L’épidémie de coronavirus actuelle est présentée comme la plus grande crise sanitaire depuis la grippe espagnole de 1918. Retour sur une pandémie oubliée, éclipsée par la Première Guerre mondiale.
À l’été 1918, le monde est frappé par une grippe dévastatrice, appelée alors « grippe espagnole ». Si l’époque est surtout marquée par la fin de la Grande Guerre, c’est une autre guerre qui fait des ravages à l’arrière. Car, en quelques mois, la pandémie tue autant que 4 ans de guerre. Entre 50 et 100 millions de personnes auraient été décimées par la grippe espagnole, selon les dernières données actualisées. Soit de 2,5 à 5 % de la population mondiale. Certains pays sont plus touchés que d’autres. Alors que l’Europe perd 1 % de sa population pendant ces quelques mois, ce sont 6 % des Indiens qui meurent des suites de la pandémie. Pire : les Îles Samoa ont vu au moins 20 % de leur population tuée par la grippe.
Une grippe pas si espagnole
L’épidémie fait le plus gros de son oeuvre à l’automne 1918. Mais les premiers cas sont décrits dans la presse espagnole fin mai 1918, d’où le surnom de grippe espagnole qui n’a rien à voir avec l’origine de la pandémie. En effet, l’Espagne n’étant pas en guerre, sa presse était libre. À l’inverse de la France où la censure militaire imposée à la presse en août 1914 réduisait drastiquement l’information de la population. D’autant plus que cette censure s’appliquait à la situation sanitaire. Seules deux ou quatre feuilles de quotidien étaient alors éditées chaque jour.
Les médecins parleront donc de grippe espagnole, puis de grippe suisse ou de grippe des Flandres. La maladie est extrêmement contagieuse et se 11caractérise par une période d’incubation de 2 à 3 jours suivie d’une semaine de symptômes : fièvre, fatigue, affaiblissement du système immunitaire. Les décès sont essentiellement causés par les complications, souvent une pneumonie ou une surinfection bronchique bactérienne. La létalité de la grippe est multipliée par 20 par rapport à une grippe classique, atteignant en France 3 % de mortalité.
En décembre 1918, à Seattle, les forces de l’ordre sont équipées de masques.
Pourquoi une telle pandémie ?
Les décès explosent en octobre et novembre 1918. Et la grippe emporte des victimes célèbres, comme Guillaume Apollinaire ou Edmond Rostand. Elle ne fait aucune distinction sociale : les théâtres comme les écoles sont fermés, et même les présidents des États-Unis, Woodrow Wilson, et du Brésil, Rodrigues Alves, sont infectés. Alors que la préfecture de la Seine tente de véhiculer des mesures d’hygiène, les Parisiens, malades, ne sont plus en état de décontaminer les lieux publics. Médecins, infirmiers et pharmaciens sont retenus au front ou dans les hôpitaux militaires. Car c’est bien là toute la « chance » de cette grippe : elle profite d’une situation de guerre pour se répandre. Premièrement, parce que les hôpitaux sont saturés, bondés de soldats blessés sur le front. L’isolement des malades est impossible et aucun antibiotique n’existe alors pour soigner les complications grippales. Mais aussi parce que cette guerre mondiale signe l’avènement des transports de masses et de l’urbanisation. Les soldats voyagent d’un pays à l’autre, ce qui expliquerait notamment la propagation de la grippe. Une situation bien différente de celle que nous connaissons actuellement, ce qui biaise tout parallèle entre la grippe espagnole et le coronavirus.
Qui est le patient zéro ?
Si les origines restent à confirmer, cette grippe serait arrivée d’Asie par bateau aux États-Unis. Elle aurait ensuite muté au Kansas, lieu où le premier cas a été décrit en mars 1918, pour être transmissible du canard au porc à l’Homme. Ce n’est que dans les années 2000 que la souche est identifiée, grâce à l’analyse de cadavres d’Inuits retrouvés dans des sols congelés. La souche serait l’ancêtre de la grippe A (H1N1) de 2009. Pour l’heure, les historiens comptent toujours les morts. Une tâche difficile, tant les registres de décès étaient précaires à l’époque. Le décompte se fait à partir d’une analyse de la surmortalité régionale. Par exemple, dans un petit village du Sud, qui comptait une dizaine de morts par an, les historiens dénombrent à l’automne 1918 un décès par jour. Et ce, en déduisant les morts de la guerre. Dans certains pays, la grande grippe se poursuivra jusqu’en 1921, avec plusieurs vagues successives. La pandémie entraînera la naissance du comité d’hygiène de la Société des Nations, ancêtre de l’OMS.
Par Léa Galanopoulo