Les championnats du monde d’athlétisme ont eu lieu du 27 septembre au 6 octobre à Doha, au Qatar. Sur la ligne de départ du 800 m, une absence s’est fait remarquer, celle de Caster Semenya. La raison ? Son hyperandrogénie.
L’athlète sud-africaine Caster Semenya, championne du monde du 800 m à Londres en 2017, aurait bien aimé défendre son titre aux derniers mondiaux d’athlétisme. Mais l’IAAF, l’Association internationale des fédérations d’athlétisme, en a décidé autrement. Ses nouvelles régulations, effectives depuis novembre 2018, imposent aux femmes athlètes d’avoir un taux sanguin de testostérone inférieur à 5 nmol/L pour participer à certaines compétitions, dont le 800 m. Caster Semenya, qui présente une hyperandrogénie, c’est-à-dire un excès d’hormones sexuelles masculines, est bien au-delà du seuil défini par l’IAAF.
L’hyperandrogénie
« La cause la plus fréquente d’hyperandrogénie est le syndrome des ovaires polykystiques, indique le Dr Emmanuelle Lecornet-Sokol, endocrinologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) et coauteur du livre Et si c’était hormonal ? paru en 2019. Ce n’est pas le cas de Caster Semenya qui, elle, présente un trouble du développement sexuel très rare, une insensibilité partielle aux androgènes. » En effet, l’athlète est dotée d’un caryotype XY, qui conditionne habituellement le développement de l’embryon en petit garçon. Or chez Caster Semenya, le chromosome Y n’est pas tout à fait fonctionnel en raison de mutations qui empêchent la testostérone d’agir de manière optimale. À la naissance, Caster Semenya avait donc l’apparence d’une petite fille, avec des organes génitaux externes féminins. « Caster Semenya est née femme, a été élevée comme une femme et se sent une femme », précise l’endocrinologue pour laquelle ce point est non discutable. Cependant, ses organes reproducteurs ne sont pas vraiment des ovaires, mais plutôt des testicules, et c’est pourquoi à la puberté elle s’est mise à produire beaucoup de testostérone.
En 2009, âgée d’à peine 18 ans, elle remporte l’or pour la première fois lors de la finale du 800 m aux championnats du monde d’athlétisme de Berlin. La réponse ne se fait pas attendre. Certains la trouvent trop grande, trop musclée, trop masculine… elle est alors soumise par l’IAAF à un test de féminité en raison d’un « doute visuel ».
Les tests de féminité
« Les tests de féminité font partie de l’histoire du sport », indique Lucie Schoch, sociologue du sport à l’université de Lausanne. Mis en place pour la première fois en 1966 aux championnats d’Europe d’athlétisme, à Budapest, ils consistaient alors en des examens gynécologiques et morphologiques et des tests de force, et toutes les athlètes féminines devaient s’y plier. Plus tard, ces tests ont été remplacés par l’analyse des chromosomes sexuels. C’est à ce moment-là que le monde du sport a découvert, un peu tardivement, le phénomène d’intersexuation*, plus courant qu’il n’y paraît. Ces tests chromosomiques ont été arrêtés en 2000.
Aujourd’hui l’IAAF se réserve le droit de procéder à une vérification du genre en cas de soupçon visuel. « Ce n’est pas neutre que le critère choisi pour encadrer la catégorie féminine soit la testostérone, l’hormone mâle par excellence », confie Lucie Schoch. Dans notre société, la testostérone est perçue comme l’hormone de la performance, de la force, de la virilité. « D’ailleurs, très peu savent qu’elle est aussi naturellement produite par les femmes, bien qu’en moindre quantité », ajoute la sociologue.
Le dopage à la testostérone pour augmenter sa masse musculaire et stimuler la production de ses globules rouges est connu dans le sport depuis les années 1980 et est recherché lors des tests antidopage, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes. Des prélèvements sanguins sont régulièrement effectués chez les athlètes pour compléter leur passeport biologique et vérifier que leur taux de testostérone ne fluctue pas dans le temps, signant un apport exogène de l’hormone. Mais dans le cas de Caster Semenya, il ne s’agit pas de dopage puisqu’elle produit naturellement plus de testostérone que ses congénères féminines.
Pourquoi donc vouloir réguler un avantage naturel ? En suivant cette logique, ne devrait-on pas également protéger la catégorie masculine en fixant un seuil limite de testostérone ?
Tout porte à croire que le milieu du sport appréhende que les performances féminines ne s’alignent un jour sur celles des hommes. D’après ce qu’on peut lire dans le rapport de l’IAAF, Caster Semenya est d’ailleurs autorisée à concourir dans la catégorie masculine, quelle que soit la compétition. « Mais on sait tous qu’elle n’aurait aucune chance de performance dans la catégorie masculine », s’indigne Lucie Schoch. D’après le Dr Stéphane Bermont lui-même, l’un des médecins de l’IAAF, l’avantage compétitif conféré par l’hyperandrogénie serait d’environ 3 %. On est très loin de celui qu’auraient les athlètes masculins sur les athlètes féminines, préalablement établi à 10-12 %.
