Dans son livre « Mes prolongations », paru au mois d’avril dernier, l’ancien footballeur international Bixente Lizarazu, aujourd’hui consultant pour la télévision, confiait être atteint d’addiction au sport. Un mal insoupçonné, tant l’activité physique est bénéfique pour le corps. Mais pratiquée à outrance, elle peut avoir des conséquences négatives sur la santé physique, psychologique et sociale, et entraîner une véritable dépendance.
Accroissement de la force musculaire, développement du capital osseux, renforcement des capacités cardiaques et respiratoires… le sport procure pléthore de bienfaits qui améliorent la qualité de vie. Son implication dans la réduction du risque d’apparition de plusieurs maladies comme certains cancers, le diabète, l’obésité ou l’ostéoporose lui vaut même d’être considérée comme un traitement à part entière. Mais tel un médicament classique, l’activité physique possède elle aussi des effets indésirables et peut entraîner une dépendance chez le sportif. Un mal récemment mis en lumière par les déclarations de l’ancien footballeur international Bixente Lizarazu, qui a confessé, à l’occasion de la sortie de son livre « Mes prolongations », ne pas pouvoir imaginer sa vie sans le sport. « C’est ma passion, ce qui me fait du bien. J’ai trouvé mon équilibre comme ça (…), ça a été ma boussole toute ma vie. C’est vrai que je suis un peu excessif. Il y a cette bigorexie, je le sais. Mais je préfère avoir cette maladie, entre guillemets, que d’autres addictions. Simplement, il faut que je sache la gérer. » Des propos qui ont été extrapolés et que le champion du monde 98 a tenu à nuancer, affirmant qu’il contrôlait parfaitement son penchant pour les nombreuses activités auxquelles il s’adonne. Cette surabondance lui aurait même permis de traverser le vide de « l’après-carrière » que peuvent rencontrer certains anciens sportifs professionnels. Ainsi, si l’ancien latéral de l’Équipe de France semble avoir quelques excès, sa conduite paraît trop modérée pour entrer dans le champ d’une addiction.
Une perte de contrôle
Retrouvée parfois sous le nom de bigorexie, terme désuet qui concernait essentiellement le milieu du culturisme, l’addiction au sport a été définie par le Centre d’études et de recherche en psychopathologie de Toulouse (CERPP) comme « un besoin irrépressible et compulsif de pratiquer régulièrement et intensivement une ou plusieurs activités physiques en vue d’obtenir des gratifications immédiates et ce malgré des conséquences négatives à long terme sur la santé physique, psychologique et sociale ». Pour le Dr Aymeric Petit, médecin psychiatre et addictologue au CHU Ambroise Paré, cette notion de perte de contrôle est l’une des distinctions majeures entre les conduites addictives et abusives « pour lesquelles la personne garde une forme de liberté ». Ainsi, l’arrêt de la pratique sportive chez ces sujets peut conduire à l’apparition d’un syndrome de sevrage qui se traduit par de multiples symptômes : nervosité, irritabilité, tremblements, voire une légère dépression.
Un mode de vie bouleversé
Au même titre que les addictions aux jeux de hasard et d’argent, l’addiction au sport entre dans le cadre des addictions comportementales, aussi appelées addictions « sans produits » ou « sans substance psychoactive », par opposition aux addictions plus classiquement connues comme l’alcoolisme ou le tabagisme. « La perte de contrôle peut s’opérer vis-à-vis d’un produit, comme l’alcool ou la cocaïne, ou vis-à-vis d’un comportement, en l’occurrence ici le sport » explique le Dr Petit. Mais à l’instar des formes classiques de dépendance, les addictions comportementales s’attaquent à toutes les composantes de la vie quotidienne : familiale, sociale, professionnelle et financière. « Il peut y avoir une mise en péril de toute la sphère socioprofessionnelle, avec des gens qui changent complètement leur mode de vie, qui s’isolent et, dans les cas les plus extrêmes, peuvent même aller jusqu’à perdre leur emploi » rajoute le médecin avant de conclure « tout est mis en péril au profit de l’entraînement et de la performance ».
Des conséquences néfastes qui tranchent avec les premiers travaux effectués sur cette maladie dont avait émergé le concept d’addiction positive. Développée par le médecin américain William Glasser en 1976, cette représentation offrait une première distinction entre les addictions classiques, considérées comme négatives, et la dépendance au sport. Au sein de cette catégorie est aussi retrouvée l’addiction au travail, appelé workaholisme en référence à l’alcoolisme. Ce concept d’addiction positive permet de comprendre pourquoi ces addictions sont au départ valorisées et acceptées par l’entourage des malades.
