Parce qu’elle permet de restaurer une flore intestinale défaillante, la greffe fécale, ou transplantation de microbiote fécal, est en passe de révolutionner l’approche thérapeutique pour certaines pathologies.
Il ne se passe plus une semaine sans que l’on vante de nouvelles propriétés au microbiote intestinal. Métabolisme, système nerveux, immunité… Nos micro-organismes représenteraient presque, à eux seuls, un tout nouvel organe. Un organe qui, lorsqu’il est défectueux, pourrait être remplacé, à l’instar d’une greffe rénale ou cardiaque. C’est la transplantation de microbiote, plus connue sous le nom de « transplantation fécale ».
Le principe : prélever le microbiote intestinal d’une personne en bonne santé, via ses selles, pour le transplanter à un malade. L’objectif est de réinséminer le microbiote malade en bonnes souches de bactéries. Si, grâce à un probiotique, une seule souche de bactérie peut être apportée, la transplantation fécale permet-elle d’apporter l’entièreté de la flore intestinale en une fois, soit quelques centaines d’espèces bactériennes différentes et 1014 bactéries au total dans un microbiote.
Si l’idée est loin d’être ragoutante, elle n’a pourtant rien de nouveau. Au VIe siècle déjà, certains remèdes de médecine chinoise étaient élaborés à partir d’excréments et d’eau, connus sous le nom de « soupe jaune », pour soigner les intoxications alimentaires. Une méthode strictement empirique, personne à l’époque n’avait connaissance de la flore intestinale, ni même de l’existence des bactéries.
80 % d’efficacité sur les infections à clostridium difficile
Aujourd’hui, la transplantation de microbiote fécale est pratiquée dans une trentaine de centres en France. Elle est utilisée pour traiter les infections récidivantes à Clostridium difficile, une bactérie qui se loge dans les systèmes digestifs affaiblis par un traitement antibiotique ou immunosuppresseur. Clostridium difficile détruit alors la flore intestinale, provoquant de sévères diarrhées, voire des septicémies, parfois mortelles. Aux États- Unis, 14 000 personnes meurent chaque année d’une infection à C. difficile, soit trois fois plus que pour le staphylocoque doré.
Les personnes infectées par un C. difficile résistant aux antibiotiques se retrouvent bien souvent en impasse thérapeutique. Et chez eux, les résultats de la greffe de microbiote sont impressionnants : dans 80 à 90 % des cas, la transplantation permet la guérison totale. La Société européenne de microbiologie clinique et de maladies infectieuses recommande désormais fortement cette pratique pour les infections récidivantes à Clostridium difficile.
Congelés à – 80 °c
À l’hôpital Saint-Antoine à Paris, Anne-Christine Joly, pharmacien hospitalier responsable de l’Unité de préparation des transplants de microbiote, met en œuvre la préparation des transplants de microbiote fécal depuis 2015. « C’est aujourd’hui l’un des plus importants centres de préparation et de greffe de flore intestinale en France », explique-t-elle. Chaque année, une trentaine de patients atteints d’infections récidivantes à C. difficile sont traités par une transplantation.
Première étape : trouver le donneur. « La plupart du temps, c’est un donneur de la famille, car c’est plus facilement acceptable par le malade », indique Anne-Christine Joly, qui précise : « mais cela va dépendre des pathologies. Pour certaines, il vaut mieux un microbiote d’un donneur qui n’a pas de lien génétique, qui n’a pas le même environnement ou le même type d’alimentation ». Pour chaque patient, l’équipe médicale va sélectionner deux donneurs. Les selles sont récoltées fraîches, du matin, et devront être transmises, au plus vite, pour être préparées dans les 6 heures. Elles sont ensuite cryoconservées à – 80 °C.
La plupart du temps, et c’est le cas à l’hôpital Saint-Antoine, ces matières fécales sont préparées en suspension liquide et administrée par une sonde nasoduodénale reliée directement à l’intestin ou administrée par voie colique. Mais des études sont en cours pour envisager une administration par gélule. « Les gélules sont actuellement plutôt utilisées dans les essais cliniques, chaque gélule contient un peu moins de 1 g de selle. Pour une greffe réalisée avec une suspension, au moins 50 g de selles sont utilisées », précise Mme Joly, qui ajoute : « et la gélule doit absolument être gastro- résistante ».
