu’aujourd’hui nous avons déjà des pénuries de vaccins, vous imaginez en produire un milliard de fois plus ? Nous sommes face à un Everest technologique ! », s’exclame Serge Braun. Actuellement, très peu de patients sont traités par thérapie génique et, pour qu’elle puisse se généraliser, il faudrait faire de nouvelles découvertes afin d’améliorer la production industrielle.
Ces problèmes de production se font d’ailleurs ressentir dans le prix des thérapies géniques, qui varient de 300 000 à plus de 2 millions d’euros. Encore un frein à leur accession par le plus grand nombre. « C’est le défi de demain ! », annonce Serge Braun, enthousiaste et optimiste. Pour lui, la France est leader dans la recherche sur les thérapies géniques et pourrait être leader aussi sur le volet industriel.
La thérapie génique pour produire des vaccins
« Pour être d’actualité, il y a un projet à l’Institut Pasteur sur le coronavirus (SARS‑CoV-2). Ce projet est un virus de la rougeole, génétiquement modifié, exprimant les antigènes du coronavirus et qui génèrent une réponse vaccinale très forte. C’est un virus génétiquement modifié, donc une thérapie génique », indique Serge Braun. Des vaccins de ce type sont aussi en développement pour créer une immunité face aux cancers, ou à d’autres maladies infectieuses. Ce sont des virus de la rougeole, génétiquement modifiés pour exprimer des antigènes de cellules tumorales ou d’agents infectieux. Demain, un vaccin contre le cancer ?
9 thérapies géniques ont été commercialisées, dont 8 reposent sur des technologies issues du Téléthon
Par Pierre-Hélie Disderot