Fatigue intense, malaises, vertiges… la comédienne Annie Duperey, traitée pour hypothyroïdie avec le Lévothyrox, dit avoir vécu un véritable cauchemar depuis le changement de formule du médicament en mars dernier. Elle a dénoncé, dans une lettre ouverte à la ministre de la Santé, l’expérimentation de ce nouveau traitement en France par l’Agence du médicament (ANSM). Quelles différences entre l’ancienne et la nouvelle formulation ? Pourquoi de tels effets secondaires ? Retour sur la crise Lévothyrox.
En France, près de trois millions de personnes, principalement des femmes, souffrent aujourd’hui d’hypothyroïdie. Ce dérèglement hormonal le plus fréquent après le diabète, est la conséquence d’un manque d’hormones thyroïdiennes. Un trouble de la thyroïde qui est à l’origine de nombreux symptômes : manque de tonus, fatigue, voire prise de poids et frilosité excessive. En cause, une maladie auto-immune ou une ablation de la thyroïde (cancer, nodules…). Pour améliorer les symptômes de l’hypothyroïdie, on dispose aujourd’hui dans l’arsenal thérapeutique d’une seule molécule de synthèse : la lévothyroxine, commercialisée sous le nom de Lévothyrox. Ce traitement substitutif contient l’hormone T4 que la thyroïde ne fabrique plus. Plusieurs milliers de patients sont contraints d’en prendre tous les jours, à vie, la maladie étant dans une grande majorité des cas définitive.
Nouveau Lévothyrox et effets indésirables en cascade
Au printemps dernier, l’agence du médicament (ANSM) a demandé au laboratoire Merck, qui commercialise le Lévothyrox, de changer la composition du médicament. Objectif : améliorer sa stabilité et « garantir une teneur en substance active plus constante d’un lot à l’autre, ou au sein d’un même lot, et ce pendant toute la durée de conservation du produit ». La substance active est restée identique. En revanche, certains excipients ont été remplacés. C’est le cas du lactose qui a laissé la place au mannitol, « dépourvu d’effets notoires » selon l’ANSM. On note également l’ajout de l’acide citrique anhydre, un excipient très répandu dans la composition des médicaments et dans le domaine alimentaire, utilisé ici comme conservateur pour limiter la dégradation dans le temps de la lévothyroxine. Côté visuel, le format et la couleur des boîtes ont changé.
Mais en quelques mois, des milliers de plaintes et de signalements se sont multipliés auprès des centres de pharmacovigilance, ou ont été rapportés aux médecins et pharmaciens. Les patients qui ont pris la nouvelle formule disent être victimes de nombreux effets secondaires : fatigue, maux de tête, perte des cheveux, prise de poids, problèmes intestinaux et vertiges ou malaises avec troubles du rythme cardiaque. Malades et associations de patients réclament un retour à l’ancienne formule, déposent une plainte et envisagent de saisir la justice.
Revirement et retour provisoire à l’ancienne formule
Fin août, ni l’ANSM ni le laboratoire ne souhaitaient revenir à l’ancienne formule. Un numéro vert avait alors été mis à disposition des patients. Mais sous la pression des collectifs de malades et du scandale relayé par les médias et les réseaux sociaux, la ministre de la Santé a annoncé en septembre que l’ancienne composition du Lévothyrox sera de nouveau disponible dans les stocks de médicaments en pharmacie début octobre, de façon transitoire et à hauteur de 90 000 traitements sous forme de conditionnement trimestriel. Seuls les patients munis d’une prescription médicale postérieure au 1er octobre et ayant présenté des « effets indésirables invalidants » peuvent s’en voir délivrer. Pour éviter toute confusion, la formule change de nom et s’intitule désormais Euthyrox. Dans l’intervalle, la ministre a rappelé que des alternatives existent, la lévothyroxine étant disponible sous forme de gouttes buvables (L-Thyroxine) dont la formule n’a, elle, pas été modifiée. D’autres marques génériques de ce médicament pourront également être dispensées. L’essentiel étant que les patients aient le choix et surtout, n’arrêtent ni ne modifient leur traitement sans avis médical, rappellent à l’unisson les professionnels de santé.