Le meilleur est devant nous
Le sang et les selles du donneur passent ensuite une batterie de tests, pour s’assurer de la sécurité du don. « Depuis 2014, la transplantation de microbiote intestinal est considérée comme un médicament et doit donc être préparée sous la responsabilité d’un pharmacien », nous apprend Anne-Christine Joly. Seulement, il est pour l’instant encore impossible d’analyser la composition précise de la flore intestinale, en dehors de la recherche. Autre questionnement : rien n’indique encore ce qui différencie un bon donneur d’un donneur moyen : « quel type de flore est bénéfique pour telle maladie ? Quel environnement ou quelle alimentation ? On ne sait pas encore qualifier un bon greffon en termes de répartitions entre les différentes espèces bactériennes pour chacune des pathologies », soulève Mme Joly.
Au-delà de l’infection par C. difficile, la greffe fécale suscite des espoirs pour de nombreuses maladies, notamment intestinales, comme la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique, pour lesquelles des essais cliniques sont menés. Il a, par ailleurs, été montré que la greffe d’un microbiote de souris obèse chez une souris normale entraînait ensuite son surpoids. La transplantation fécale pourrait donc également avoir un effet sur l’obésité.
« Plus de 200 essais sont en cours dans le monde sur de nombreuses indications différentes. Si, au départ, les maladies de l’intestin ont été tout naturellement au premier plan, je pense que cela va aller beaucoup plus loin dans les années à venir, car il ne se passe pas un jour sans que nous apprenions de nouvelles données sur le microbiote », s’enthousiasme Anne- Christine Joly.
« Nous aimerions pouvoir faire un appel aux dons de selles, comme on fait aujourd’hui un appel au don du sang » – Anne-Christine Joly, pharmacien hospitalier responsable de l’Unité de Préparation Transplant Microbiote
Des espoirs parfois trop grands ?
La greffe fécale ouvre également de larges voies d’études pour les maladies neurologiques. Dépression, épilepsie, autisme… Si l’on parle parfois du ventre comme de « notre deuxième cerveau », pour l’heure, les recherches n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Des données préliminaires sur l’autisme par exemple suggèrent un manque de diversité des espèces microbiotiques dans certaines formes. « Cela donne un énorme espoir aux familles d’autistes, qui sollicitent régulièrement les pédiatres sur l’intérêt potentiel des greffes de microbiote. C’est parfois difficile à gérer », raconte la pharmacienne.
Si la recherche avance, la seule indication reste en France, actuellement, l’infection récidivante par C. difficile. Et l’objectif est d’encadrer la pratique. Le Groupe français de transplantation fécale, dont fait partie Anne-Christine Joly, a d’ailleurs émis des recommandations de bonnes pratiques, tournées vers le soin. Autre limite : nous ne savons encore rien des conséquences à long terme de ces transplantations. « On propose donc la transplantation quand on sait que le bénéfice sera très important et que la stratégie thérapeutique n’a plus rien à offrir. Chaque cas est d’ailleurs discuté par un groupe pluridisciplinaire », rappelle Anne-Christine Joly.
À l’avenir, nous pourrions rêver à la création d’une banque de matières fécales, classées en fonction de leur richesse en bactéries intestinales. Une sorte de « fécothèque ». Pour l’heure, les centres hospitaliers sont toujours en manque de donneurs. « Dans l’idéal, nous aimerions pouvoir faire un appel aux dons de selles, comme on fait aujourd’hui un appel au don du sang, avoir des structures de recueil adaptées, pour le soin et la recherche », espère Anne-Christine Joly.
Greffer son propre microbiote fécal, bientôt possible ?
Au même titre que la conservation des ovocytes chez les femmes qui vont être traitées par chimiothérapie, certains industriels explorent l’autogreffe de microbiote fécal. Le principe : prélever le microbiote fécal d’un patient, malade, avant qu’il ne se fasse soigner par des traitements potentiellement délétères pour son microbiote. Une fois la thérapie terminée, le patient se voit transplanter son propre microbiote, conservé bien au frais jusque-là. Aujourd’hui, des applications en hématologie, par exemple dans la prise en charge de patients atteints de leucémie aiguë, sont en cours d’évaluation.
Quelques chiffres
- 12 mois C’est le temps maximum de conservation d’une préparation de greffe de microbiote fécal, congelée à – 80 °C. (Source : GFTF)
- 2 à 15 gélules de préparation fécale doivent être administrées en deux fois, sur 24 heures. La plupart du temps, l’administration se fait par sonde naso-gastrique ou par voie colique. (Source : GFTF)
Léa Galanopoulo





