Chanvre, marijuana, cannabis… trois mots pour décrire une même plante, le Cannabis sativa. Si son usage récréatif est illégal en France, ses vertus thérapeutiques sont de plus en plus louées… La profonde défiance des autorités françaises vis-à-vis de ce produit est-elle en train de s’estomper ?
Le cannabis thérapeutique, qu’est-ce que c’est ?
En aucun cas, le cannabis thérapeutique ne consiste à autoriser les « joints » à certains patients. D’ailleurs, la légalisation du cannabis récréatif et le développement du cannabis thérapeutique sont deux problématiques complètement différentes. « Dans sa conception française, le cannabis thérapeutique revient à utiliser des extraits de cannabis sous différentes formulations (pommades, sprays, patchs, gélules) afin d’administrer le ou les principes actifs de la plante en limitant les risques liés à une administration par voie fumée », explique le docteur Nicolas Authier, médecin psychiatre spécialisé en pharmacologie et addictologie au CHU de Clermont-Ferrand. Tout comme on utilise le pavot pour produire de l’opium et de la morphine, l’idée est de se servir de la plante cannabis pour fabriquer des médicaments, notamment contre la douleur.
Une centaine de cannabinoïdes dans le cannabis
Parmi la myriade de cannabinoïdes présents dans la plante Cannabis sativa, deux retiennent particulièrement l’attention. Le tétrahydrocannabinol, la principale molécule active du cannabis plus connue sous le nom de THC, et le cannabidiol (CBD). Si le THC est le premier responsable de l’effet psychoactif recherché par les consommateurs de cannabis récréatif, d’après Nicolas Authier, le CBD devrait également être considéré comme une substance psychoactive, bien que ses effets soient moins marqués. « Une substance comme le CBD aux vertus apaisantes et anxiolytiques a forcément un effet psychoactif », argumente-t-il. En plus du THC et du CBD, deux autres cannabinoïdes font actuellement l’objet de recherches : le cannabinol (CBN) et le cannabigérol (CBG).
Les médicaments à base de cannabis autorisés en France et aux États-Unis
Le THC et le CBD entrent déjà dans la composition de certains médicaments. En 2014, un spray buccal à base d’extraits de cannabis (Sativex ®) comprenant ces deux substances à des concentrations égales a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France, pour le traitement des raideurs musculaires dans la sclérose en plaques. Malheureusement, faute d’accord sur le prix entre le laboratoire et l’État, le Sativex® n’est à ce jour toujours pas commercialisé dans l’Hexagone. De nombreux patients sont ainsi contraints de se fournir dans les pays frontaliers, tels que la Suisse ou l’Allemagne. Un médicament à base de THC synthétique, le Marinol®, a quant à lui une autorisation temporaire d’utilisation (ATU)1, notamment pour réduire les nausées induites par la chimiothérapie anticancéreuse ou pour stimuler l’appétit en cas de troubles alimentaires, tels que l’anorexie.
Récemment, le cannabis thérapeutique a fait la une des journaux outre-Atlantique, avec pour la première fois l’approbation par la Food and Drug Administration d’un médicament fabriqué directement à partir de la plante de cannabis, l’Épidiolex ®, pour le traitement de deux formes rares et sévères d’épilepsie de l’enfant, le syndrome de Dravet et le syndrome de Lennox-Gastaut. Il s’agit d’une solution orale – un sirop saveur fraise – ne contenant que du CBD. Jusqu’à présent, seuls des médicaments à base de cannabinoïdes synthétiques, tels que le Marinol® mentionné précédemment, étaient autorisés aux États-Unis. En Europe, la demande d’AMM pour l’Épidiolex® a été déposée en décembre 2017. À suivre…
Pour l’instant, le cannabis thérapeutique est utilisé en dernier recours, après échec des thérapeutiques conventionnelles. Il vient donc compléter la palette des traitements disponibles et constitue une option supplémentaire dans l’espoir d’alléger les symptômes des patients résistants aux autres traitements.
Les modes d’action du THC et CBD
Le CBD et surtout le THC agissent sur les mêmes récepteurs que les endocannabinoïdes, des substances que nous produisons naturellement, notamment impliquées dans la régulation de l’anxiété, de la prise alimentaire et de l’équilibre énergétique. Appelés CB1 et CB2, ces récepteurs sont principalement retrouvés dans notre système nerveux et notre système immunitaire. La fixation du THC ou du CBD sur ces récepteurs n’induirait pas les mêmes effets, et il y aurait même un effet synergique positif entre ces deux molécules. « Le CBD permettrait notamment de diminuer les effets psychogènes dus au THC en cas d’administration conjointe », explique Nicolas Authier. En outre, le CBD serait moins à risque de dépendance que le THC.
