Treizième cancer le plus fréquent et quatrième cancer digestif avec 6 585 nouveaux cas en 2015, le cancer de l’estomac a récemment été mis en avant par Bernard Tapie.
Homme d’affaires, acteur, chanteur, politicien, patron d’équipes sportives… monotone n’est pas le premier adjectif qui vient à l’esprit pour résumer la riche carrière de Bernard Tapie. Et encore moins pour évoquer le ton parfois colérique pris par sa voix grave. Car s’il a connu plus de réussites que d’échecs dans les actions qu’il a entreprises, c’est surtout son franc-parler, parfois hargneux, qui en a fait un personnage public assez souvent caricaturé. Ce tempérament explosif lui a d’ailleurs valu bon nombre d’accrochages médiatiques, notamment lorsque ses déboires judiciaires sont abordés. Mais malgré ce goût prononcé pour la mise en scène, c’est en toute discrétion, afin de mettre fin à certaines rumeurs sur son état de santé, que son épouse annonçait fin septembre qu’il luttait contre un cancer de l’estomac, avec extension sur le bas de l’œsophage.
L’estomac : broyeur mécanique et chimique
Maillon essentiel de la digestion, l’estomac est un organe creux, situé dans la partie supérieure et médiane de l’abdomen, dont la forme est souvent assimilée à celle d’une poche ou d’un J majuscule. Avec une taille comprise entre 20 et 25 centimètres et une largeur de 11 centimètres, sa contenance peut atteindre quatre litres après un repas, contre un demi-litre à vide. Anatomiquement, il prolonge l’œsophage, par lequel il reçoit les aliments mastiqués et imprégnés de salive une fois qu’ils ont été déglutis. Il assure par la suite leur transformation mécanique et chimique en un liquide clair, le chyme, dont les nutriments sont ensuite absorbés dans l’intestin et transmis à l’organisme par le réseau sanguin. Les aliments non digérés sont considérés comme des déchets et restent dans le tube digestif pour constituer les matières fécales.
C’est sa paroi, composée de plusieurs couches, qui confère à l’estomac ses actions mécaniques et chimiques dans la digestion. La couche de cellules musculaires qui la compose assure le brassage et la progression du bol alimentaire dans l’appareil digestif par un mouvement de contractions appelé péristaltisme. Sa couche muqueuse, ou couche superficielle interne, contient quant à elle des glandes qui vont secréter enzymes et acides pour désagréger les aliments. C’est à partir de cette muqueuse que se développe la majorité des tumeurs sous forme d’adénocarcinome.
Un cancer au diagnostic tardif
En dépit d’une baisse de son incidence depuis plusieurs années, le cancer de l’estomac demeure un cancer au pronostic sévère. Pour preuve, une étude collaborative cofinancée par l’Institut national du cancer et l’Institut de veille sanitaire sur la période 2005- 2010, lui prédisait un taux de survie nette à 5 ans de 28 % chez la femme et 23 % chez l’homme. Résultats qui s’expliquent en partie par l’apparition tardive des premiers signes cliniques de la maladie qui repousse le diagnostic. « C’est le fait de la majorité de cancers digestifs : les symptômes sont tardifs et surviennent à un stade déjà évolué de la pathologie », précise Côme Lepage, professeur agrégé à l’Université de Bourgogne-Franche-Conté et médecin hépato-gastroentérologue. « Généralement, lorsque la progression tumorale a provoqué une occlusion totale ou partielle du tube digestif ou lorsque les saignements sont importants et provoquent une anémie. Des signes indirects, liés à l’extension de la tumeur sur l’œsophage par exemple ou aux métastases (osseuses, hépatiques…), peuvent également être à l’origine du diagnostic. » La suspicion de cancer gastrique sera confirmée par un examen : l’endoscopie œsogastrique. Outre l’exploration morphologique, cet examen permet également de faire des prélèvements en vue d’une analyse anatomopathologique.
Des traitements adaptés au stade de la maladie
Dès lors que le diagnostic a été établi, un bilan préthérapeutique de l’état du patient et une réunion de concertation pluridisciplinaire entre au moins trois médecins de spécialités différentes permettent d’établir une proposition de prise en charge au malade. « Les traitements envisagés dépendent du stade d‘évolution de la maladie, nous confie le professeur Lepage. Par exemple, un cancer de l’estomac diagnostiqué précocement et sans symptôme sera traité par endoscopie, alors que le traitement d’un cancer localisé ou localement avancé en présence de symptômes s’orientera vers une chirurgie encadrée ou non de chimiothérapie. »
L’acte chirurgical qui correspond à une ablation totale ou partielle de l’estomac est la gastrectomie. Outre les effets communs à toute chirurgie tels que des risques d’hémorragies, d’infections, ou encore de douleurs, des effets secondaires sur l’alimentation peuvent survenir après la gastrectomie : altération de l’appétit, syndrome du petit estomac, perte de poids, anémie due à une carence en vitamine B12, diarrhées.
