Alors que la poudre blanche reste un indispensable de notre trousse de toilette, son utilisation est de plus en plus controversée. Cancer de l’ovaire, traces d’amiante… Faut-il avoir peur du talc ?
Depuis l’Antiquité, le talc est un outil indispensable de la salle de bains. Hygiène, cosmétique, mais aussi peinture ou céramique… La poudre blanche se retrouve partout et s’utilise généralement pour adoucir la peau, matifier, retenir le parfum et calmer les rougeurs. Seulement, depuis quelques années, son innocuité est remise en question. Le talc serait désormais soupçonné de favoriser les cancers de l’ovaire. Et c’est le très médiatisé procès Johnson & Johnson (J&J) qui a mis le feu aux poudres.
En août dernier, le groupe pharmaceutique a été condamné à verser la somme faramineuse de 417 millions de dollars à une Américaine qui estimait que les talcs Baby Powder et Shower to Shower qu’elle utilisait tous les jours étaient responsables de son cancer des ovaires. Trois mois plus tôt, ce sont 72 millions de dollars de dommages et intérêts qu’a versés Johnson & Johnson à la famille d’une femme décédée à 62 ans, également d’un cancer des ovaires. Pendant plus de 35 ans, cette dernière utilisait du talc pour son hygiène intime, en saupoudrant l’intérieur de ces sous-vêtements.
« Saupoudrer tous les jours éloigne les odeurs »
Plus d’un millier de plaintes ont désormais été déposées contre Johnson & Johnson. Toujours pour les mêmes utilisations du talc. En effet, certaines femmes l’utilisent quotidiennement pour absorber l’humidité au niveau génital, camoufler les odeurs ou encore calmer les irritations vulvaires. Un usage qui n’est pas rare, particulièrement aux États- Unis. Certains conseils douteux, trouvés sur le web, recommandent même d’insérer du talc à l’intérieur du vagin, pour calmer les mycoses vaginales. Dans les années 1980, la marque communiquait d’ailleurs directement sur cette utilisation féminine. En témoigne une publicité datée de 1988 pour Shower to Shower, avec pour slogan « saupoudrer un peu tous les jours éloigne les odeurs », insistant sur le fait que le corps des femmes « transpire ailleurs que sous les bras ». Si le juge et les avocats des victimes ont estimé plausible le lien entre talc et cancer des ovaires, ce n’est pas forcément l’avis de la communauté scientifique. Pour l’avocat, Johnson & Johnson était au courant des risques, mais a choisi de « mentir au public et aux organismes de réglementation ». Une affirmation que dément le groupe pharmaceutique, par le biais de sa porte-parole Carole Goodrich qui se dit « absolument certaine que le talc cosmétique est inoffensif, comme en attestent des décennies de recherche scientifique ». Sauf que des documents confidentiels datés de 1997 et dévoilés pendant le procès mettent en doute ces affirmations. Une note interne impute notamment la chute des ventes au fait que de plus en plus de consommateurs seraient au courant des dangers du talc. À cela s’ajoutent des preuves écrites de la stratégie douteuse de l’entreprise pour parer à la baisse des ventes : cibler les populations noires et hispaniques, jugées par J&J comme « moins au courant ».
Aucune preuve scientifique
Du côté scientifique, les conclusions sont bien plus réservées. Que ce soient des études sur l’animal ou in vitro, les conclusions sont systématiquement contrastées. Globalement, lorsqu’un surrisque est observé, il est de 1,15 à 1,3. Mais lorsque les études sont faites sur des cohortes de personnes, statistiquement significatives, l’augmentation du risque de cancer de l’ovaire est imperceptible. Et la preuve est d’autant plus difficile à avancer que les travaux chez l’Homme reposent pour la plupart sur du déclaratif concernant l’utilisation de talc. Les résultats peuvent parfois être surprenants. Ainsi, l’une des dernières études en date mise au point par des chercheurs du National Institute of Environmental Health Sciences en 2016 montre que l’utilisation du talc est retrouvée chez 12 % des femmes ayant développé un cancer de l’ovaire, contre 14 % des participantes sans cancer… Parallèlement, l’étude montre que la pratique de la douche vaginale accroît considérablement le risque de développer un cancer de l’ovaire, de 80 %.
