Le collège, temps de l’expérimentation
Si dans l’enquête ESPAD 2015, 86,6 % des lycéens ont déclaré avoir déjà consommé de l’alcool, l’expérimentation se ferait plutôt à la fin des années collège, puisque d’après une autre enquête de l’OFDT, 80 % des collégiens en classe de 3e auraient déjà bu de l’alcool. Le lycée est donc davantage une période de diversification et d’intensification des usages de boissons alcoolisées – avec notamment une augmentation des alcoolisations excessives – que d’expérimentation.
Léger recul de l’entrée dans l’alcool
Comparés à la précédente enquête ESPAD (2011), les niveaux de consommations d’alcool en 2015 sont tous à la baisse. Ainsi, le taux de lycéens consommant régulièrement de l’alcool (plus de 10 fois par mois) passe de 21,3 à 14,8 %, et le taux de ceux ayant eu au moins une API (alcoolisation ponctuelle importante : au moins 5 verres d’alcool bus en une même occasion) dans le mois chute de 52,3 à 41, 5 %. Cependant, si un léger recul des usages est constaté au lycée, il ne concerne que les élèves de seconde et de première. En effet, les niveaux de consommation des élèves de terminale égalent ceux observés en 2011. Il faudra donc attendre la prochaine enquête pour voir si les niveaux baissent également dans cette catégorie, témoignant d’un vrai début “d’inversion de tendance”. Pour l’instant, on ne peut que constater le recul de la consommation d’alcool de 2 ans.
Le rôle de l’environnement
Comment expliquer ces tendances ? Elles peuvent être dues à la retombée des mesures législatives prises pour limiter l’accès aux substances, mais également à une prise de conscience collective des dangers de l’alcool, notamment de la part des adultes, davantage sensibilisés aux risques et à même de jouer un rôle préventif auprès de leurs enfants. Une partie de la diminution de la consommation des jeunes est donc le résultat d’un travail fait avec les adultes. Les recommandations sont claires : pas d’alcool avant l’âge de 15 ans. Il ne s’agit pas d’un interdit à vie, mais d’un interdit qui a une certaine légitimité, sachant que “le cerveau adolescent”, encore en phase de construction, est particulièrement vulnérable. Et puisqu’à partir de ses 18 ans, le jeune pourra acheter de l’alcool, il n’est pas inutile que les parents testent entre 16-17 ans sa capacité à gérer cette future liberté. Il s’agit alors de distinguer ce qui se passe en présence de l’adulte de ce qui se passe “hors présence”, en fixant des règles et des limites (horaires, lieux, etc.) qui vont border ses expériences et l’accompagner vers l’autonomie avec l’offre d’alcool.
Les CJC (Consultations Jeunes Consommateurs) fêtent leur 10 ans
Les Consultations Jeunes Consommateurs (CJC) ont été mises en place il y a maintenant 10 ans et sont rattachées aux Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Ce sont des structures pivot de la mise en oeuvre de l’intervention précoce. L’accompagnement va de la réduction des risques jusqu’à l’aide à l’arrêt (cannabis, tabac, alcool, cocaïne…). Il s’agit de consultations anonymes et gratuites ouvertes aux adolescents ou jeunes adultes mais également à leur famille.
Interview de Jean-Pierre Couteron
psychologue clinicien, président de la Fédération Addiction
Actuellement, on aurait tendance à constater un léger recul de l’entrée dans la consommation d’alcool des adolescents. Comment pourrait-on expliquer cette observation ?
J-P.C : Ces dernières années, un certain nombre de mesures ont été prises pour compliquer la rencontre des jeunes avec l’alcool, comme limiter la vente d’alcool dans les manifestations ou festivals par exemple. En parallèle, on a aussi beaucoup communiqué sur la dangerosité du “binge drinking”, c’est-à-dire la surconsommation d’alcool sur une courte durée. Des actions de prise en charge par des professionnel s ont également été mises en place, avec notamment la création des Consultations Jeunes Consommateurs (CJC) il y 10 ans.
En quoi consistent ces Consultations Jeunes Consommateurs ?
J-P.C : Dans ces consultations, on ne considère pas les jeunes comme des malades alcooliques, mais plutôt comme des individus qui mettent en danger un certain nombre de processus, notamment développementaux, par des suralcoolisations massives. L’objectif est d’amorcer une discussion, de faire parler les jeunes, et d’être dans l’empathie tout en leur délivrant des informations qui pourront les aider à réfléchir à leur consommation. On leur explique par exemple la fragilité particulière du “cerveau adolescent”, qui finit de se façonner aux alentours de 25 ans. L’idée est d’éviter la leçon de morale, mais plutôt de leur proposer des exercices concrets. Par exemple, j’ai reçu une jeune fille de 20 ans qui se mettait dans des états d’ébriété sévères à chaque fois qu’elle faisait la fête. Après avoir beaucoup discuté lors des consultations, je lui ai proposé de faire des tests, comme essayer de passer une soirée sans être complètement ivre. Aujourd’hui, et après 3 mois de recul, je ne dis pas qu’elle a totalement arrêté de boire, mais faire la fête n’est plus pour elle synonyme de suralcoolisation, et c’est déjà un grand pas. Parfois, les jeunes sont surpris qu’on ne leur donne pas comme condition première d’arrêter l’alcool.
J’imagine que les jeunes, dans leur majorité, ne consultent pas de leur propre initiative. Comment vous parviennent-ils ?
J-P.C : En effet, c’est une vision d’adultes de penser que les jeunes vont venir d’eux-mêmes aux CJC. Chez eux, ce sont plutôt les sentiments agréables qui dominent, même lorsqu’ils se lèvent le matin avec la gueule de bois. Ils sont donc forcément orientés par un tiers, qu’il s’agisse de professionnels de la réduction des risques en milieu festif qui repèrent les jeunes qui boivent trop, de la famille, et notamment des parents, mais aussi du milieu scolaire, voire même des copains.
Quel est le profil des adolescents qui consultent aux CJC ?
J-P.C : Il n’y a pas de profil type, mais on peut retenir deux voies d’entrée principales. Premièrement, les adolescents qui ont plutôt un profil psychopathologique avec généralement des problématiques familiales complexes voire l’existence de traumatismes antérieurs et, deuxièmement, les adolescents qui n’ont pas de soucis particuliers et qui sont entrés dans l’alcool via la culture festive et l’influence du groupe.
Qu’en est-il des adolescents qui auraient besoin d’une prise en charge plus poussée, notamment d’un suivi psychologique ?
J-P.C : Aux CJC, il s’agit de réaliser avec le jeune un travail motivationnel, c’est-à- dire de lui faire prendre conscience de certaines choses. En aucun cas, on ne fait de la psychothérapie formelle ni on ne délivre de médicaments. Mais en effet, lorsqu’on lève le voile de l’alcool, on découvre chez un certain nombre de jeunes des souffrances psychiques et/ou des éléments de complexité familiaux qui nécessitent parfois une réorientation vers un spécialiste comme un pédopsychiatre ou un psychologue. Tout le principe des CJC c’est de se présenter de manière simple en amont, pour ne pas faire fuir le jeune, mais d’avoir la possibilité de recourir à des dispositifs plus complets en aval, permettant de répondre aux besoins de prise en charge.