« Un état de fatigue imprévisible, difficile à gérer, je ne peux pas toujours organiser ma journée. » Marine, 18 ans, est étudiante en terminale. Elle souffre de narcolepsie-cataplexie, une maladie rare et peu connue, qui l’a fait grandir plus vite, car « il faut un mental d’acier ». Témoignage.
Vocation Santé : Pourquoi avez‑vous tiré la sonnette d’alarme ?
Marine : Cela a commencé en février 2018, avec des fatigues extrêmes. C’étaient les vacances scolaires, je me disais que c’était normal, je relâchais le stress. À la reprise des cours, je m’endormais en classe, c’était incontrôlable. Je partais à l’infirmerie par honte. Peu à peu, je me suis habituée à cet état, je dormais entre midi et 14 h sur une table, en pensant que ça passerait. Quand je riais avec mes amis, je m’écroulais, mes muscles lâchaient. Puis un jour, ce sont mes nerfs qui ont lâché. J’ai alors dit à ma mère « Je sens que j’ai quelque chose, ce n’est pas une fatigue normale, je veux voir un spécialiste. » Jusqu’alors, j’avais déjà consulté mon médecin généraliste qui me disait que c’était le stress. C’est vrai que je suis une élève très consciencieuse. J’ai fait des échographies, des bilans sanguins, hormonaux. J’avais une légère carence en fer, j’ai pris beaucoup de compléments alimentaires : fer, magnésium…
Qui a finalement posé le diagnostic ?
Je voulais voir un spécialiste, alors mon généraliste m’a adressée à un neurologue hospitalier. J’ai répondu à un questionnaire qui conduisait au diagnostic de narcolepsie- cataplexie. Puis j’ai passé un examen du sommeil : une nuit à l’hôpital pour vérifier la qualité de mon sommeil. Le lendemain, j’ai passé un test : une sieste de 20 minutes toutes les 2 heures. L’objectif était de voir en combien de temps je m’endormais. Je me suis endormie à toutes les siestes en moins de 3 minutes, au total cinq siestes dans la journée.
Le neurologue a affirmé que mon sommeil était réparateur la nuit, ce qui était bon signe. Ainsi, il n’était pas normal que je m’endorme la journée. L’analyse de mes siestes a révélé que je tombais directement en sommeil paradoxal en moins de 3 min. Le diagnostic de la narcolepsie- cataplexie a été confirmé à l’issue de ces examens.
Comment avez-vous réagi à l’annonce ?
Ce fut un soulagement, on mettait enfin un nom sur ce que je vivais. Puis, quand il m’a parlé des traitements j’ai eu peur, et j’ai accusé le coup, bien sûr. Le neurologue m’a expliqué que c’est une maladie rare, qu’on ne peut pas en guérir, ou très rarement, mais qu’on peut vivre avec. Au fond, je le savais. Tous les samedis, je voyais une amie avec qui je discutais beaucoup. Je lui parlais régulièrement de mes inquiétudes sur ma fatigue handicapante et incontrôlable. Un jour, elle m’a dit de me renseigner sur la narcolepsie. Je ne connaissais pas cette maladie. J’ai lu des articles et je me suis reconnue dedans, je l’avais même dit à mon médecin généraliste. Le neurologue n’a fait que confirmer ce que je pressentais. Il aura tout de même fallu un an, depuis l’apparition de mes premières fatigues, pour que le diagnostic soit posé.
Quel est votre traitement, votre prise en charge ?
Le plus compliqué est de trouver le bon traitement. Je prends un psychostimulant. Au début, je le prenais seulement le matin et en début d’après-midi. Maintenant, je prends un troisième comprimé, après la sieste post-déjeuner, avant d’aller en cours.
Cela me fait tenir la journée, la sieste de 20 min m’aide énormément. Mon neurologue m’a vraiment incitée à la faire pour éviter d’augmenter la dose de médicament. Je prends aussi un antidépresseur, pour la cataplexie (voir encadré). Ça fonctionne bien !
Après le diagnostic, je voyais le neurologue tous les 3 mois. Dernièrement, j’ai repassé des examens à l’hôpital pour évaluer l’efficacité du traitement. Les résultats ont indiqué que le traitement me permet bien de rester éveillée artificiellement. Depuis, je vois le neurologue tous les 6 mois.