Par ailleurs, il existerait des interactions entre les cannabinoïdes exogènes, tels que le THC ou le CBD, et les endocannabinoïdes. Le CBD, en particulier, aurait pour effet de moduler le fonctionnement interne de notre système endocannabinoïde. Et, contrairement au THC, il exercerait surtout ses effets pharmacologiques via d’autres récepteurs que les CB1 et CB2, tels que les récepteurs à la sérotonine (effet sur l’anxiété) ou les récepteurs impliqués dans la transmission de la douleur. « Mais, pour l’instant, le CBD n’a pas un niveau de preuve très élevé dans la douleur et il faut souvent l’association THC/CBD pour obtenir un effet », indique le Dr Authier.
Cannabis : dans quelles indications ?
Le cannabis thérapeutique bénéficie d’un début de preuve scientifique dans la douleur, et notamment la douleur neuropathique, c’est-à-dire due à des lésions ou irritations des nerfs, mais aussi dans les nausées provoquées par les chimiothérapies anticancéreuses, dans la raideur musculaire (ou spasticité) liée à la sclérose en plaques, et dans certains types d’épilepsie. Tout un champ de recherche se développe également dans le diabète, le glaucome, la schizophrénie, l’aide au sevrage… avec encore des niveaux de preuve très faibles. « Mais l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence d’effet », estime Nicolas Authier, et de plus amples études sont nécessaires pour renforcer les connaissances sur ce sujet complexe.
Les effets indésirables du cannabis
Comme tout médicament, le cannabis thérapeutique est susceptible d’induire des effets indésirables, notamment sur les plans cognitif et psychique. Son utilisation pourrait donc s’accompagner de contre-indications, en particulier chez les personnes qui auraient une vulnérabilité psychotique, ou encore une maladie cardiovasculaire. « En effet, nous savons que les troubles cardiovasculaires font partie des complications du cannabis, avec un risque accru d’infarctus ou d’AVC observé chez les jeunes consommateurs récréatifs », déclare le Dr Authier.
Une production standardisée
La première étape, indispensable au développement du cannabis thérapeutique en France, est de déterminer la composition optimale du produit pour chaque indication. « Ce n’est pas la même chose de consommer un seul cannabinoïde dans un médicament ou la plante entière contenant un ensemble de substances qui peuvent avoir des effets synergiques positifs ou négatifs entre elles », indique Nicolas Authier. Ensuite, il s’agira de sélectionner les variétés de cannabis en fonction de la teneur en cannabinoïdes recherchée, puis de standardiser la production pour être en mesure de maîtriser dans le temps la qualité du produit et les taux de cannabinoïdes, à l’instar d’une posologie de médicament. « Si l’on veut que cela marche, il faut y mettre du sérieux », estime le médecin. Et c’est possible : la société hollandaise Bedrocan® s’est déjà lancée avec succès dans une production calibrée de cannabis thérapeutique…
Un registre national
Il est très difficile de démêler le vrai du faux, le pertinent du superficiel, parmi les nombreuses études publiées sur le sujet. Par ailleurs, l’hétérogénéité des études en termes de composition du cannabis, de mode de consommation et de critères d’évaluation rend toute comparaison difficile. Actuellement, l’État réfléchit à la pertinence d’un tel usage du cannabis. Selon Nicolas Authier, la mise en place d’un registre national piloté par une équipe de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) permettrait à certains patients de « bénéficier d’une délivrance encadrée d’extraits de cannabis standardisés issus d’une production et d’une distribution contrôlées par un monopole d’État ».
1. L’ATU est une procédure qui permet de délivrer un médicament à certains patients et sous certaines conditions, même si celui-ci ne dispose pas d’une AMM.
Cannabis thérapeutique : doit-on craindre la dépendance ?
Plusieurs facteurs jouent sur la dépendance :
- Le mode de consommation : fumer permet un passage plus rapide de la substance dans le cerveau, augmentant ainsi le risque de dépendance. Or, le cannabis thérapeutique n’est pas voué à être consommé par voie fumée : le risque de dépendance est donc plus faible que celui lié à une consommation récréative de joints.
- La durée de la consommation : plus longue est la durée de consommation, plus le risque de dépendance est élevé.
- La finalité de la consommation : si l’utilisation du cannabis dans un cadre thérapeutique est bien encadrée, que la prescription est correctement suivie, et que le patient ne recherche pas le plaisir, mais uniquement un soulagement de ses symptômes, il n’y a pas de raison pour qu’une dépendance s’installe.
Le cannabis « légal » existe-t-il ?
En France, la culture du chanvre est autorisée pour l’industrie textile, à la seule condition que la teneur en THC ne dépasse pas les 0,2 %. Depuis quelques mois, des commerces proposant du CBD issu de ces plantes à teneur réduite en THC fleurissent un peu partout en France. Ils s’appuient en réalité sur un flou juridique entourant le CBD pour commercialiser sous toutes ses formes (crèmes, dentifrices, tisanes, gâteaux…) ce qu’ils appellent le « cannabis légal ». Comme tout médicament, le cannabis thérapeutique est susceptible d’induire des effets indésirables.
Clémentine Vignon