La prise en charge nutritionnelle : au cœur de la thérapie
Face à la baisse d’appétit induite par la maladie, la chirurgie ou les traitements, et afin de prévenir une perte de poids trop importante, la réalisation d’un bilan nutritionnel par un diététicien ou un médecin nutritionniste peut être nécessaire pour certains patients. Si un état de dénutrition, qui correspond à une perte de plus 5 % du poids habituel en un mois ou de plus de 10 % en 6 mois, est mis en évidence, une prise en charge nutritionnelle adaptée sera alors requise. Elle se caractérise par des conseils pratiques pour s’alimenter au quotidien (voir encadré) ou par une aide médicale à l’alimentation. « La prise en charge alimentaire est essentielle dès le début, car les patients ont souvent déjà perdu beaucoup de poids et comme la gastrectomie est une intervention lourde, elle nécessite qu’ils soient en bon état général pour limiter les complications postopératoires », poursuit le professeur Lepage.
Parmi les solutions médicales, le patient peut se voir prescrire une forme particulière d’aliments : les compléments nutritionnels oraux. Disponibles en pharmacie, ces produits s’apparentent à des médicaments et contribuent à l’amélioration des apports nutritionnels en calories, protéines, vitamines… Ils sont disponibles sous plusieurs formes, boissons, potages, biscuits ou crèmes, et sont remboursés par la Sécurité sociale dans le traitement de la dénutrition. Si l’alimentation habituelle par la bouche est insuffisante ou impossible, l’équipe médicale peut décider de mettre en place une nutrition artificielle. Il existe deux techniques : la nutrition entérale qui consiste à apporter des nutriments directement dans l’estomac afin qu’ils soient digérés, et la nutrition parentérale, au cours de laquelle les substances nutritives sont administrées par voie veineuse.
Quels facteurs de risque ?
Outre son rôle déterminant dans la prise en charge du cancer de l’estomac, l’alimentation joue également un rôle prépondérant dans sa survenue. Ainsi, les aliments riches en sel, les viandes fumées ou transformées et l’alcool sont des facteurs de risque clairement identifiés de la maladie. Au contraire, les fruits, les légumes ou les aliments riches en fibres participent à la prévention. Ces derniers « augmentent la vitesse de transit et diminuent ainsi le temps de passage des aliments dans l’estomac, ce qui a un effet protecteur », ajoute le professeur Lepage. Comme dans la plupart des cancers digestifs, le tabac est également cité, en particulier pour ceux chez qui la partie haute de l’estomac est concernée. En plus de ces facteurs socio-environnementaux, une bactérie a été identifiée comme favorisant la survenue des cancers gastriques en pérennisant un état de gastrite atrophique : Helicobacter pylori. Si l’infection par cette bactérie n’est pas traitée, elle entraîne une inflammation de la muqueuse, la gastrite chronique, qui peut, à terme, dégénérer en cancer.
» La prise en charge alimentaire est essentielle dès le début. Les patients doivent être en bon état général pour limiter les complications postopératoires. «
Comment ne pas perdre de poids ?
- Augmenter la fréquence des repas : si les repas sont moins volumineux, ne pas hésiter à multiplier les prises.
- Augmenter la valeur calorique des repas : l’ajout de certaines matières grasses permet des repas plus consistants, sans en augmenter leur volume.
- Favoriser un régime riche en protéines : cela permet de limiter la fonte musculaire et stimuler les défenses immunitaires
- Entretenir l’esprit convivial des repas : en mangeant accompagné ou en travaillant la présentation des plats
Quelles sont les perspectives thérapeutiques ?
Pr Côme Lepage Professeur agrégé à l’université de Bourgogne Franche Conté et médecin gastroentérologue
De nombreux progrès ont été effectués dans la prise en charge du cancer de l’estomac, ces dernières années. En termes de chirurgie notamment : une amélioration combinée des techniques opératoires, de l’anesthésie ainsi que l’émergence de la prise en charge nutritionnelle ont augmenté les bénéfices pour les patients. Au niveau de la chimiothérapie : un nouveau schéma de chimio¬thérapie, avec des molécules utilisées dans le traitement d’autres cancers, a permis une augmentation des taux de survie à 2, 3, 5 ans. Il constitue désormais le nouveau standard. Enfin, il existe de nombreuses pistes thérapeutiques dans le domaine de l’immunothérapie. Ce type particulier de traitement, qui vise à stimuler les défenses immunitaires du patient afin de lutter contre sa maladie, est cependant réservé à certains profils de cancer. Malgré des résultats prometteurs, ces études n’en sont cependant qu’à leurs prémices et méritent d’être affinées.
Par Julien Dabjat