« L’idée de justice dans le sport est un mythe » – Lucie Schoch, sociologue du sport à l’université de Lausanne
Le mythe de l’équité
Le président de l’IAAF, Sébastian Coe, justifie cette nouvelle réglementation par un souci d’équité dans le sport. « Les régulations que nous introduisons sont là pour protéger la compétition libre et équitable », peut-on l’entendre dire lors d’une interview. Mais, pour la sociologue Lucie Schoch, « l’idée de justice dans le sport est un mythe ». Aurait-on l’idée d’interdire la compétition à un basketteur ou une basketteuse à la taille démesurée ? Quoi qu’il en soit, le débat fait rage et divise la communauté scientifique et sportive. Et ce n’est pas nouveau. En 2011 déjà, l’IAAF rejoint par le CIO (Comité international olympique) en 2012, imposait des réglementations concernant les athlètes féminines touchées par une hyperandrogénie sévère. Ces réglementations ont été suspendues en 2015 par le Tribunal arbitral du sport (TAS) suite au procès en appel de la sprinteuse indienne Dutee Chand, également hyperandrogène. Le TAS a donné 2 ans à l’IAAF pour apporter la preuve scientifique de l’avantage conféré d’un taux très élevé de testostérone sur la performance des athlètes féminines. En 2018, l’IAAF est donc revenu en grande pompe, preuve à l’appui. « Mais on sait très bien de par l’histoire de la recherche qu’une seule étude n’est pas suffisante et qu’elle risque très probablement d’être contredite par d’autres qui suivront », analyse Lucie Schoch.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’elle a été chapeautée par le Dr Stéphane Bermont, médecin de l’IAAF. Légèrement biaisée, cette étude ? « Non, pas du tout ! », ironise la sociologue. Le rapport du TAS, contraint de plier face à ces « preuves » est d’ailleurs en demi-teinte. « Il dit qu’effectivement il n’y a pas de raison que l’IAAF n’impose pas ce règlement, mais que d’un point de vue éthique il est discutable », souligne Lucie Schoch. Jusqu’à nouvel ordre, Caster Semenya devra donc prendre un traitement hormonal pour faire baisser son taux de testostérone et avoir une chance de participer aux compétitions importantes. Cependant, aux dernières nouvelles, la sportive n’entend pas se plier à cette règle et envisage même une reconversion dans le football. Le combat est loin d’être fini !
*Selon l’ONU, l’intersexuation est un terme décrivant des personnes nées avec des caractéristiques sexuelles (chromosomiques, anatomiques, gonadiques ou hormonales) qui ne correspondent pas aux définitions typiques de « mâle » et « femelle ».
Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK)
Ce syndrome est un dysfonctionnement ovarien qui touche 10 % des femmes. Au lieu qu’une petite quantité de follicules (entre 5 et 10) grossisse chaque mois au cours du cycle ovarien jusqu’à ce qu’il y en ait un qui devienne le follicule de De Graaf et libère l’ovule, dans le SOPK il y a beaucoup plus de follicules qui s’accumulent (15 à 30) sans qu’aucun ne prenne le dessus. « À l’échographie, on a l’impression de voir des petits kystes, en réalité ce sont les follicules », indique l’endocrinologue Emmanuelle Lecornet-Sokol. À ce stade-là, les follicules ont tendance à fabriquer beaucoup d’hormones masculines, d’où l’élévation de la concentration de testostérone chez les femmes atteintes de SOPK. « La plupart du temps, les femmes ont quand même une concentration sanguine de testostérone inférieure à 1 ng/mL (soit 3,5 nmol/L), et sont donc loin des 5 nmol/L fixées par l’IAAF », précise Emmanuelle Lecornet-Sokol. Et loin des taux de Caster Semenya dont l’hyperandrogénie est due à une anomalie génétique et non à un SOPK. Les symptômes du SOPK diffèrent selon les femmes. Il peut s’agir de symptômes liés à l’hyperandrogénie tels qu’une acné excessive, un excès de pilosité ou une perte de cheveux, mais aussi de règles irrégulières, ou d’une difficulté à concevoir. « La majorité des femmes atteintes du SOPK n’ont cependant pas de problème de fécondité, tient à rappeler l’endocrinologue. Mais un tiers des femmes qui consultent pour infertilité a des ovaires polykystiques. 1966 année à laquelle les premiers tests de féminité ont été mis en place dans le sport
- 5 nmol/L c’est la valeur du taux de testostérone dans le sang que ne doit pas dépasser une athlète féminine pour être autorisée à concourir dans les grandes compétitions
Par Clémentine Vignon