« Cela suggère l’absence d’association statistiquement significative entre l’utilisation du talc et le cancer de l’ovaire », conclut l’étude. La dangerosité du talc n’est donc pas scientifiquement fondée. Les chercheurs peinent d’ailleurs à expliquer un hypothétique mécanisme d’action de la poudre sur les ovaires. Certains avancent ainsi que le talc pourrait remonter par le vagin, puis l’utérus et les trompes pour atteindre les ovaires, et provoquerait une inflammation chronique. Néanmoins, aucun effet génotoxique du talc n’a été mis en évidence.
Pour l’heure, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a jugé « inclassable » le talc en tant que cancérigène, par manque de données solides. Il a, malgré des preuves limitées, classé l’utilisation génitale et périnéale du talc comme « possiblement cancérogène chez l’humain ». Si on ne peut que déconseiller cet usage, en 2016, une étude publiée dans Gynecology Oncology a conclut : « il n’est pas possible de dire si un cas de cancer des ovaires est le résultat d’une utilisation du talc ».
« La dangerosité du talc n’est pas scientifiquement fondée. Les chercheurs peinent à expliquer un hypothétique mécanisme d’action de la poudre sur les ovaires. »
Du talc contaminé à l’amiante ?
Issu de la pulvérisation de silicate de magnésium, le talc est une roche transformée en poudre. L’Europe et la Chine sont les pays les plus riches en gisements, et dans les années 1970, une partie de ce talc naturel s’est révélée contaminée par des fibres d’amiante, tristement connue pour provoquer des cancers de la plèvre. Dès lors, avec l’émergence des premières controverses sur le talc, les poudres à destination humaine sont toutes systématiquement purifiées pour ne contenir aucune fibre d’amiante. Seulement, en 2009, des médias sud-coréens avaient fait état de traces d’amiante dans 12 marques de poudres pour bébé…
En 2012, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a analysé le talc utilisé dans l’enduit et son impact sur la santé des ouvriers. L’Agence a ainsi conclu qu’elle ne pouvait pas « exclure la présence de fibres d’amiante », entraînant de possibles conséquences sur les voies respiratoires de professionnels du bâtiment. À cela s’ajoute les polémiques autour de la traçabilité du talc, remise en question par une enquête publiée dans Le Monde en 2016. Elle affirme que le commerce du talc en Afghanistan permettrait de financer les talibans et l’État islamique, par le biais de pots-de-vin versés aux gouverneurs locaux. Un talc ensuite utilisé dans les céramiques et peinture du Vieux Continent.
Attention aux allergènes
Chez l’enfant, une poignée d’études met en lien utilisation du talc et irritation des voies respiratoires, particulièrement chez les moins de 3 ans. Désormais, les fabricants de poudres bébés conseillent donc de les tenir à l’écart de la bouche et du nez de l’enfant. Chez certaines personnes, le talc peut également être irritant et allergisant.
De manière générale donc, mieux vaut privilégier les talcs vendus en officine, pur, sans parfum ni « limonène » ou « linalol ». En cas de doute, faites un test cutané sur une petite partie de peau 24 heures avant l’application, pour limiter les risques allergiques. Et bien sûr : jamais de talc sur les muqueuses !
Un peu d’histoire… L’affaire du talc maudit
Au printemps 1972, le scandale avait fait la Une de la presse française. Alertées par un nombre anormalement élevé de nourrissons atteints d’encéphalite, paraplégie, œdème, fièvres et brûlures, les autorités sanitaires décident de mener l’enquête dans les Ardennes. Les chercheurs et épidémiologistes trouvent alors un dénominateur commun à tous ces jeunes enfants : l’utilisation de talc Morhange. Les tests révèlent que le talc contient 6 % d’hexachlorophène, un biocide puissant, introduit par erreur. Si sa toxicité n’était que peu étudiée à l’époque, le bactéricide venait d’être interdit aux USA. Au total, 36 bébés sont morts et 224 intoxiqués. Le procès s’ouvre en 1979 et aboutit à la condamnation des 5 principaux inculpés, défendus par Robert Badinter. Ils seront finalement amnistiés par François Mitterrand en 1981.
Par Léa Galanopoulo