Pas une partie de plaisir
C’est l’un des autres versants de la conduite addictive : la disparition du plaisir dans la pratique. « Pour parler d’addiction, il faut qu’il y ait une souffrance psychique. C’est le dénominateur commun entre tous les patients dépendants », confie le psychiatre avant d’ajouter « l’addiction c’est un coup de foudre, une trop belle rencontre, une sensation que la personne ne peut retrouver ailleurs ». Ainsi, si la recherche systématique et répétée du plaisir que seule l’activité physique procure au sportif lui sert initialement de motivation, ce besoin compulsif se transforme peu à peu en tourment. « L’addiction c’est le glissement du plaisir dans la souffrance. Sans souffrance, il n’y a pas d’addiction » conclut-il.
En outre, cette souffrance semblerait expliquer pourquoi les sports individuels sont plus touchés par cette maladie que les sports collectifs. « Derrière l’addiction au sport, il y a vraiment l’idée de l’effort solitaire, rien de ludique » insiste le médecin. C’est pourquoi les quelques études qui ont porté sur les différentes pratiques concernées ont plus mis en avant la course à pied, les sports de salle ou le cyclisme que les sports collectifs comme le football ou le rugby.
Logiquement, une personne qui s’entraîne tous les jours, qui repousse constamment ses limites, sera plus sujette aux tendinites, déchirures et divers troubles physiques liés au surentraînement. La persistance d’un sportif à l’entraînement en cas de blessure peut d’ailleurs être le signe d’une addiction à l’effort et doit alerter. De plus, toujours dans l’optique d’amélioration des performances, il est possible qu’une personne dépendante au sport ait recours au dopage. Cependant, la quantité de sport pratiquée ne détermine pas directement le risque de pratiques dopantes. « Addiction au sport et dopage sont souvent confondus, car il y a un recoupement au niveau des motivations », explique le Dr Petit, « mais ce sont pourtant deux notions bien distinctes ».
Un diagnostic difficile
La mise en place du diagnostic est l’une des difficultés de cette maladie. « Contrairement à certaines autres addictions, les patients dépendants au sport ne consultent pas, ou très peu, et quand ils le font c’est essentiellement en cabinet de ville, car c’est moins stigmatisant que de se rendre à l’hôpital » confie le Dr Petit. Une absence de diagnostic qui pourrait être aussi due à la valorisation de la pratique sportive. « Cela entretient le déni, c’est sûr » confirme le médecin, avant de rajouter « l’un des aspects sur lesquels nous devons agir, c’est la prévention : coachs sportifs, entraîneurs mais aussi les médecins traitants, il est primordial d’alerter ces acteurs qui, de par leur proximité, peuvent agir plus tôt ». En outre, ce trop faible nombre de consultations rend difficile l’estimation du nombre de personnes concernées.
« L’idée est d’aider le patient à retrouver une activité physique raisonnable, de retrouver un comportement responsable vis-à-vis du sport. Nous ne sommes pas dans une démarche d’abstinence comme avec l’alcool ou d’autres substances » – Dr Aymeric Petit Médecin psychiatre et addictologue, praticien attaché au service de médecine interne et d’addictologie au CHU Ambroise Paré et membre de SOS Addictions.
L’addiction aux jeux vidéo reconnue comme une maladie par l’OMS
En juin dernier, c’est une autre addiction comportementale qui a fait parler d’elle : l’addiction aux jeux vidéo. Officiellement nommée « trouble du jeu vidéo » elle a été intégrée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le projet de la 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11).
Bien que l’Organisation ait précisé que ce trouble ne concerne qu’une petite partie des personnes qui utilisent des jeux numériques ou des jeux vidéo, cette intégration a été vivement contestée par les professionnels et associations du milieu jeux vidéoludiques et devrait faire débat jusqu’à l’approbation formelle de la révision par l’Assemblée générale de l’OMS, prévue en mai 2019.
Le sport une pratique toujours encouragée
Si l’addiction au sport est bien réelle et n’est pas à négliger, la pratique d’une activité physique régulière reste plus que jamais recommandée afin de réduire le risque de pathologies chroniques, de prévenir la prise de poids ou tout simplement d’être en bonne forme. D’après l’OMS, ce sont, chaque semaine, 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue qui sont conseillées pour un adulte. Des temps d’activités hebdomadaires que l‘OMS invite même à doubler pour profiter pleinement des bénéfices.
Julien Dabjat