Le 28 août dernier, le célèbre chroniqueur de Canal + faisait sa dernière apparition dans l’émission culte Canal Football Club. Et ce n’est finalement que le 2 avril dernier, après 7 mois d’un long calvaire qui aurait pu avoir raison de lui, que Pierre Ménès a fait son retour sur un plateau TV. Sa souffrance, il la doit à la désormais non moins célèbre « maladie du soda » (NASH pour les anglo-saxons), son salut, à une double greffe du foie et du rein. Mise au point sur cette pathologie méconnue mais pourtant déjà bien présente parmi nous.
Le 21 mai 2010, la 63e Assemblée mondiale de l’OMS avait adopté une résolution désignant le 28 juillet comme journée mondiale de l’hépatite. Les maladies concernées se limitaient aux hépatites virales A à E. Elles le sont d’ailleurs toujours. Pourtant, s’il est vrai que ces dernières continuent d’emporter quelques 1,4 millions d’âmes dans la tombe chaque année, notamment dans les pays en voie de développement, un autre fléau sévit dans les pays occidentaux : la stéato-hépatite non alcoolique (Non Alcoholic Steato Hepatitis ou NASH). Les hépatologues en parlent comme d’une bombe à retardement.
Une maladie de plus en plus fréquente mais encore trop méconnue
La NASH fait partie du groupe des stéatoses hépatiques non alcooliques (Non Alcoholic Fatty Liver Disease ou NAFLD) qui couvre un large spectre de pathologies allant de la stéatose simple au carcinome hépatocellulaire, en passant par la NASH, donc, et la cirrhose. La NAFLD se définit comme une accumulation de lipides dans au moins 5 % des hépatocytes (les cellules du foie) en l’absence d’une consommation d’alcool significative, soit moins de 20 g/j pour la femme et moins de 30 g/j pour l’homme. Ces deux dernières décennies, il est apparu très clairement que cette affection représentait la cause numéro 1 des maladies hépatiques chroniques dans le monde. On estime en effet que la NAFLD touche 20 à 40 % de la population dans les pays industrialisés. Cette épidémiologie est à mettre en corrélation avec l’incidence croissante de l’obésité à travers le monde (selon l’OMS, 35 % des adultes sont atteints d’obésité ou de surpoids).
Dans 10 à 20 % des cas, la NAFLD évolue en NASH. Dans 3 à 15 % des cas, celle-ci évolue ensuite vers une cirrhose dans les 10 à 20 ans, qui fera enfin le lit d’un carcinome hépatocellulaire dans 2 à 5 % des cas. Si la NASH est encore réversible, les stades suivants ne le sont plus. Il convient donc d’intervenir dès les stades NAFLD et NASH, d’où l’importance du dépistage.
Une maladie de notre époque
Depuis la découverte de la NASH, encore retrouvée sous l’appellation maladie du foie gras humain, par Ludwig en 1980, de grands progrès ont été réalisés dans la compréhension de cette affection. Pour l’heure, sa définition demeure encore histologique, c’est-à-dire après examen microscopique d’une biopsie de tissu hépatique. De façon barbare, la stéato-hépatite non alcoolique est décrit comme une ballonisation hépatocytaire survenant sur un foie stéatosique et couplée à des lésions inflammatoires lobulaires avec ou sans fibrose associée. Vulgairement, la maladie consiste en un afflux d’acide gras du tissu adipeux vers le foie. Ce dernier se retrouve alors surchargé en graisses, toxiques pour les cellules hépatiques, qui finissent par en mourir. Si la maladie fait de plus en plus parler d’elle depuis quelques années, c’est qu’elle s’appuie sur les dérives de notre mode de vie occidental. La sédentarité et une mauvaise alimentation peuvent en effet toutes deux conduire au développement de la NAFLD et donc de la NASH. Toutefois, comme une étude américaine parue dans la prestigieuse revue American Journal of Physiology – Endocrinology and Metabolism l’a montré chez la souris, des patients avec un indice de masse corporelle (IMC) normal peuvent présenter une NAFLD. C’est notamment le cas des individus ayant un régime pauvre en hydrates de carbone (sucre) mais riche en graisses saturées (retrouvées notamment dans les fromages, la charcuterie, le chocolat et l’huile de palme). La sédentarité entraîne de plus une résistance musculaire à l’insuline, c’est-à-dire que les muscles, devenus insensibles à l’action de l’insuline, ne sont plus capables de stocker le sucre apporté par l’alimentation qui s’en va donc surcharger le foie.
Et du côté de la prise en charge ?
Pour l’heure, bien que de nombreuses recommandations aient été édictées par les sociétés européennes et internationales d’hépatologie, il manque encore d’études globales et exhaustives à même de répondre efficacement aux questions du dépistage et du traitement. L’amélioration du style de vie, avec la pratique régulière d’une activité physique et l’amélioration de l’équilibre alimentaire, sont encore les meilleurs moyens de se garder de cette maladie.
Interview du Dr François R. Jornayvaz
Service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition Hôpitaux Universitaires de Genève
De quels moyens dispose aujourd’hui la médecine pour dépister la NASH ?
Pour le moment, nous dépistons la NASH par imagerie grâce à l’échographie hépatique par ultra-son. Toutefois, compte tenu de son manque de sensibilité et de spécificité, elle ne permet pas de quantifier la fibrose. L’élastographie, qui permet de mesurer l’élasticité des tissus biologiques et dont l’efficacité dans le diagnostic de la fibrose hépatique est bien documentée et sera probablement de plus en plus utilisée dans les années à venir. .
Les chiffres annonçant que la NAFLD toucherait 20 à 40 % de la population dans les pays industrialisés vous paraissent-ils exagérés ?
Les chiffres sont là. La stéatose hépatique non alcooliques (NAFLD) touche environ 30 % de la population générale, mais 60 % des diabétiques de type 2 (due à une résistance à l’insuline) et jusqu’à 90 % des obèses morbides (IMC supérieur à 40 kg/m2).
Peut-on s’attendre à une explosion de cette pathologie dans les prochaines années ?
Probablement, oui. Vu notre mode de vie sédentaire et la dégradation progressive du mode d’alimentation de la population, on ne peut que l’envisager. L’augmentation de l’incidence du diabète et de l’obésité à travers le monde est un autre argument en faveur de cette prévision.
L’arsenal thérapeutique actuel est-il suffisant ou justifie- t-il que la recherche s’empare du problème ?
La chirurgie bariatrique peut-elle avoir une place dans cette maladie ? À part perdre du poids et manger mieux, il n’existe aucun traitement dans cette pathologie à l’heure actuelle. Et des médicaments encore moins. La chirurgie bariatrique est une option, mais de par ses critères et ses indications spécifiques, elle ne peut être réalisée chez tout le monde. C’est une opération lourde qui promet d’importants effets post-opératoires (malabsorption, déficit en vitamines et oligo-éléments…).
Quelques chiffres
- 15 à 25 % des personnes atteintes de NASH développeront une cirrhose (Source : Genfit)
- 1/3 des Européens souffriraient de NAFLD (Source : WGO)
- 1 355 C’est le nombre de greffe de foie qui a eu lieu en France en 2015 (Source : CHU de Toulouse)
- 700 000 C’est le nombre de personnes qui souffrent de cirrhose en France (Source : Inserm)
Maxime Deloupy