La narcolepsie a-t-elle eu des conséquences sur votre parcours scolaire ?
Mes résultats scolaires ont chuté. À la sortie des cours, je rentrais dormir jusqu’à 21 h au moins. Je ne faisais plus mes devoirs. Je loupais certains cours, car j’allais à l’infirmerie. Moins attentive, je n’étais plus l’élève investie d’avant. Maintenant, les médicaments m’aident à tenir le soir, mais j’ai perdu en concentration et mémorisation. Les fameux effets indésirables. Je fais une sieste avant mes devoirs pour être plus productive. J’ai trouvé un équilibre. À la rentrée prochaine, je vais aller à l’université pour ne pas être obligée d’assister aux cours du matin au soir, comme pour un BTS. L’avenir professionnel me fait peur : se reposer dans la journée, c’est peu compatible avec une vie de bureau. Je me suis lancée dans le marketing de réseau, une formation durant mon temps libre qui m’aide à reprendre confiance en moi. C’est du développement personnel. Je pourrai alors monter ma boîte, travailler depuis chez moi, à mon rythme.
La maladie a-t-elle une répercussion sur votre quotidien ?
Accepter la maladie est très compliqué. Je me dis « Pourquoi moi ? Pourquoi ça m’est tombé dessus comme ça, d’un coup ? » Cela m’ennuie de devoir prendre ces médicaments toute ma vie. Si j’oublie l’antidépresseur, je fais des hallucinations en dormant. Il faut être très observant.
La vie de lycée est devenue lourde alors que j’adorais les cours. Cette année, c’est l’épreuve du bac. Je bénéficie d’un tiers temps, ce qui est très rassurant ! J’ai dû revoir mes habitudes, mes passe-temps. J’étais toujours énergique, très active. Maintenant, je fais des concessions en me limitant dans les sorties et dans les soirées. Je jouais au handball dans un club depuis petite, mais la cataplexie engendrait des pertes de tonus musculaire pendant les matchs. Je pouvais de moins en moins m’investir dans les matchs. J’ai dû arrêter. Je pratique de temps en temps la boxe, ça m’aide beaucoup.
Y a-t-il eu un retentissement sur vos relations ?
Durant la période où je n’étais pas diagnostiquée, j’avais toujours l’épaule de mes amis qui me voyaient épuisée. Certains me disaient même : « C’est l’heure, on va faire ta sieste. » J’avais des personnes sur qui compter. Puis, il y a ceux qui ne m’ont pas comprise : « C’est bon, t’as pas le cancer non plus, on est tous fatigués. » C’est blessant. Ce sont pourtant des personnes que je côtoie et que j’apprécie, mais nos rapports se sont abîmés. Il y a ceux qui rient de la maladie, qui me disent que j’ai de la chance de bien dormir. Mon copain m’a aidé à en parler, à ne plus avoir honte. Les professeurs ont été compréhensifs, surpris aussi, car ce n’est pas une maladie connue. J’avance avec tout ça, mais parfois je me sens très seule, renfermée. Même les personnes qui m’aiment le plus ne me comprendront jamais. Les groupes d’entre-aide sur les réseaux sont précieux.
La narcolepsie‑cataplexie, c’est quoi ?
Aussi appelée « maladie de Gélineau », elle constitue un trouble du sommeil chronique. Elle présente deux manifestations principales :
- une hypersomnolence diurne : accès incontrôlables d’endormissement dans la journée
- des attaques de cataplexie : diminutions brutales du tonus musculaire en plein éveil, souvent déclenchées par de fortes émotions
D’autres troubles peuvent être associés : troubles de la mémoire, capacités psychomotrices ralenties, difficultés de concentration, paralysie du sommeil, hallucinations.
Quelles sont les origines de la narcolepsie ?
Les causes sont mal comprises. Le taux du neurotransmetteur orexine dans l’hypothalamus est fortement diminué chez les narcoleptiques. L’hypothèse d’une pathologie autoimmune s’attaquant aux neurones produisant l’orexine se précise.
La narcolepsie en quelques chiffres
- Touche le jeune adulte, « âge-pic » : 15 ans et 35 ans
- Hommes et femmes sont touchés à part égale
- Prévalence : 1 à 5/10 000
- Toute origine géographique
Source : orphanet
Par Carla Masciari