Quelles différences entre les 2 formules ?
En mars, l’Agence du médicament se voulait rassurante. Dans un communiqué, elle écrivait : « aucun changement lié à la modification de formule n’est attendu pour les patients. Toutefois, la lévothyroxine étant une hormone thyroïdienne de synthèse à marge thérapeutique étroite, l’équilibre thyroïdien du patient peut être sensible à de très faibles variations de doses ». Par mesure de précaution, l’instance conseillait également aux patients de faire réaliser un dosage de TSH dans les 6 à 8 semaines suivant le début de la prise du nouveau traitement (après 4 semaines pour les femmes enceintes).
Très récemment, les données sources des études de bioéquivalence ont été rendues publiques par l’ANSM. Elles sont concordantes, montrant une variation de 0,7 % entre les deux formules sur les 204 patients volontaires ayant testé l’ancienne et la nouvelle formule. Seuls 5 à 10 % présentaient un déséquilibre hormonal modéré et 1 %, un déséquilibre important. Mais ces résultats sont-ils représentatifs des usagers du Lévothyrox ? Ne peuvent-ils pas cacher des variabilités individuelles ? Tous les « cobayes testés » avaient moins de 50 ans, un bilan sanguin normal, aucun problème de thyroïde et beaucoup ne prenaient aucun médicament. Y a-t-il eu un effet nocebo ? Ou le fait de s’attendre à avoir des effets soulignés par d’autres patients ? Une enquête de pharmacovigilance est encore en cours. Résultats prévus prochainement. Affaire à suivre…
Chronologie de la crise
- Mars 2017 : Le laboratoire Merck met sur le marché une nouvelle formulation du médicament Lévothyrox.
- Août : De nombreux signalements d’effets indésirables, parfois graves, affluent, notamment sur les réseaux sociaux. Une pétition réclamant le retour à l’ancienne formule est mise en ligne et une plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » est déposée.
- 11 septembre : 9 000 cas d’effets indésirables sont enregistrés par les 16 centres de pharmacovigilance selon le ministère de la Santé.
- 15 septembre : Annonce de la ministre sur le retour de l’ancienne formule dans les pharmacies.
- 2 octobre : Retour effectif de l’ancienne formule du Lévothyrox.
Un lexique, pour comprendre !
- Bioéquivalence : deux médicaments sont dits bioéquivalents d’un point de vue thérapeutique lorsque la quantité et la vitesse à laquelle ils atteignent la circulation générale, après administration d’une même dose, sont similaires ou relativement proches.
- Excipient : c’est une substance autre que la substance active destinée à apporter au médicament sa consistance, son goût ou sa couleur.
- Stabilité d’un médicament : c’est l’aptitude d’un médicament à conserver ses propriétés chimiques, physiques, microbiologiques et biopharmaceutiques dans des limites spécifiées pendant toute sa durée de validité.
Interview : quelles leçons tirer de la crise ?
Rencontre avec le professeur Philippe Touraine, chef du service d’endocrinologie de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière
Pourquoi y a-t-il eu modification de la formule du Lévothyrox ?
Le problème du Lévothyrox est que son absorption peut être liée à de très nombreux facteurs environnementaux : être à jeun ou pas, prises de médicaments à visée de protection digestive, d’antibiotiques… tout ceci peut altérer la muqueuse de l’estomac et jouer sur l’absorption du médicament. L’idée de départ était de s’assurer, notamment chez les patients traités après un cancer de la thyroïde, d’une absorption parfaite et stable afin d’avoir continuellement un taux de Lévothyrox dans le sang qui soit correct. Le laboratoire a donc décidé d’uniformiser au niveau européen les formulations, mais le produit actif n’a pas changé.
L’ANSM a parlé de bioéquivalence. Qu’est-ce que c’est et comment expliquer les symptômes décrits ?
