Entre 2 et 3 % de la population souffrent de Troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Quand des comportements répétitifs deviennent irraisonnés et irrépressibles, le quotidien s’apparente à un parcours du combattant. Stéfanie Clerget, 38 ans, témoigne.
Vocation santé : Quand avez vous commencé à souffrir de TOC ?
Stéfanie Clerget : Mes troubles ont débuté à l’âge de 7 ans par une phobie alimentaire : j’avais peur de mourir, de m’étouffer en mangeant. Ça a été le déclenchement. J’ai développé des TOC pour y pallier. D’autres peurs m’ont ensuite submergée : par exemple, j’avais terriblement peur qu’un événement
malheureux arrive à mes parents.
Le diagnostic des TOC est parfois tardif. Qu’en a-t-il été dans votre cas ?
Il y a 30 ans, la maladie était moins cernée. Mes peurs passaient parfois pour des caprices. Mais l’inquiétude de ma mère l’a conduite vers des associations. Elle en a parlé avec d’autres parents concernés par les mêmes problèmes, puis elle m’a proposé de consulter un médecin. C’est un psychiatre qui a posé le diagnostic.
Comment votre prise en charge a-t-elle débuté et évolué ?
J’ai changé de psychiatre plusieurs fois. Depuis maintenant 10 ans, je consulte la même, tous les 15 jours. Des pensées envahissantes me poussent à la rumination mentale. C’est pourquoi j’ai été sous antipsychotiques durant une période de mon enfance. J’ai voulu les arrêter, car je ne me sentais plus moi-même, j’avais l’impression de perdre ma dignité. J’ai suivi de nombreuses thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Aujourd’hui encore. Par ailleurs, je suis sous antidépresseur. La dépression est la principale comorbidité associée à ma maladie. Si j’arrête l’antidépresseur, je replonge.
Comment avez-vous vécu avec votre maladie jusqu’à présent ?
Enfant, je me sentais différente. J’avais conscience de mes angoisses, je pensais que cela faisait partie de ma personne. Seuls les rituels m’aidaient à me rassurer. Je me voyais faire plusieurs fois les mêmes actions : dix allers-retours de ma chambre à la salle de bains, éteindre la lumière quinze fois, mettre 20 minutes pour enfiler un pantalon. Je me conditionnais afin d’avoir une vie à l’extérieur d’apparence normale, tout en étant malade chez moi. C’était mon quotidien d’enfant et d’adolescente. Jeune adulte, j’ai pu souffler durant cinq ans. Mon côté social a pris le dessus. Je me sentais désinhibée, j’avais moins d’angoisses mais je cachais toujours ma maladie. J’ai rencontré mon mari et eu mon premier et dernier enfant. C’était le moment où jamais.
Pourquoi cette période s’est-elle arrêtée ?
Il y a 3 ans, mes troubles ont empiré : j’ai développé une phobie des maladies, des microbes, je devais constamment me laver les mains, je m’enfermais chez moi, c’était l’horreur. Paradoxalement, c’est à ce moment-là que j’ai eu besoin de me libérer de ce poids, de m’exprimer sur ce sujet que je cachais depuis des années.
Votre conjoint a-t-il accepté votre maladie ?
Il m’a été facile de lui cacher au début. Mais au fur et à mesure qu’une personne entre dans votre intimité et dans les habitudes, les troubles se manifestent. Cette facette de moi a donc vite été révélée. Ça n’est pas tous les jours facile pour lui, mais il est compréhensif et me pousse dans mes retranchements. Il m’aide beaucoup.
Vos troubles ont-ils une influence sur votre relation avec votre enfant ?
Je suis attentive au moindre détail afin de veiller à ce qu’il ne développe pas de troubles prononcés. J’essaie de ne pas le surprotéger, malgré moi. Il a toujours connu sa maman comme ça, il s’est habitué à mes comportements. Par exemple, je suis incapable de monter dans un bus, mais je me fais violence pour ne pas le lui interdire. Il vit ma maladie au quotidien, nous en parlons de temps en temps. Il sait que ces troubles font partie de moi.
J’ai peur en permanence pour mon mari et mon fils, mais j’ai toujours essayé de travailler sur moi. Je pars en vacances en famille. C’est le seul moment où je sors vraiment. Mais il faut que ce soit une destination calme et paisible.
Les TOC ont-ils touché les sphères scolaires et professionnelles ?
Bien sûr. À ce jour, je suis en incapacité de travailler à l’extérieur. Je travaille un peu chez moi. Je suis reconnue travailleur handicapé depuis plus de 15 ans, ce qui me permet de toucher une allocation dans le cadre de ma maladie. Mon parcours scolaire a été très compliqué, j’ai échoué au baccalauréat. À partir du collège, j’ai commencé à accumuler des lacunes créant un fossé de niveau avec mes camarades.
J’ai fait quelques petits boulots, mais j’étais très vite rattrapée par mes troubles.
Comment appréhendez-vous votre maladie aujourd’hui ?
Il ne faut pas essayer d’être toujours dans le combat, mais plutôt dans l’apprivoisement. C’est comme une maladie chronique, il faut l’accepter et être dans une démarche de thérapie cognitivo-comportementale. Il est important de ne pas cacher sa souffrance, en parler, c’est commencer à s’en libérer. Des associations de patients et des groupes d’entraide existent.
Le mot du psychiatre
« Les TOC peuvent apparaître à tout âge. L’anxiété est conjurée par les compulsions. C’est le caractère exagéré et inadapté du trouble qui différencie les TOC d’une vérification normale.
Plus le trouble est enkysté depuis longtemps, plus il sera difficile de le traiter. Le diagnostic précoce et la prise en charge par un psychiatre sont déterminants pour l’évolution de la maladie.
À ce jour, la thérapie cognitivo-comportementale est la seule psychothérapie ayant prouvé son efficacité. L’approche cognitive critique le dogme de la pensée unique et fait réfléchir le patient quant à la pertinence de ses pensées angoissantes et de ses rituels. Dans un deuxième temps, l’approche comportementale confronte le patient au risque craint afin d’engendrer une habituation au risque. Guérir des TOC est possible pour la majorité des cas !
Souvent, une TCC suffit. Au besoin, l’association d’un antidépresseur sérotoninergique est prescrite.
Il existe des cas très compliqués, hermétiques au traitement. »
Dr Nicolas Neveux, psychiatre‑psychothérapeute à Paris, en TCC et TIP, auteur du site www.e-psychiatrie.fr
Par Carla Masciari