Longtemps dénigrés, les joueurs souvent stigmatisés, incompris, les jeux vidéo ont eu du mal à s’imposer comme médium culturel « normal ». Le temps adoucit les mœurs et les préjugés, ils ont aujourd’hui trouvé leur place dans les foyers. Cela étant, certaines formes de pratique restent dangereuses, notamment pour les plus jeunes.
Les jeux vidéo ont fait couler beaucoup d’encre, souvent à tort. Blâmés, car trop violents, mettant en avant une image caricaturale de la femme ou tout simplement bêtes. Les années passant, ils ont regagné leurs lettres de noblesse grâce à quelques chefs d’œuvres unanimement reconnus. Les jeux vidéo sont simplement un médium, certains sont médiocres, d’autres exceptionnels, comme un livre ou un film. Mais il existe tout de même certains dangers, comme des phénomènes d’addictions, sur lesquels quelques producteurs peu scrupuleux veulent jouer pour engranger des profits.
Changement de modèle
« Le mot addiction est réservé par l’OMS aux situations où il y a une déscolarisation ou une désocialisation complète depuis plus de 12 mois » nous explique Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, qui travaille depuis de nombreuses années sur l’effet des écrans et des jeux vidéo, notamment sur les plus jeunes. « L’OMS a déclaré en 2018 qu’il existe un “gaming disorder”, qui est traduit par trouble du jeu vidéo. Si l’OMS a changé d’avis, c’est parce que les jeux vidéo ont changé de modèle économique, » nous apprend l’expert. En effet, depuis plusieurs années, beaucoup de jeux dits « free-to-play » voient le jour. Ils prennent une place de plus en plus importante par rapport aux jeux « classiques », qu’il faut acheter pour jouer.
Free-to-play ou comment le jeu se tourne vers le casino
« La logique de jeux de hasard et d’argent reste inhérente au modèle de free-to-play. C’est terrifiant et je suis très inquiet. Car l’être humain est fragile et cède facilement au casino. Nous avons affaire à un casino en cosplay ! » – Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, membre de l’Académie des technologies
D’apparence gratuite, les free-to-play cachent en leur sein des micropaiements, pour débloquer des niveaux, des personnages, des bonus, etc. Serge Tisseron nous alerte : « ces jeux sont conçus sur une autre logique, il ne faut plus que le joueur ait du plaisir, mais qu’il reste le plus longtemps possible devant l’écran. Les éditeurs utilisent alors des stratégies que nous retrouvons dans les jeux de hasard et d’argent. C’est pour cela que l’OMS alerte, ces nouveaux jeux pourraient avoir des effets plus graves, en créant des pathologies proches de celles des jeux de hasard et d’argent, chez des enfants de 12 ans ! » Car c’est bien là le problème, sous leurs atours mignons et colorés, ces jeux passent facilement les marquages PEGI, qui déconseillent les jeux violents aux plus jeunes. Et ce phénomène a récemment atteint sont paroxysme avec les loot boxes, qui sont des récompenses de jeu, qu’il est aussi possible d’acheter avec de l’argent réel, et qui contiennent des prix aléatoires. Certains joueurs, pour obtenir le bonus de leurs rêves, sont prêts à jouer des dizaines d’heures, ou à payer de fortes sommes d’argent. Un problème d’envergure qui a poussé le législateur belge à interdire les loot boxes en 2018, une première, salués par la presse spécialisée.
La communication est la clef
Alors, comment faire face à ce genre de problématiques lorsque nous sommes parents et parfois même, joueurs ? « Il ne faut pas seulement réduire les temps d’écrans souvent excessifs, mais aussi prendre du temps pour parler de jeux vidéo. Pour savoir ce que votre enfant fait. Ces jeux mobilisent tellement d’émotions fortes, que cela donne envie aux enfants d’en parler, il faut que les parents et les pédagogues soient à l’écoute. Parler de jeux vidéo permet en plus de développer les compétences narratives » conseille le professeur Tisseron. Le jeu vidéo n’est ni bon ni mauvais. « Beaucoup de jeux peuvent être joués de manière solitaire et addictive ou bien sociale et créative, comme Fortnite, » souligne Serge Tisseron. Il pourrait être dommage de passer à côtés de l’émerveillement et des émotions que procurent certains jeux vidéo, il faut savoir guider les plus jeunes vers les plus belles expériences, car tous les jeux vidéo ne se valent pas. Et tel un Épicure moderne, il faut savoir en profiter dans une juste mesure, sans tomber dans une surconsommation qui gâcherait le plaisir véritable du joueur averti.
Si vous voulez allez plus loin sur le rapport entre les enfants et les écrans : www.3-6-9-12.org. •
L’Homme et l’Écran
Les enfants ne sont pas les seuls à être hypnotisés par les écrans de téléviseurs ou de téléphones portables. « Les écrans sont aussi attractifs pour notre cerveau que les barres chocolatées et les sodas pour notre palais. Donc nous avons un énorme problème d’autorégulation, » relève Serge Tisseron. Il pousse la comparaison : « nous sommes à l’époque des écrans sauvages comme les premier hommes étaient à l’époque de la nourriture sauvage, ils en mangeaient lorsqu’ils en trouvaient. Maintenant que nous avons tous un écran dans notre poche, il faut civiliser les écrans, faire comme la nourriture, fixer des tranches horaires, des rituels. » Il y a d’ailleurs de plus en plus d’applications qui poussent les utilisateurs à mieux réguler leurs rapports aux écrans. Il est temps de se civiliser.
Face au manque d’espace réel s’ouvre l’espace virtuel
La vie en ville n’est pas forcement la plus épanouissante pour les adolescents à qui l’urbanisme réserve peu de place. « Chez les jeunes urbains qui manquent d’espaces collectifs, les jeux vidéo permettent de retrouver des camarades de classe. C’est mieux que les réseaux sociaux puisque l’on partage une aventure, on prend des décisions ensemble, » rapporte Serge Tisseron. Une utilité palliative du jeu vidéo, qui peut permettre de sociabiliser depuis sa chambre.
Par Pierre-Hélie Disderot