Tout l’enjeu est de se dire : si vous avalez un produit A et un produit B, est-on certain que cela va avoir la même trajectoire dans le sang ou va-t-il y avoir quelques petites modifications ? En combien de temps l’absorption va-t-elle se faire et se maintenir dans le sang à un même niveau ? Ce n’est pas parce que le produit final est à peu près le même que le moyen pour y arriver est exactement identique. Les études réalisées ont été suffisantes dans la mesure où elles ne changeaient pas grand-chose au résultat final. Les plaintes des patients dépendent d’un équilibre qu’on a dans le sang. Et comme les dosages hormonaux sont globalement extrêmement superposables, on se retrouve dans une situation rassurante. Beaucoup de patients se sont dit : « si je ne prends pas le produit actif original, cela va bien moins marcher ». Alors qu’il s’agit du produit actif original. Il y a eu à mon sens un problème de croyance de l’individu dans sa relation à un médicament, ce qui dépasse largement la question de molécule et de bioéquivalence. Nos confrères belges ont eu beaucoup moins de plaintes de patients que nous. Mais ils avaient fait beaucoup plus d’efforts de communication, ce que nous n’avons pas fait. L’information a été donnée de façon lapidaire avec une coresponsabilité de l’ANSM et du laboratoire dès le départ, et du corps médical ensuite. Nous sommes dans un système où la parole des collectifs de patients l’emporte sur la fluidité de la communication entre le malade et son médecin, entre le médecin et le laboratoire et entre le laboratoire et les institutions. Tous mes patients avec qui il y a eu une communication transverse n’ont jamais eu de problème avec le Lévothyrox.
En avril, un article publié dans The Lancet alertait quant à la surprescription du Lévothyrox par les médecins. Est-ce le cas ?
Totalement ! La plupart des patients que je vois ont été diagnostiqués par leur médecin généraliste avec un problème de thyroïde alors qu’ils ont eu une fois une TSH (dosage sanguin de la thyréostimuline, une hormone qui contrôle l’activité de la thyroïde et un examen qui peut révéler une anomalie) à 5 U/L (la normale est à 4,5) mais se sentent un peu fatigués. Tous ont eu une prescription de Lévothyrox qu’ils vont prendre, probablement à vie. Beaucoup de ces patients consomment depuis 5 ans, 10 ans ou 20 ans une molécule qu’ils ont peut-être mis du temps à réguler et auront toujours des plaintes. À la faveur de cette situation, du dossier médical et de l’interrogatoire, je propose au cas par cas et à certains patients de baisser progressivement les doses puis de l’arrêter pour voir quels sont leurs réels besoins. Beaucoup en sont extrêmement heureux. Si la TSH remonte, on reprendra le traitement, car il y a de réels besoins, mais en essayant de trouver la bonne dose. Au moins, le test aura été fait. Comment analyser le retour transitoire à l’ancienne formule ? Euthyrox revient et la ministre de la Santé souhaite sortir de nouvelles formulations. Je crains globalement qu’on aille vers des problèmes ponctuels puisqu’on ne répond pas à la demande des patients. Ne pas revenir à l’ancienne formule est une décision politique pour faire avaler la pilule et dire : « je vous ai écouté ». Il faudrait plutôt commencer par faire un bon ménage en termes de rigueur de prescription. Je suis convaincu que beaucoup trop de patients ont été mis sous Lévothyrox pour rien et que le corps médical devrait s’en préoccuper.
« Tous mes patients avec qui il y a eu une communication transverse n’ont jamais eu de problème avec le Lévothyrox. »
Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui aux patients sous Lévothyrox ?
Retournez voir votre médecin endocrinologue pour qu’il puisse y avoir une vraie réflexion sur la stratégie thérapeutique la plus adaptée et au cas par cas. Il est important de prendre du temps pour expliquer les choses. Quelles leçons tirer de cette crise ? On se rend compte, à tous les échelons, qu’il y a eu un gigantesque fossé dans la manière dont l’information a été transmise. L’ANSM a cru bien faire parce qu’elle avait adressé des lettres aux médecins. Le laboratoire a pensé que l’information avait été donnée en envoyant des délégués pour dire que la couleur de la boite changeait. Mais, dans la pratique, les choses ont été minimalisées. Les patients se sont sentis déstabilisés, puis le phénomène buzz et média s’en est emparé. Mais on constate aujourd’hui une exigence de rigueur accrue dans la communication.
Raphaëlle Bartet